Cour Administrative d'Appel de Marseille, 9ème chambre - formation à 3, 02/10/2015, 14MA00130, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. Jean-ClaudeMenguala demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 400 000 euros en réparation de préjudices subis résultant de décisions illégales prises par France Télécom à son encontre.
Par un jugement n° 1103221 du 15 novembre 2013, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 14 janvier 2014, M.Mengual, représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 400 000 euros en réparation du préjudice subi consécutif aux décisions illégales prises par France Télécom ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement des dépens et de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les fautes commises par France Télécom à son encontre tiennent à une procédure disciplinaire abusive, et aux nombreuses décisions annulées par le tribunal administratif de Montpellier ;
- si ces fautes ont été souvent annulées pour vice de forme, elles démontrent la volonté de France Télécom de s'opposer systématiquement et irrégulièrement à ses demandes ; la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie est intervenue au bout de 5 ans et demi de procédure ;
- cette attitude a été à l'origine d'importants problèmes financiers et de troubles dans les conditions d'existence subis par lui et sa famille ; comme il a été indûment dépourvu de tout traitement pendant plus de trois ans et de son traitement complet pendant le reste du temps, sa femme a dû effectuer de nombreuses heures supplémentaires, ils ont dû faire appel à l'aide familiale, recourir à l'emprunt et subir des pénalités de la part du Trésor Public faute de pouvoir régler les impôts, et un de ses fils renoncer à ses études ;
- cette attitude l'a également conduit à un état dépressif sévère, qui a nécessité son hospitalisation à plusieurs reprises et à des consultations de médecin psychiatre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2014, la société Orange, anciennement France Télécom, représentée par la SCP d'avocats Guillaume et Antoine Delvolvé, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête n'est pas dirigée contre la société Orange, qui doit donc être mise hors de cause, puisque tant en première instance qu'en appel M. Menguala demandé la seule condamnation de l'Etat ;
- en tout état de cause, à supposer qu'elle comporte des conclusions tendant à la condamnation de la société Orange, la requête n'est pas fondée et la Cour la rejettera par les mêmes motifs que ceux du jugement attaqué ; en tout état de cause, les allégations relatives au préjudice financier subi ne sont corroborées par aucune pièce.
Par ordonnance du 19 juin 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 10 juillet 2015.
Par lettre du 8 juillet 2015, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le fait que les conclusions sont mal dirigées.
Par mémoire enregistré le 9 juillet 2015, l'appelant maintient ses précédentes écritures et soutient, en réponse au moyen d'ordre public, que l'indemnisation demandée à l'Etat procède d'une erreur de plume et que l'indemnisation du préjudice est demandée à la société Orange.
Par lettre du 10 juillet 2015, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le fait que les conclusions, dirigées contre France Télécom devenu la société Orange, sont nouvelles en appel.
Par mémoire enregistré le 21 juillet 2015, la société Orange soutient que les moyens d'ordre public soulevés par la Cour sont fondés et que les conclusions sont irrecevables.
Par mémoire enregistré le 5 août 2015, M. Mengualsoutient, en réponse au 2ème moyen d'ordre public envoyé par la Cour, que sa demande n'est pas nouvelle en appel dès lors que le tribunal l'a traitée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
-la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
-la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
-la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 ;
-le code de justice administrative.
La présidente de la cour administrative d'appel de Marseille a désigné le 1er septembre 2015 M. Philippe Portail, président-assesseur de la 9ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de Mme Isabelle Buccafurri, présidente de la 9ème chambre.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Busidan,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me Ruffelreprésentant M.Mengual.
