CAA de BORDEAUX, 6ème chambre (formation à 3), 07/07/2014, 13BX01305, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision07 juillet 2014
Num13BX01305
JuridictionBordeaux
Formation6ème chambre (formation à 3)
PresidentM. CHEMIN
RapporteurMme Florence REY-GABRIAC
CommissaireM. BENTOLILA
AvocatsCABINET LEXIA

Vu la requête enregistrée le 14 mai 2013, présentée pour M. C...D..., demeurant " ..., par Me A...;

M. D...demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0902285 du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Vauclaire de Montpon-Ménestérol à réparer le préjudice résultant de l'accident de service dont il a été victime le 18 novembre 2003 en limitant son indemnisation à la somme de 7 000 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier Vauclaire à lui verser la somme de 335 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 février 2009, date de réception de son recours préalable, avec capitalisation des intérêts, outre une rente mensuelle de 174,42 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions civiles et militaires ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée ;

Vu le décret n° 63-1346 du 24 décembre 1963 modifié ;

Vu le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 modifié ;

Vu le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 modifié ;

Vu le décret n° 2005-442 du 2 mai 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mai 2014 :

- le rapport de Mme Rey-Gabriac, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Bentolila, rapporteur public ;
- les observations de Me B...du cabinet Lexia, avocat de M.D... ;


1. Considérant que M.D..., né en 1957, infirmier psychiatrique au centre hospitalier Vauclaire de Montpon-Ménestérol, a été victime d'un accident de service le 18 novembre 2003 ; que par une décision prise le 6 mai 2009 après avis de la commission de réforme, la directrice du centre hospitalier a décidé de la mise à la retraite pour invalidité de M. D..., sous réserve de l'accord de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales ; qu'à la suite d'une nouvelle expertise, l'intéressé a été admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité à compter du 1er décembre 2010 ; que M. D...fait appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 26 mars 2013 en ce qu'il a condamné le centre hospitalier à l'indemniser seulement à hauteur de 7 000 euros ; qu'il demande la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 335 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de cet accident de service, augmentée des intérêts légaux à compter de la réception de sa demande préalable et de la capitalisation des intérêts, ainsi que le versement d'une rente mensuelle de 174,42 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;


Sur le droit à réparation :

2. Considérant, d'une part, qu'en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l'Etat qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ; qu'il résulte des dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 28 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, puis de l'article L. 30 ter issu de cette loi, que le montant cumulé de la rente viagère d'invalidité et de la pension rémunérant les services ne peut excéder le traitement mentionné à l'article L. 15 ; que les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, puis les articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003 ayant le même objet, ont prévu des règles comparables au profit des fonctionnaires soumis à la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

3. Considérant, d'autre part, que l'article 80 de la loi du 9 janvier 1986 impose aux établissements de santé d'allouer aux fonctionnaires atteints d'une invalidité résultant d'un accident de service entraînant une incapacité permanente d'au moins 10 % ou d'une maladie professionnelle une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec leur traitement et versée à compter de la date de reprise des fonctions ; que l'article 4 du décret du 24 décembre 1963 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux agents permanents des collectivités locales et de leurs établissements publics, puis l'article 4 du décret du 2 mai 2005 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, ont prévu que le montant de l'allocation est fixé à la fraction du traitement brut afférent à l'indice 100 correspondant au taux d'invalidité ;

4. Considérant que, compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle ; que les dispositions, rappelées ci-dessus, qui instituent ces prestations, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; que ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. D...a chuté sur le dos au cours d'un entraînement sportif avec des patients du centre hospitalier Vauclaire, où il exerçait ses fonctions ; qu'une dégradation majeure du rachis lombaire et de l'articulation sacro-iliaque gauche avec détérioration très importante du disque L3-L4 s'étendant aux disques voisins a été mise en évidence, entraînant une raideur totale et très invalidante du tronc, des troubles névralgiques diffus et invalidants des membres inférieurs ainsi que des douleurs cervicales ; qu'il a été placé en congé de maladie jusqu'au 30 mars 2004, puis de nouveau à compter du 1er mars 2005 à la suite d'une rechute ; qu'il résulte d'une expertise ordonnée par le tribunal administratif le 31 août 2006 que les troubles présentés par M. D...sont directement liés à l'accident de service dont il a été victime le 18 novembre 2003 ; que l'expert a écarté tout état antérieur pathologique au niveau du rachis lombaire et lombo-sacré ; que par un jugement du 8 novembre 2007 devenu définitif, le tribunal a annulé l'ensemble des décisions du directeur du centre hospitalier refusant de prendre en compte les arrêts de travail prescrits à l'intéressé qui étaient postérieurs au 1er mars 2005 ainsi que les décisions le plaçant en disponibilité d'office pour maladie à compter du 1er mars 2006, lesquelles avaient été prises en considération de l'absence de lien avec l'accident de service du 18 novembre 2003 ; que par ce jugement, il a été enjoint au directeur de l'établissement de réexaminer la carrière de l'intéressé à compter du 1er mars 2005 ; que selon une nouvelle expertise ordonnée le 9 juin 2008 par le même tribunal, M. D...est définitivement inapte à toute activité professionnelle rémunérée et garde une incapacité permanente partielle (IPP) de 70 % après consolidation en date du 30 juin 2008 ; que la commission de réforme, saisie le 28 avril 2009, puis le 28 septembre 2010, a émis un avis favorable à la mise à la retraite pour invalidité de M. D..., qui est intervenue à compter du 1er décembre 2010 ;

