Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 13/01/2015, 13MA02122, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision13 janvier 2015
Num13MA02122
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre - formation à 3
PresidentM. GONZALES
RapporteurMme Aurélia VINCENT-DOMINGUEZ
CommissaireMme HOGEDEZ
AvocatsBOURREL

Vu la requête enregistrée le 22 mai 2013 présentée pour Mme C...A...
épouseD..., demeurant ... par
Me B...E... ; Mme D... demande à la Cour :

- d'annuler le jugement n° 1102528 rendu le 29 mars 2013 par le tribunal administratif de Toulon ;

- d'annuler l'arrêté de l'inspecteurF..., directeur des services départementaux de l'éducation nationale du Var en date du 11 juillet 2011 ;

- d'annuler la décision du Recteur de l'Académie de Nice en date du 22 juillet 2011 ;

- d'enjoindre au Recteur de l'Académie de Nice de lui payer sans délai ses arriérés de salaires sur l'ensemble des périodes de congé de maladie ;

- de condamner l'Etat au versement d'une somme globale de 32 000 € en réparation des préjudices corporel et moral qu'elle estime avoir subis, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts à compter du 18 février 2011 ;

- de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 décembre 2014 :


- le rapport de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur,

- et les observations de Me E...pour Mme A...épouseD... ;

Après avoir pris connaissance de la note en délibéré enregistrée le 17 décembre 2014 présentée pour Mme D...par Me E...et des notes en délibéré enregistrées les 16 décembre 2014 et 23 décembre 2014 présentées par le ministre de l'éducation nationale ;

1. Considérant que MmeD..., professeur des écoles, a été victime de troubles psychiques au mois d'avril 1991, alors qu'elle s'apprêtait à passer les épreuves pratiques d'un certificat d'enseignement spécialisé pour la prise en charge d'élèves en difficulté ; que sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie a été rejetée par une décision du 12 octobre 2009 de l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du Var ; que cette décision de refus a été annulée par un jugement du 18 février 2011 du tribunal administratif de Toulon ; qu'à la suite de ce jugement, l'inspecteur d'académie a, par un arrêté en date du 11 juillet 2011, maintenu Mme D...en congé de longue durée non imputable au service pour une 11ème et dernière période de 3 mois du 1er juillet 2011 au 30 septembre 2011 avec demi-traitement ; que, par ailleurs, par une lettre en date du
22 juillet 2011, le recteur de l'académie de Nice a indiqué à Mme D...qu'il convenait de soumettre son cas à un collège d'experts " afin de déterminer le lien direct et exclusif de la pathologie présentée avec l'activité professionnelle " ; que, par un jugement en date du 29 mars 2013, le tribunal administratif de Toulon a, d'une part, rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la lettre du 22 juillet 2011 comme étant irrecevables, d'autre part, après avoir estimé que par son jugement du 18 février 2011, ledit tribunal n'avait pas reconnu l'imputabilité au service de la maladie de MmeD..., rejeté au fond les conclusions dirigées contre l'arrêté du 11 juillet 2011 et, enfin, par voie de conséquence, rejeté les conclusions indemnitaires soulevées par la requérante ; que Mme D...interjette appel de ce jugement ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; (...) 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. Le fonctionnaire conserve ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Si la maladie ouvrant droit à congé de longue durée a été contractée dans l'exercice des fonctions, les périodes fixées ci-dessus sont respectivement portées à cinq ans et trois ans. / Sauf dans le cas où le fonctionnaire ne peut être placé en congé de longue maladie à plein traitement, le congé de longue durée n'est attribué qu'à l'issue de la période rémunérée à plein traitement d'un congé de longue maladie. Cette période est réputée être une période du congé de longue durée accordé pour la même affection. Tout congé attribué par la suite pour cette affection est un congé de longue durée. /Sur demande de l'intéressé, l'administration a la faculté, après avis du comité médical, de maintenir en congé de longue maladie le fonctionnaire qui peut prétendre à l'octroi d'un congé de longue durée (...) " ;
3. Considérant que, pour annuler la décision du 12 octobre 2009 ayant refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de MmeD..., le jugement du 18 février 2011, non frappé d'appel et devenu définitif, s'est exclusivement fondé sur la circonstance que l'état anxio-dépressif de l'intéressée devait être regardé comme étant en lien avec la formation professionnelle au cours de laquelle les troubles s'étaient produits la première fois ; que ces motifs, par lesquels le juge a, implicitement mais nécessairement, reconnu l'imputabilité au service de la maladie de MmeD..., sont le support nécessaire du dispositif d'annulation retenu par son jugement et sont, par suite, revêtus de l'autorité absolue de chose jugée ; que, par suite, en plaçant MmeD..., par son arrêté du 11 juillet 2011, en position de congé de longue durée non imputable au service pour une dernière période de trois mois à
demi-traitement alors qu'il lui appartenait de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la maladie et d'en tirer les conséquences et en indiquant, par une lettre du 22 juillet 2011, qui faisait grief à MmeD..., qu'elle envisageait de soumettre l'examen de son dossier à un collège d'experts alors que le tribunal avait d'ores et déjà jugé que sa maladie était imputable au service, l'administration a méconnu l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attachait au jugement d'annulation du 18 février 2011 devenu définitif ; qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête et la régularité du jugement, que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a, par le jugement attaqué, rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté en date du 11 juillet 2011 ainsi que de la lettre du 22 juillet 2011 ; que si le ministre de l'éducation nationale demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures, de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions de la requérante, il n'a cependant pas informé la Cour, avant la clôture de l'instruction, qu'il avait procédé au retrait explicite des décisions litigieuses ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué ainsi que, par l'effet dévolutif de l'appel, les décisions susmentionnées ;