1. Considérant que M.Mengual, fonctionnaire titulaire du grade d'agent d'exploitation du service des lignes en fonction au sein des services de l'entreprise nationale France Télécom, devenue la société Orange, relève appel du jugement rendu le 15 novembre 2013, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande, qui tendait à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser de préjudices consécutifs, selon lui, à des décisions illégales prises par France Télécom ;
Sur la recevabilité des conclusions :
2. Considérant que si les conclusions du requérant, présentées tant en première instance qu'en appel, ont été mal dirigées, dès lors qu'elles tendent à la seule condamnation de l'Etat à raison de fautes reprochées susceptibles d'engager exclusivement la responsabilité de la société Orange, cette fin de non-recevoir ne peut être utilement opposée en appel, dès lors que le tribunal administratif n'aurait pu la retenir sans avoir préalablement invité le requérant à régulariser sa demande sur ce point ; qu'ainsi, la société Orange, qui n'avait pas soulevé cette fin de non-recevoir en première instance et a défendu au fond, ne peut utilement faire valoir en appel qu'elle devrait être mise hors de cause, alors qu'il résulte des termes du jugement attaqué que le premier juge a examiné la demande comme recherchant également la responsabilité de cette société ;
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Considérant que les préjudices dont M. Mengualdemande réparation consistent en un préjudice financier, des troubles dans les conditions d'existence et un préjudice moral ; qu'il soutient que ces préjudices découleraient indistinctement, d'une part, du lancement à partir de juillet 2003 d'une procédure disciplinaire abusive à son encontre et, d'autre part, de l'illégalité de nombreuses décisions prises entre le 16 septembre 2004 et le 21 mars 2006 et relatives aux congés maladies et au reclassement auxquels l'intéressé prétendait, comme du retard avec lequel a été reconnue l'imputabilité au service de son syndrome dépressif ;
4. Considérant, en premier lieu, s'agissant de la procédure disciplinaire, qu'après avoir été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire à compter du 11 juillet 2003, M. Menguala fait l'objet d'une sanction d'exclusion temporaire d'un an, dont 8 mois avec sursis, par une décision du 7 novembre 2003; qu'à la suite de l'ordonnance du 28 janvier 2004, par laquelle le juge des référés a suspendu l'exécution de cette sanction au motif de l'irrégularité de la composition du conseil de discipline, France Télécom a retiré la sanction par décision du 9 septembre 2004; que si la lettre de notification de ce retrait annonce la prochaine ouverture d'une enquête interne sur les faits reprochés à M. Mengual et l'éventualité d'une nouvelle procédure disciplinaire, France Télécom n'a repris aucune sanction à l'encontre de M.Mengual ;
5. Considérant que les fautes commises par France Télécom à l'égard de M. Mengualne peuvent ouvrir droit à réparation au profit du requérant qu'à la condition qu'elles soient à l'origine de préjudices personnels, directs et certains subis par lui ; qu'il résulte de l'état des paiements des traitements servis par France Télécom entre août 2003 et mars 2010, établi par le requérant lui-même, qu'en février 2004, à la suite de l'ordonnance précitée, il a reçu une somme de 5 173 euros constituant, selon ses propres termes, les "rattrapages des sommes dues jusqu'ici"; que, par suite, M. Mengualn'établit pas la réalité d'un préjudice financier, qui serait consécutif à la procédure disciplinaire ci-dessus rappelée ; qu'alors que la sanction a été suspendue par le juge moins de trois mois après avoir été décidée, et retirée par France Télécom au bout de 10 mois, il n'établit pas davantage la réalité d'un préjudice moral ou de troubles dans les conditions d'existence qui découleraient de l'infliction, puis du retrait de la sanction disciplinaire ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que les décisions en date des 16 septembre 2004, 15 décembre 2004 et 7 février 2005, 14 novembre 2005 et 21 mars 2006, prises par France Télécom relatives aux congés sollicités par le requérant en raison de son état pathologique et à sa demande de reclassement ont toutes été annulées par le tribunal administratif de Montpellier pour vices de forme ou de procédure par des jugements en date du 27 décembre 2007 et du 5 mars 2009 ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que, sur avis favorable de la commission de réforme réunie le 4 mars 2010, France Télécom a, par une décision du 16 mars 2010, d'une part reconnu à compter du 8 novembre 2004 l'imputabilité au service de la maladie développée par M.Mengal, d'autre part invité ce dernier à déposer une demande de retraite pour invalidité, dès lors que les instances médicales l'ont estimé inapte totalement et définitivement à toutes fonctions au sein de France Télécom ; qu'en prenant ces décisions illégales, et en tardant à reconnaitre l'imputabilité au service de la maladie du requérant, France Telecom a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité ;
