Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 13/01/2015, 13BX01516, Inédit au recueil Lebon
Vu le recours, enregistré le 4 juin 2013, et le mémoire complémentaire enregistré le 24 décembre 2013, présentés pour le ministre de l'économie et des finances, auquel s'associe l'agent judiciaire de l'Etat, par MeB... ;
Le ministre de l'économie et des finances demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1101449 du tribunal administratif de Cayenne du 10 avril 2013 en tant qu'il a limité la condamnation du centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly à verser une somme de 30 000 euros à l'agent judiciaire de l'Etat au titre du remboursement de la pension militaire d'invalidité attribuée à M.A... ;
2°) de condamner le centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly à lui verser la somme de 50 233,78 euros correspondant au montant de la pension attribuée à M.A... ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 décembre 2014 :
- le rapport de Mme Florence Madelaigue, premier conseiller ;
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;
- les observations de Me Ride, avocat du ministre des finances et des comptes publics ;
1. Considérant que par jugement du 10 avril 2013, le tribunal administratif de Cayenne a considéré que la posologie de quinine prescrite à M.A..., gendarme affecté à Saint Laurent du Maroni, par un praticien hospitalier du centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly, trois fois supérieur à la posologie habituelle, était constitutif d'une faute médicale de nature à entrainer la responsabilité du centre hospitalier ; qu'il a ainsi condamné le centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly à verser à M. A... la somme de 4 769,50 euros, au ministre de la défense la somme de 44 874,89 euros et à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 30 000 euros au titre du remboursement de la pension d'invalidité attribuée à M.A... ; que le ministre de l'économie et des finances relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité la condamnation du centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly à verser une somme de 30 000 euros à l'agent judiciaire de l'Etat et demande de porter cette somme à 50 233,78 euros en faisant valoir que le tribunal administratif a commis deux erreurs, la première portant sur la représentation de l'Etat en première instance qui ne pouvait pas être assurée par l'agent judiciaire de l'Etat, la seconde erreur portant sur les modalités de la réparation à allouer au ministère de l'économie dès lors que la pension militaire d'invalidité versée à M. A...a pour objet de réparer d'autres postes que les postes de préjudice " perte de gains professionnels futurs " et " incidence professionnelle " retenus par les premiers juges ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 431-9 du code de justice administrative dans sa version applicable à l'instance : " Sous réserve des dispositions de l'article R. 431-10 du présent code et des dispositions spéciales attribuant compétence à une autre autorité, en particulier au directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière ou au directeur de l'agence régionale de santé, les recours, les mémoires en défense et les mémoires en intervention présentés au nom de l'Etat sont signés par le ministre intéressé " ; que la direction des affaires juridiques est compétente pour intervenir au nom du ministère de l'économie en vertu de l'article 3 de l'arrêté du 21 avril 2009 portant organisation de la Direction des Affaires Juridiques, aux termes duquel il assure la défense des intérêts de l'Etat devant la juridiction administrative aux fins de recouvrer les prestations d'invalidité servies aux agents ayant subi un dommage corporel ; qu'en application des dispositions précitées, le tribunal administratif aurait dû appeler en cause, outre le ministre de la défense dont relevait M.A..., le ministre de l'économie qui lui verse une pension, représenté par la direction des affaires juridiques de ce ministère ; que du fait de l'irrégularité ainsi commise, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il statue sur la réparation allouée au ministre de l'économie ;
3. Considérant que l'appel devant la cour devant être regardé en application de l'article R. 811-10 du code de justice administrative comme ayant été présenté par le ministre de l'économie, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement, dans la limite des conclusions présentées, sur les droits de l'Etat et de M. A...;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) " ;
5. Considérant qu'eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille ; que lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne ;
6. Considérant qu'en instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre des préjudices mentionnés ci-dessus, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission ; que, cependant, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices ; qu'en outre, dans l'hypothèse où le dommage engage la responsabilité de l'Etat à un autre titre que la garantie contre les risques courus dans l'exercice des fonctions, et notamment dans le cas où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager cette responsabilité, l'intéressé peut prétendre à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale ; que, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, il incombe au juge administratif de déterminer le montant total des préjudices que la pension a pour objet de réparer, avant toute compensation par cette prestation, d'en déduire le capital représentatif de la pension et d'accorder à l'intéressé une indemnité égale au solde, s'il est positif ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la pension militaire d'invalidité versée à M. A...doit être imputée d'une part, sur les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, sur le déficit fonctionnel de la victime et non sur les seuls postes pertes de gains professionnels futurs et incidence professionnelle ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de fixer à 30 000 euros l'indemnité due au titre de la perte de revenus et de l'incidence professionnelle liée à l'inaptitude au service outre-mer de M.A... ; qu'il y a lieu de fixer également à 30 000 euros l'indemnité due au titre du déficit fonctionnel permanent de M.A..., âgé de 45 ans à la date de consolidation et qui reste atteint de troubles majeurs du champ visuel ; qu'enfin, le montant de l'indemnité due au titre de l'incapacité temporaire de travail de M. A...du 10 novembre 2008 au 14 mai 2009 est évaluée à 3 000 euros ; qu'ainsi le montant des préjudices subis par M. A...que la pension militaire d'invalidité a vocation à réparer s'établit à 63 000 euros ; que par suite, le ministre de l'économie est fondé à demander qu'une indemnité du montant correspondant à la pension militaire d'invalidité attribuée à M.A..., dont les arrérages échus et le capital représentatif des arrérages à échoir s'élèvent à 50 233,78 euros, lui soit versée par le centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly ; qu'en réparation de ces préjudices, M. A...a droit, à titre d'indemnité complémentaire de la rente qui lui est versée, à la somme de 12 766, 22 euros ;
8. Considérant qu'en l'absence de contestation, le centre hospitalier doit être condamné à rembourser au ministre de la défense le montant de la rémunération servie à M. A...pendant toute la période d'incapacité temporaire totale directement liée à la faute du centre hospitalier, soit la somme de 44 874,89 euros ;
9. Considérant qu'au titre des préjudices que la pension militaire d'invalidité qu'il perçoit n'a pas pour objet de réparer, M. A...a exposé des frais de transport et de séjour à hauteur de 269,50 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées en les fixant à la somme de 3 500 euros ; que le ministre de la défense, qui a versé une provision de 3 000 euros pour ce poste est fondé à en demander le remboursement, le solde, soit 500 euros, revenant à M.A... ; qu'en revanche, en l'absence de préjudice esthétique établi, le ministre de la défense ne peut prétendre au remboursement de la somme de 1 000 euros qu'il a versée à M. A... au titre de ce préjudice ; que le préjudice d'agrément peut être fixé à la somme de 4 000 euros ; qu'il résulte des points précédents que le montant total des préjudices de M. A... restant à indemniser s'élève à la somme de 17 035,72 euros que le centre hospitalier devra lui verser sous réserve de la déduction des sommes déjà versées à titre de provision ;
10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu de faire droit aux conclusions d'aucune des parties tendant au remboursement des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
DECIDE
Article 1er : Le centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly est condamné à verser à M. A... la somme de 17 035,72 euros sous réserve de la déduction des sommes versées à titre de provision.
Article 2 : Le centre hospitalier de l'ouest guyanais Franck Joly est condamné à verser au ministre de la défense la somme de 44 874,89 euros et au ministre des finances et des comptes publics la somme de 50 233,78 euros.
Article 3 : Le jugement du 10 avril 2013 du tribunal administratif de Cayenne est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties en appel est rejeté.
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No13BX01516