Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 25/11/2014, 13MA00312, Inédit au recueil Lebon
Date de décision | 25 novembre 2014 |
Num | 13MA00312 |
Juridiction | Marseille |
Formation | 8ème chambre - formation à 3 |
President | M. GONZALES |
Rapporteur | Mme Christine MASSE-DEGOIS |
Commissaire | Mme HOGEDEZ |
Avocats | SOUSSE |
Vu la requête et le mémoire, enregistrés le 21 janvier 2013 et le 7 novembre 2013, présentée pour M. C...A...demeurant..., par MeB... ; M. A... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1103338 en date du 21 novembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'État à lui verser une somme de 425 000 euros en réparation des préjudices subis par l'accident dont il a été victime le 24 novembre 2004 augmentée des intérêts légaux à compter du 18 avril 2011 ;
2°) d'annuler la décision implicite rejetant la demande préalable du 18 avril 2011 ensemble la décision confirmative du 27 juillet 2011 ;
3°) de condamner l'État à lui payer 110 000 euros en réparation des préjudices subis assortis des intérêts légaux à compter du 18 avril 2011 et d'ordonner la capitalisation ;
4°) de mettre à la charge de l'État, outre les dépens, une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;
Vu le code de justice administrative ;
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ayant été informées que le jugement paraissait susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 novembre 2014 :
- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteure,
- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,
- les observations de Me B... pour M. A... ;
1. Considérant que M.A..., né le 22 août 1953, agent d'exploitation spécialisé, affecté à la direction départementale de l'équipement des Pyrénées-Orientales, a été victime le 24 novembre 2004 d'une chute alors qu'il travaillait sur une échelle portable en aluminium appuyée sur la partie supérieure des portes d'un garage pour fixer des goulottes de chemin de câbles électriques ; que M. A...relève appel du jugement n° 1103338 du 21 novembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'État à lui verser une somme de 425 000 euros en réparation des préjudices subis par l'accident dont il a été victime le 24 novembre 2004 augmentée des intérêts légaux à compter du 18 avril 2011 ; que devant la Cour, il limite sa demande indemnitaire à la somme de 110 000 euros dont 20 000 euros au titre de son préjudice patrimonial et 90 000 euros au titre de son préjudice extra-patrimonial ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'en vertu de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, l'assuré social ou son ayant droit qui demande en justice la réparation d'un préjudice qu'il impute à un tiers doit indiquer sa qualité d'assuré social ; que cette obligation, sanctionnée par la possibilité reconnue aux caisses de sécurité sociale et au tiers responsable de demander pendant deux ans l'annulation du jugement prononcé sans que le tribunal ait été informé de la qualité d'assuré social du demandeur, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des caisses de sécurité sociale dans les litiges opposant la victime et le tiers responsable de l'accident ; qu'en ne communiquant pas la demande de M. A... à la mutualité fonction publique section Pyrénées-Orientales à laquelle le requérant était affilié, le tribunal administratif de Montpellier a entaché son jugement d'irrégularité ; que le jugement contesté du 21 novembre 2012 doit, par suite, être annulé ; que la procédure ayant été communiquée à la mutualité fonction publique section Pyrénées-Orientales, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M.A... ;
Sur la responsabilité :
3. Considérant que les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d'agrément ou des troubles dans les conditions d'existence, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait ;
4. Considérant que dans le dernier état de ses écritures, M. A...se limite à demander, en réparation de ses préjudices consécutifs à l'accident de service dont il a été victime le 24 novembre 2004, la somme de 110 000 euros dont 20 000 euros au titre de son préjudice patrimonial et 90 000 euros au titre de son préjudice extra-patrimonial alors qu'il sollicitait la somme de 425 000 euros dans sa requête introductive d'instance ; que, ce faisant, il doit être regardé comme renonçant à une partie de ses prétentions indemnitaires ;
5. Considérant, en premier lieu, que M. A...demande une indemnité au titre de son préjudice de carrière qu'il estime avoir subi du fait de son état à hauteur de 10 000 euros et au titre des frais de tierce personne également à hauteur de 10 000 euros ; qu'il ne pourrait prétendre à la réparation des conséquences pécuniaires de l'accident de service survenu le 24 novembre 2004 que si ce dernier devait être regardé comme la conséquence d'une faute de service de l'État ; que toutefois, alors qu'il résulte de l'instruction que M. A...perçoit une rente viagère d'invalidité et une majoration pour assistance d'une tierce personne à hauteur d'une somme totale brute mensuelle de 2 910,63 euros, en se bornant à soutenir que son " accident lui a fait perdre toute possibilité de promotion professionnelle et l'a obligé à demander prématurément la radiation des cadres " et qu'il doit engager des frais de tierce personne sans apporter à l'appui de ces assertions d'éléments justificatifs, l'intéressé n'établit pas la réalité de ces deux postes de préjudices ; que, par suite, et en tout état de cause, les conclusions présentées par M. A...tendant à la réparation des conséquences patrimoniales de son accident de service ne peuvent qu'être rejetées ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est constant et non contesté que l'accident dont la réparation est demandée par M. A...est directement lié à l'exercice de ses fonctions ; que celui-ci a ainsi droit, en vertu des principes susmentionnés, même en l'absence de faute de l'administration, à la réparation des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que ses souffrances physiques ou morales, son préjudice d'agrément et ses troubles dans les conditions d'existence ;
