Cour Administrative d'Appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 10/02/2015, 12MA04966, Inédit au recueil Lebon
Vu la requête, enregistrée le 5 décembre 2012, présentée pour M. B...C...élisant domicile..., par Me A...; M. C...demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1200163 en date du 4 octobre 2012 en tant que le tribunal administratif de Bastia a limité à la somme de 1 259 euros le montant de l'indemnité réparant ses préjudices consécutifs à l'accident médical dont il a été victime et à la somme de
900 euros le montant des frais d'expertise ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 121 963 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident médical dont il a été victime et la somme de
1 300 euros au titre des frais d'expertise ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les dépens, une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code de justice administrative ;
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ayant été informées que le jugement paraissait susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 janvier 2015 :
- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteure,
- et les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public ;
1. Considérant que M. C...relève appel du jugement du 4 octobre 2012 en tant que le tribunal administratif de Bastia a limité à la somme de 1 259 euros le montant de l'indemnité réparant les préjudices qu'il a subis consécutivement à l'accident médical dont il a été victime le 2 février 2006 et à la somme de 900 euros le montant des frais des expertises ; qu'il demande à la Cour de condamner l'Etat à lui payer 121 963 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident médical dont il a été victime ainsi que 1 300 euros au titre des frais d'expertise ; que le ministre de la défense, qui ne forme pas d'appel incident, se borne à demander le rejet de la requête de M.C... ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment des deux rapports des expertises diligentées devant le juge administratif, que M.C..., militaire depuis le mois d'août 1998, a été victime le 2 février 2006, alors qu'il effectuait un parcours d'obstacles au camp Raffalli de Calvi en Corse, d'une mauvaise réception sur sa cheville droite ; que le médecin de la Légion qui a examiné M. C...a diagnostiqué une entorse de la cheville et lui a prescrit un traitement médicamenteux antalgique et anti-inflammatoire ainsi que le port d'une attelle pendant une durée de huit jours, et recommandé l'utilisation de béquilles pendant quarante-huit heures ; que, devant la persistance des douleurs et la présence d'un oedème de la malléole externe, M. C...a, de nouveau, été examiné par un médecin des services de santé des armées le 10 février suivant, puis le 12 mars 2006, date à laquelle a été prescrit le premier examen radiographique qui a permis de diagnostiquer une fracture ostéochondrale du dôme astragalien ; que ce diagnostic de fracture a été confirmé par un arthroscanner réalisé lors d'une hospitalisation du 27 mars au 5 avril 2006 ; qu'il résulte du rapport rédigé par le sapiteur spécialisé en chirurgie orthopédie que la prise en charge initiale de M. C...à Calvi n'a pas permis d'établir le diagnostic de fracture de la cheville droite en raison de l'absence d'examen radiologique ; que les experts ont qualifié la prise en charge initiale d'insuffisante et la prise en charge à compter du 12 mars 2006 de tardive ; qu'il résulte des éléments expertaux que l'absence de diagnostic les 2 et 10 février 2006 est à l'origine d'un choix thérapeutique erroné ; que, par suite, l'Etat, qui ne le conteste pas, est responsable du préjudice résultant pour M. C...du retard fautif dans le diagnostic et la prise en charge tardive de la fracture ostéochondrale du dôme astragalien ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service (...) " ;
4. Considérant qu'eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille ; que lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne ;
5. Considérant qu'en instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre des préjudices mentionnés ci-dessus, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission ; que, cependant, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices ; qu'en outre, dans l'hypothèse où le dommage engage la responsabilité de l'Etat à un autre titre que la garantie contre les risques courus dans l'exercice des fonctions, et notamment lorsqu'il trouve sa cause dans des soins défectueux dispensés dans un hôpital militaire, l'intéressé peut prétendre à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale ; que, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, il incombe au juge administratif de déterminer le montant total des préjudices que la pension a pour objet de réparer, avant toute compensation par cette prestation, d'en déduire le capital représentatif de la pension et d'accorder à l'intéressé une indemnité égale au solde, s'il est positif ;
6. Considérant, d'une part, M.C..., qui s'est engagé au sein de la légion le