6. Considérant que si, pour demander la réparation intégrale de son préjudice, le requérant invoque une faute de service caractérisée du centre hospitalier, il n'apporte, pas plus en appel qu'en première instance, aucun élément de nature à établir l'existence d'une telle faute ; qu'en revanche, il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en l'absence de faute du centre hospitalier, M. D...peut prétendre à la réparation par le centre hospitalier de ses préjudices personnels et des préjudices patrimoniaux non réparés forfaitairement par la rente viagère d'invalidité qu'il a perçue ; que la rente viagère d'invalidité réparant uniquement les préjudices pécuniaires subis par le fonctionnaire dans sa vie professionnelle, à savoir les pertes de revenus et l'incidence professionnelle, le requérant est fondé à demander réparation des troubles dans les conditions d'existence inhérents au déficit fonctionnel qu'il a subi, ainsi que les dépenses de santé et frais divers liés à l'invalidité qu'il a engagés ; que c'est, par suite, à tort que les premiers juges ont exclut toute indemnisation de nature patrimoniale ;


Sur le montant de la réparation :

7. Considérant, en premier lieu, que le déficit fonctionnel temporaire total (ITT) de M. D... s'étend sur une période de 44 mois et 12 jours, entre le 18 novembre 2003 et le 30 mars 2004, ainsi qu'en raison de la rechute de son état de santé, entre le 1er mars 2005 et le 30 juin 2008, date de la consolidation de cet état ; qu'il sera fait une juste évaluation de ce préjudice, sur la base d'une réparation de 690 euros par mois, en condamnant le centre hospitalier à verser à M. D...la somme de 25 000 euros ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que les deux rapports d'expertise ont évalué l'incapacité permanente partielle (IPP) de M. D...à 70 % ; que, s'agissant d'un agent né en 1957 et dont l'état est considéré comme consolidé à l'âge de 51 ans, il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en lui allouant à ce titre la somme de 183 750 euros;

9. Considérant, en troisième lieu, que les rapports d'expertise mettent en évidence la nécessité pour M. D...de bénéficier d'une assistance au titre de la tierce personne ; qu'il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en condamnant le centre hospitalier à lui verser, au titre d'une aide à domicile à raison de 5 heures par semaine, l'attribution d'une rente calculée et indexée sur la base du SMIC horaire, soit 174,42 euros par mois ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que si l'expert désigné par le tribunal n'a pas évalué les souffrances physiques endurées par M. D...sur une échelle allant de 1 à 7, il résulte de l'instruction que celui-ci souffre de douleurs para lombaires permanentes irradiant jusqu'à la fesse gauche depuis l'accident de service dont il a été victime, ainsi que de douleurs cervicales ; que l'expert a précisé qu'il devrait continuer à prendre à vie des médications et à porter une ceinture de soutien lombaire ou un corset ; qu'ainsi, ses souffrances peuvent être considérées comme assez importantes ; que par suite, le tribunal administratif a fait une insuffisante évaluation des souffrances physiques endurées par l'intéressé en lui allouant la somme de 4 000 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi par l'intéressé en l'évaluant à la somme de 20 000 euros ;

11. Considérant, en cinquième lieu, que les rapports d'expertise établissent l'impossibilité pour M. D...de pratiquer certains sports qu'il pratiquait antérieurement de façon assez assidue, notamment la plongée sous-marine, au titre de laquelle M. D...produit sa licence sportive ainsi que plusieurs attestations relevant l'importance de son activité dans ce domaine ; que, par suite, le tribunal administratif a fait une insuffisante évaluation du préjudice d'agrément subi par l'intéressé en lui allouant la somme de 3 000 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi par l'intéressé en l'évaluant à la somme de 20 000 euros ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier Vauclaire de Montpon-Ménestérol à verser à M. D...la somme de 238 750 euros en réparation de ses préjudices, outre le versement d'une rente viagère mensuelle de 174,42 euros ; que par suite, M. D... est fondé à demander la réformation du jugement à hauteur desdites sommes ;


Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

13. Considérant que M. D...a droit aux intérêts sur la somme de 238 750 euros que le centre hospitalier Vauclaire est condamné à lui verser, en application de l'article 1153 du code civil, à compter du 7 février 2009, date de réception par le centre hospitalier de sa réclamation préalable ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 14 mai 2013 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 14 mai 2013, ainsi qu'à l'échéance annuelle ultérieure ;


Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions, et de mettre à la charge du centre hospitalier Vauclaire de Mpontpon-Ménestérol une somme de 1 500 euros à verser à M. D...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;


DECIDE


Article 1er : La somme de 7 000 euros que le centre hospitalier Vauclaire de Montpon-Ménestérol a été condamné à verser à M. D...par l'article 1er du jugement n° 0902285 du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Bordeaux est portée à 238 750 euros, à laquelle s'ajoute une rente calculée et indexée sur la base du SMIC horaire de 174,42 euros par mois. La somme de 238 750 portera intérêts à compter du 7 février 2009. Les intérêts échus le 14 mai 2013 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts, ainsi qu'à l'échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le jugement n° 0902285 du 26 mars 2013 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le centre hospitalier Vauclaire versera à M. D...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...est rejeté.
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No 13BX01305