7. Considérant que M. Mengualinvoque le fait que si France Télécom a régularisé en 2010 sa situation à compter du 8 novembre 2004, il a été privé indûment de son traitement, en partie ou en totalité, pendant de nombreuses années et que cette situation a été à l'origine des préjudices qu'il allègue ;
8. Considérant cependant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté par M.Mengal, que France Télécom a reconstitué sa carrière et lui a versé la totalité des sommes dues au titre de son traitement à compter du 8 novembre 2004 ; que d'autre part, s'il ressort des pièces versées au dossier qu'à partir de novembre 2005 l'intéressé a souvent sollicité des délais de paiement auprès du Trésor Public pour le paiement de ses dettes fiscales, ces pièces n'établissent pas que l'intéressé a dû régler des majorations ou pénalités de retard ; que, contrairement à ce qu'il allègue, elles ne justifient pas davantage le règlement d'agios ou autres frais aux établissements bancaires, ni que l'intéressé aurait dû contracter un emprunt auprès d'eux pour faire face à la baisse de ses revenus ; que, dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de chose jugée opposée en première instance par France Télécom sur le préjudice financier, M. Mengual n'établit pas la réalité du préjudice financier qu'il allègue ;
9. Considérant que M. Mengualne prouve pas non plus l'existence d'un lien de causalité entre les décisions fautives précitées et le préjudice moral allégué, qui se serait manifesté par des conséquences sur sa santé, alors que la date de l'imputabilité au service de son syndrome dépressif est antérieure à presque toutes ces décisions ;
10. Considérant, en revanche, qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des courriers sus-évoqués adressés à la trésorerie et d'attestations de membres de la famille de M. Mengual selon lesquelles ils ont dû l'aider financièrement, que l'illégalité de ces décisions, et le délai de plus de cinq ans qui a couru entre la décision du 15 décembre 2004 refusant de reconnaître son affection comme maladie professionnelle et celle du 16 mars 2010 reconnaissant l'imputabilité au service de sa maladie à compter du 8 novembre 2004, lui ont causé directement et personnellement des troubles dans les conditions d'existence ; que ces troubles concernent la période de plus de trois ans pendant laquelle il n'a perçu aucun traitement, puis la période de plus de deux années pendant laquelle il a été à demi-traitement, en méconnaissance des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée qui prévoient que si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite ; que, cependant, ces troubles dans les conditions d'existence ne peuvent s'étendre aux circonstances que son fils a arrêté ses études après l'obtention de son BTS en juin 2004, ou que sa femme aurait travaillé davantage au sein de son entreprise à compter d'août 2006, circonstances dont le lien direct avec les décisions fautives n'est, en outre, pas avéré par les pièces du dossier ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité réparant les troubles dans les conditions d'existence subis par l'appelant en l'évaluant à la somme de 3 500 euros ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Mengualest fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande indemnitaire et à demander l'annulation de ce jugement ainsi que la condamnation de France Télécom devenu la société Orange à lui verser une indemnité de 3 500 euros ;
Sur les conclusions concernant la charge des dépens :
12. Considérant que la présente instance ne comporte pas de dépens ; que, par suite, les conclusions de M. Mengualtendant à ce que les dépens soient mis à la charge de la société Orange, ne peuvent être accueillies ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
13. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société Orange une somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. Mengual; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la somme que la société Orange demande au même titre, soit mise à la charge de l'appelant qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 novembre 2013 est annulé.
Article 2 : La société Orange est condamnée à verser à M. Mengualune indemnité de 3 500 (trois mille cinq cents) euros.
Article 3 : La société Orange versera à M. Mengualune somme de 2 000 (deux mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-ClaudeMengualet à la société Orange.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Portail , président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Busidan, premier conseiller,
- Mme Giocanti, conseiller.
Lu en audience publique, le 2 octobre 2015.
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N° 14MA00130