CAA de LYON, 3ème chambre - formation à 3, 03/11/2015, 12LY02596, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C...et Blandine A...ont demandé au tribunal administratif de Lyon :
- de condamner l'Etat à leur verser une indemnité totale de 86 595 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter de la première demande, en réparation de préjudices qu'ils imputent à l'Etat au titre de sa responsabilité du fait des lois pour violation du droit communautaire ou européen et pour violation manifeste de ce même droit pas les juridictions nationales ;
- à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice européenne d'une question préjudicielle portant sur la conformité des articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans leur rédaction issue de la loi du 30 décembre 2004 et du décret du 10 mai 2005 avec l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne et ses directives d'application relatives aux régimes professionnels de sécurité sociale ;
- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 0905603 du 17 juillet 2012, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 octobre 2012 et 5 mars 2013, M. et MmeA..., représentés par MeD..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 17 juillet 2012 ;
2°) de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'une question préjudicielle sur la conformité des articles L. 24, L. 12, R. 13 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite avec l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, et ses directives d'application relatives aux régimes professionnels de sécurité sociale ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser une indemnité totale 86 595 euros en réparation des préjudices résultant pour eux de la discrimination indirecte créée par ces dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite telles que modifiées par les lois des 21 août 2003 et 30 décembre 2004 et leurs décrets d'application, qui engage la responsabilité de l'Etat du fait des lois et du fait des juridictions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un arrêt avant-dire-droit du 3 avril 2013, la Cour a sursis à statuer sur les conclusions de la requête de M. et Mme A...jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) se soit prononcée sur les questions suivantes :
1°) les dispositions combinées de l'article L. 24 et de l'article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite telles que résultant de l'application de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004 et le décret n° 2005-449 du 10 mai 2005 peuvent-elles être regardées comme opérant une discrimination indirecte entre hommes et femmes au sens de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne '
2°) les dispositions de l'article 15 du décret 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales peuvent-elles être regardées comme opérant une discrimination indirecte entre hommes et femmes au sens de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne '
3°) en cas de réponse positive à l'une des deux premières questions, une telle discrimination indirecte est-elle justifiable par les stipulations du paragraphe 4 de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne '
La CJUE a rendu sa décision sous le n° C-173/13 le 17 juillet 2014.
Par des mémoires, enregistrés les 3 septembre 2014, 15 octobre 2014, 13 novembre 2014 et 18 février 2015, M. et Mme A...demandent, dans le dernier état de ces écritures :
1°) de condamner l'Etat et la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) à leur verser une indemnité provisionnelle de 105 000 euros ;
2°) de saisir la CJUE d'une nouvelle question préjudicielle portant sur la possibilité, au regard des principes de primauté du droit communautaire et d'égalité de traitement, d'appliquer des règles jurisprudentielles conduisant, au titre du principe de non-cumul entre emploi et retraite et après l'annulation d'une décision de rejet d'une demande d'admission à la retraite avec jouissance immédiate, de liquider la pension sans procéder à un rappel ;
3°) à défaut, subsidiairement et avant-dire-droit, de condamner les mêmes à leur verser une indemnité totale de 197 615 euros en réparation de leurs préjudices ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la rédaction des articles L. 24 et R. 37 n'ouvre qu'un droit apparent de jouissance à la retraite pour les pères de trois enfants puisque le congé parental est un congé sans traitement et que celui-ci n'est instauré que depuis 1985 ; la faiblesse de la pension de retraite des femmes ne peut être compensée par un droit anticipé à la retraite ; la compensation tardive au moment de la retraite est prohibée par la jurisprudence européenne ;
- la rétroactivité ne peut être opposée aux fonctionnaires justifiant avant 2005 de quinze années d'ancienneté et de trois enfants nés antérieurement à cette loi ;
- le renvoi préjudiciel est nécessaire au regard de la convention européenne des droits de l'homme ;