Sur les conclusions indemnitaires :

4. Considérant qu'en méconnaissant, ainsi qu'il a été dit précédemment, l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attachait au jugement du 18 février 2011, le ministre de l'éducation nationale a, sans que soit pour autant caractérisée l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de la requérante, commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
En ce qui concerne le préjudice matériel :

S'agissant de la période antérieure au 1er octobre 2011 :

5. Considérant que les dispositions applicables à Mme D...étaient celles de
l'article 34 4° de la loi du 11 janvier 1984 relatives à l'octroi d'un congé de longue durée en cas, notamment, de maladie mentale, à l'exclusion de celles du 2° dudit article afférentes aux congés de maladie ordinaire ; qu'en application du 4° précité, Mme D...pouvait prétendre, dès lors que sa maladie était imputable au service, à un congé de longue durée de cinq ans à plein traitement et de trois ans à demi-traitement ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 31 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime des congés de maladie des fonctionnaires : " Lorsqu'un fonctionnaire a bénéficié d'un congé de longue durée au titre des affections énumérées à l'article 29 ci-dessus, tout congé accordé à la suite pour la même affection est un congé de longue durée, dont la durée s'ajoute à celle du congé déjà attribué. / Si le fonctionnaire contracte une autre affection ouvrant droit à congé de longue durée, il a droit à l'intégralité d'un nouveau congé de longue durée accordé dans les conditions prévues à l'article 29 ci-dessus " ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme D...a été placée en congé de longue durée pour une première période de deux ans du 1er septembre 1999 au 31 août 2001 à plein traitement ; qu'il n'est pas contesté que l'affection qui avait justifié ce placement en congé de longue durée entre 1999 et 2001 est la même que celle qui a, de nouveau, justifié le placement de l'intéressée en congé de longue durée du 1er octobre 2008 au 31 septembre 2011 (à plein traitement du 1er octobre 2008 au 30 septembre 2009 et à demi-traitement les deux années suivantes) ; que lesdites périodes de congé de longue durée pouvaient donc, en application des dispositions précitées, être cumulées ;

8. Considérant, toutefois, que si l'administration avait, comme elle aurait dû le faire, reconnu l'imputabilité au service de la maladie de MmeD..., elle aurait dû verser à celle-ci un plein traitement au lieu d'un demi-traitement au cours de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2011 ; que la perte de traitements ainsi subie par la requérante sur cette période s'élève à la somme non contestée de 28 081,54 € ;

S'agissant de la période postérieure au 1er octobre 2011 :

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un arrêté en date du 28 janvier 2014 devenu définitif, Mme D...a, à titre rétroactif, été placée à la retraite pour invalidité à compter du 1er octobre 2011 ; que les pièces produites au dossier révèlent que la pension de retraite perçue par MmeD..., telle que régularisée, est supérieure au demi-traitement qu'elle aurait été en droit de percevoir si elle avait, pendant une nouvelle période de trois ans courant du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2014, été maintenue en congé de longue durée du fait de l'imputabilité au service de sa maladie ; que, par suite, le préjudice allégué par la requérante n'est, au-delà de sa mise à la retraite, pas établi ;


En ce qui concerne le préjudice moral et psychique :

10. Considérant, en second lieu, qu'en n'exécutant pas, comme elle le devait, le jugement du 18 février 2011 et en s'obstinant à vouloir soumettre de nouveau son cas à l'avis d'experts alors que celui-ci était surabondant, l'administration, a, pendant plusieurs années, causé un important préjudice moral et psychique à l'intéressée déjà fragilisée par sa maladie ; qu'il sera fait une juste évaluation de ces préjudices en les évaluant à la somme globale de 10 000 € ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner le ministre de l'éducation nationale à verser à Mme D...la somme globale de 38 081,54 € ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

12. Considérant, d'une part, que ces sommes seront assortis des intérêts au taux légal à compter non pas du jugement du 18 février 2011 mais du 3 août 2011, date de réception de la demande préalable formulée par MmeD... à son administration ;

13. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : "Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière" ; que pour l'application des dispositions précitées la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que Mme D...a demandé, par sa requête de première instance enregistrée le 9 septembre 2011, la capitalisation des
intérêts ; que si, à cette date, les intérêts n'étaient pas encore dus pour une année entière, ils l'étaient à compter du 3 août 2012 ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 2 000 € qui sera versée à Mme D...en application desdites dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1102528 rendu le 29 mars 2013 par le tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : L'arrêté de l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux du Var en date du 11 juillet 2011, ensemble la lettre du recteur d'académie en date du 22 juillet 2011 sont annulés.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à Mme D...la somme de 38 081,54 € (trente huit mille quatre vingt un euros et cinquante quatre centimes), avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2011. Les intérêts échus à la date du 3 août 2012 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à Mme D...la somme de 2 000 € (deux mille euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A...épouse D...et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
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N° 13MA021222