7. Considérant, toutefois, qu'en décidant de fixer des goulottes de chemin de câbles électriques sur un portail à l'aide d'une échelle portable en aluminium dépourvue de système de protections antidérapantes posée au sol d'un bâtiment recouvert d'un béton lisse sans même positionner un collègue en bas de l'échelle pour en assurer la stabilité, M. A...qui était un agent expérimenté dont la compétence et le sérieux étaient reconnus par sa hiérarchie, a commis une faute de nature à exonérer à hauteur de moitié l'État de son obligation de le garantir contre les risques encourus dans l'exercice de ses fonctions dès lors qu'il ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité d'agir différemment ;
8. Considérant que M. A...demande, dans l'état de ses dernières écritures, la réparation des souffrances physiques et morales qu'il a endurées à hauteur de 30 000 euros, de son préjudice d'agrément qu'il fixe à 10 000 euros et des troubles qu'il a subis dans ses conditions d'existence qu'il arrête à 50 000 euros ;
9. Considérant qu'il résulte des pièces médicales versées au dossier corroborées par un procès-verbal de gendarmerie nationale du 21 avril 2005 que M.A..., alors âgé de 51 ans, a présenté du fait de l'accident de service survenu le 24 novembre 2004 un traumatisme crânien grave, un déficit hémiparétique gauche, des contusions diffuses bilatérales, un hématome extradural frontal et pariétal droit, une ecchymose biorbitaire avec oedème facial, des hémorragies diffuses de la sphère ORL ainsi qu'une plaie cutanée externe gauche frontale latéro-orbitaire justifiant un transfert par hélicoptère dans le service de neurochirurgie de l'hôpital Joffre de Perpignan en vue de la réalisation d'une intervention chirurgicale ; qu'il résulte des mêmes pièces du dossier que l'intéressé a séjourné du 24 novembre au
28 décembre 2004 en réanimation chirurgicale puis admis en centre de rééducation et qu'il a subi une incapacité temporaire totale jusqu'au 31 mai 2005 ; qu'il résulte d'un certificat médical établi le 5 juillet 2006 par un praticien spécialisé en chirurgie orthopédique et traumatologique que l'état de santé de M. A...était à cette date stabilisé et qu'il présentait des troubles cognitifs en rapport avec les lésions frontales résultant de son accident de service, une réduction de la mobilité de l'épaule gauche ainsi que d'importantes calcifications au niveau du bassin et des hanches secondaires à l'accident de service en litige et que les lésions ainsi constatées impliquaient la poursuite d'un traitement médical ; qu'il résulte de l'instruction que M. A... garde des séquelles fonctionnelles neuropsychologiques assimilables au syndrome des traumatisés du crâne ; qu'il résulte des éléments médicaux soumis au contradictoire et non sérieusement contestés par l'employeur de M. A...que ce dernier présentait en 2011 un " trouble du jugement ", " une perturbation dans les tâches nécessitant un raisonnement logique et des difficultés mnésiques ", un sommeil perturbé, une " anxiété intense et invalidante ", " un ralentissement psychomoteur et un retentissement important dans les relations interpersonnelles et familiales " ainsi qu'une désorientation dans l'espace temps et que son état nécessitait assistance et surveillance dans les activités de la vie ; que, par ailleurs, il résulte, d'une part, d'un compte-rendu de suivi orthophonique établi le 22 mars 2013 que M. A... fait l'objet d'une prise en charge orthophonique depuis le mois de mai 2005 et que le travail réalisé au niveau du raisonnement et de la mémoire avait atteint un niveau satisfaisant en juillet 2009 et, d'autre part, d'une attestation du 7 mai 2013 d'un psychologue clinicien que M. A...fait l'objet d'un suivi psychologique bimensuel depuis le mois de février 2009 ; qu'il résulte, en outre, d'un certificat médical également non sérieusement non contesté du 4 juin 2013 d'un médecin neurologue que l'examen IRM cérébrale pratiqué en 2008 a fait apparaître des séquelles traumatiques corticales de topographie frontale avec une prédominance droite, que le tableau clinique a justifié une prise en charge psychiatrique et psychologique et que si le niveau de dépendance de M. A...s'est amélioré, ce dernier, présente des " séquelles neurologiques et comportementales " en lien avec le traumatisme crânien consécutif à l'accident de service survenu le 24 novembre 2004 ; qu'il résulte enfin de l'instruction que M.A..., avant la date de son accident de service, présidait l'amicale des agents de la subdivision de l'équipement de Prades ;
10. Considérant que, dans ces conditions et eu égard au partage des responsabilités ci-dessus mentionné, la somme que l'État est condamné à verser à M. A...en réparation des souffrances physiques et morales endurées, du préjudice d'agrément et des troubles dans les conditions d'existence subis par ce dernier est fixée à 63 000 euros tous intérêts confondus ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 et R. 61-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " et que selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable au litige : " Les dépens comprennent la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts, ainsi que les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) " ;
12. Considérant, qu'eu égard à ce qui précède, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la contribution pour l'aide juridique de 35 euros prévue à l'article R. 761-1 du code de justice administrative exposée par M. A...ainsi que la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1103338 du 21 novembre 2012 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'État est condamné à verser à M. A...la somme de 63 000 euros (soixante-trois mille euros) tous intérêts confondus.
Article 3 : L'État versera à M. A...la somme de 2 035 euros (deux mille
trente-cinq euros) en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code
de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de M. A...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, au ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité et à la mutualité fonction publique section Pyrénées-Orientales.
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N° 13MA003123