- l'arrêt A...de la CJUE doit s'appliquer aux demandes antérieures au décret n° 2010-1741 du 30 décembre 2010 ; les articles L. 24, R. 37, L. 12 et R. 13 dans leur rédaction applicable au jour de sa demande d'admission à la retraite avec jouissance immédiate, a entraîné une discrimination indirecte contraire au principe d'égalité de traitement ; le décret du 30 septembre 2010 est inopposable à la demande initiale, qui lui était antérieure ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait des lois et règlements de 2003 et de 2004, voire de ceux de 2010 ;
- sa responsabilité est également engagée pour violation caractérisée des articles 141/157 et 242/267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) par le Conseil d'Etat du fait de sa jurisprudence rendue entre 2004 et 2012 ;
- un arrêt avant-dire droit est nécessaire pour chiffrer le préjudice subi ;
- l'octroi du bénéfice systématique d'un départ anticipé et d'une bonification par enfant aux fonctionnaires féminins ne permet pas de compenser l'impact des naissances sur les retraites, mais au contraire contribue à l'aggraver.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 novembre 2014 et 2 avril 2015, la ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que le dispositif législatif et réglementaire contesté ne méconnaît pas l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne en ce qu'il permet de réparer le préjudice de carrière subi par les femmes en raison de la naissance de leurs enfants et que, par suite, il ne peut être reproché à la juridiction administrative d'avoir méconnu le droit de l'Union européenne en ne faisant pas droit à l'argumentation fondée sur l'inconventionnalité du droit interne.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 19 décembre 2014, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir :
- que la demande de première instance était irrecevable dès lors qu'elle a le même objet que des demandes précédentes de l'intéressé tendant à l'annulation de décisions de refus de départ anticipé à la retraite et d'attribution de bonifications pour enfants, qui ont été rejetées par des jugements définitifs du tribunal administratif de Lyon ;
- que les dispositions relatives à la bonification pour enfants et au départ anticipé à la retraite au titre de la législation concernant les parents de trois enfants sont conformes au droit de l'Union européenne ;
- que le calcul du préjudice au titre de la bonification pour enfants est erroné, que l'impossibilité de cumuler la rémunération et une pension s'oppose au rappel de pension demandé et que le requérant ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un éventuel préjudice moral lié à une admission tardive à la retraite.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2014, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir :
- que les conclusions en appel dirigées à son encontre sont nouvelles et donc irrecevables ;
- que M. A...ne peut demander à bénéficier de la bonification pour enfants ou à être indemnisé à ce titre ;
- qu'il ne peut prétendre avoir subi un préjudice qui lui serait imputable.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 23 avril 2015, M. et Mme A...expriment leur défiance à l'égard de l'arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat n° 372426 du 27 mars 2015 Quintanel et demandent à la Cour :
- de leur allouer le bénéfice de leurs précédentes écritures ;
- à titre subsidiaire et avant-dire droit, de saisir la CJUE de questions préjudicielles portant, d'une part, sur les conditions dans lesquelles le Conseil d'Etat a interprété la jurisprudence de la CJUE par une décision Quintanel n° 372426 du 27 mars 2015 au regard des principes issus de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des articles 17 et 18 de la directive n° 2006/54 et, d'autre part, sur le point de savoir si cette décision du Conseil d'Etat a dénaturé le sens et la portée de l'arrêt A...n° C-173/13 du 17 juillet 2014 de la CJUE en violation des principes de confiance légitime et de primauté du droit communautaire ;
- à défaut et avant-dire droit, d'ordonner au ministre des finances et/ou à la CNRACL de produire les données statistiques relatives aux écarts de pension entre hommes et femmes en fonction du nombre d'enfants et d'ordonner une expertise portant sur l'analyse de ces données ;
- de condamner la société Orange ou le service des pensions de France Télécom et La Poste et/ou l'Etat à leur verser une indemnité de 12 000 euros pour le préjudice matériel et moral subi ;
- de mettre à la charge de l'Etat ou de qui il appartiendra les entiers dépens ainsi qu'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 9 juillet 2015, le Collectif égalité retraite intervient volontairement au soutien des conclusions de M. et Mme A...et demande qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Un nouveau mémoire, enregistré le 9 juin 2015, présenté par la garde de sceaux, ministre de la justice n'a pas donné lieu à communication en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Par ordonnance du 19 juin 2015, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 juillet 2015.