24 mai 2004 pour une durée de deux ans à compter du 7 août 2005, n'est pas fondé à reprocher au tribunal d'avoir écarté ses conclusions tendant à la réparation de son préjudice patrimonial professionnel dès lors qu'il n'établit ni l'étendue ni même la réalité de la perte de revenus alléguée liée à la perte de chance sérieuse de terminer sa carrière de militaire à 50 ans avec le grade d'adjudant chef ou de major et liée à la perte de ses droits de la retraite, alors même qu'il justifie exercer ses fonctions militaires au sein de l'armée française depuis le mois d'août 1998 ; que, d'autre part, et dès lors qu'il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise que M. C...a subi pendant quinze jours un déficit fonctionnel temporaire total et pendant sept mois un déficit fonctionnel temporaire partiel de 30%, qu'il conserve un déficit fonctionnel permanent de 9 % en lien avec la faute commise par l'Etat dans sa prise en charge médicale, contrairement à ce que l'intéressé soutient, en fixant à la somme totale de 16 851 euros le montant de la réparation de ces postes de préjudices, le tribunal n'en a pas fait une insuffisante évaluation ; que, de même, et dès lors que les experts ont évalué à 3 sur une échelle de 0 à 7 les souffrances subies par M. C...du fait des deux hospitalisations, de la réalisation du geste chirurgical, de la majoration du traitement antalgique et de la rééducation, et à 0,5 sur la même échelle le préjudice esthétique dont il reste atteint, le tribunal n'en a pas fait une inexacte évaluation en les arrêtant respectivement aux sommes de 3 000 euros et 500 euros ; qu'également, le tribunal n'a pas fait une insuffisante estimation du préjudice d'agrément de l'appelant, lié à son impossibilité de poursuivre la pratique de ses activités physiques et sportives, en le fixant à la somme de 2 500 euros ; qu'enfin, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, M. C...a droit, ainsi qu'il le fait valoir, à la réparation du préjudice permanent exceptionnel qu'il a subi, constitué par la rupture de ses liens avec ses frères d'armes et la perte de son statut social ; qu'il y a lieu de le fixer à la somme de 1 000 euros ;
7. Considérant que la faute commise par l'Etat en posant, le 2 février 2006, le diagnostic erroné d'entorse a privé M. C...d'une chance de bénéficier d'une prise en charge plus précoce et appropriée de la fracture ostéochondrale du dôme astragalien dont il était, en réalité, affecté ; qu'à supposer même que la faute ainsi commise lors de la prise en charge de
M. C...ait totalement compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, et que ce dernier ait droit à la réparation intégrale du dommage constaté, il n'établit pas, en tout état de cause, compte-tenu de ce qui a été dit au point 6 ci-dessus, que le tribunal, en mettant à la charge de l'Etat la somme de 1 259 euros en réparation de ses préjudices, en a fait une insuffisante évaluation eu égard, d'une part, au montant capitalisé de 15 700 euros, non contesté, de la pension militaire d'invalidité qu'il perçoit, d'autre part, au montant de l'indemnité de 6 910 euros que l'Etat lui a versée à la suite de la décision du 9 décembre 2011 en réparation des souffrances endurées, du préjudice d'agrément, du préjudice esthétique et du préjudice exceptionnel et, enfin, à la circonstance que les dépenses de santé au titre de frais de radiologie à engager tous les dix-huit mois, et dont il est allégué qu'elles resteraient à sa charge, ne sont pas établies par les pièces produites au dossier ;
8. Considérant, en troisième lieu, que par ordonnances en date du 18 octobre 2007 et du 9 mars 2011, les frais d'expertise ont été respectivement fixés aux sommes de 400 et 500 euros ; que, d'autre part, il résulte de l'instruction, notamment de la " Fiche de règlement d'indemnité - Décision de justice D-1306962 " produite par le ministre de la défense devant la Cour, et non contestée par M.C..., que la somme de 900 euros correspondant aux frais d'expertise judiciaire a été réglée au nom du bénéficiaire " Carpa du barreau de Bastia " le 14 juin 2013 sous la référence " A-1310640 " ; que si M. C...soutient que les frais des expertises se sont élevés à la somme de 1 300 euros, il ne l'établit pas par les pièces qu'il verse au dossier ; que, par suite, M. C...n'est pas fondé à solliciter en appel la condamnation de l'Etat à lui payer à nouveau les frais d'expertise justifiés à hauteur de la seule somme de 900 euros ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant, d'une part, que la somme de 13 euros demandée au titre des dépens correspond à des droits de plaidoirie qui ne sont pas au nombre des dépens énumérés par l'article R. 761-1 du code de justice administrative ; que les conclusions présentées à ce titre ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ; que, d'autre part, il y a lieu, au titre des dépens, de laisser à la charge de M. C...la contribution pour l'aide juridique qu'il a acquittée ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. C...une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...et au ministre de la défense.
Copie en sera adressée à la caisse nationale militaire de sécurité sociale.
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