Un nouveau mémoire enregistré le 22 juin 2015, présenté par le ministre chargé des finances, un nouveau mémoire enregistré le 1er juillet 2015 présenté par la CNRACL ainsi que des pièces complémentaires enregistrées le 3 juillet 2015, produites pour M. et MmeA..., n'ont pas donné lieu à communication en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;
- la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ;
- la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;
- la décision C-173/13 du 17 juillet 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet ;
- les conclusions de M. Clément, rapporteur public ;
- les observations de MeD..., représentant M. et MmeA..., et de Me B..., représentant le Collectif égalité retraite.
Une note en délibéré présentée pour M. et Mme A...a été enregistrée le 22 septembre 2015.
Une note en délibéré présentée pour le Collectif égalité retraite a été enregistrée le 23 septembre 2015.
1. Considérant que M.A..., ancien agent de la fonction publique hospitalière, a demandé, le 4 avril 2005, son admission à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension en qualité de père de trois enfants ; que cette demande a fait l'objet d'une décision de refus du 18 avril 2005 opposée par la Caisse des dépôts et consignations ; que, par jugement du 18 mai 2006, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande dirigée contre cette décision ; que M. et Mme A...ont alors engagé une procédure tendant à l'indemnisation de préjudices qu'ils imputent à l'Etat, d'une part, à raison de la méconnaissance des obligations qui lui incombent pour assurer le respect, par les lois et règlements, des conventions internationales par les autorités publiques et, d'autre part, à raison de la violation manifeste du droit de l'Union européenne par la juridiction administrative ; que M. et Mme A...relèvent appel du jugement du 17 juillet 2012 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande indemnitaire présentée sur ces fondements ;
Sur l'intervention du Collectif égalité retraite :
2. Considérant qu'eu égard à son objet statutaire, l'association dénommée Collectif égalité retraite justifie d'un intérêt de nature à rendre recevable son intervention en appel au soutien de la requête présentée par M. et MmeA... ; que son intervention doit, par suite, être admise ;
Sur la régularité du jugement :
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue (...) : / 3° Sur les litiges en matière de pensions (...) ; / 7° Sur les actions indemnitaires, lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ; (...) " ; qu'en vertu de l'article R. 222-14 du même code, dans sa rédaction alors applicable, les dispositions du 7° de l'article R. 222-13 précité sont applicables aux demandes dont le montant n'excède pas 10 000 euros ;
4. Considérant qu'il ressort des mentions du jugement attaqué qu'il a été rendu par un magistrat statuant seul ; que la demande indemnitaire présentée par M. et Mme A...devant le tribunal administratif n'a pas le caractère d'un litige en matière de pensions au sens des dispositions précitées de l'article R. 222-13 du code de justice administrative et porte sur une somme supérieure à 10 000 euros ; qu'elle ne relève d'aucun des cas dans lesquels le président du tribunal ou le magistrat désigné par lui peut statuer seul sur un litige ; que, par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le jugement a été rendu par une formation de jugement irrégulièrement composée et qu'il doit être annulé ;
5. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. et MmeA... ;
Sur les conclusions indemnitaires de M. et MmeA... :
6. Considérant, d'une part, qu'aux termes du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 : " I. - La liquidation de la pension intervient : / (...) 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, ou d'un enfant vivant, âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 %, à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Sont assimilées à l'interruption d'activité mentionnée à l'alinéa précédent les périodes n'ayant pas donné lieu à cotisation obligatoire dans un régime de retraite de base, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Sont assimilés aux enfants mentionnés au premier alinéa les enfants énumérés au II de l'article L. 18 que l'intéressé a élevés dans les conditions prévues au III dudit article ; (...) " ; qu'en vertu des I et II de l'article R. 37 du même code dans sa rédaction issue du décret n° 2005-449 du 10 mai 2005 pris pour l'application des dispositions législatives précitées, le bénéfice de ces dispositions est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé de paternité, d'un congé d'adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans ;
7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 : " Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat, les bonifications ci-après : / (....) b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l'adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu'ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt et unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l'article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires et militaires bénéficient d'une bonification fixée à un an, qui s'ajoute aux services effectifs, à condition qu'ils aient interrompu leur activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat " ; qu'en vertu des dispositions de l'article R. 13 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2003-1305 du 26 décembre 2003 pris pour l'application des dispositions législatives précitées, le bénéfice de ces dispositions est subordonné à une interruption d'activité d'une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental, d'un congé de présence parentale ou d'une disponibilité pour un élever un enfant de moins de huit ans ;
8. Considérant que M. et Mme A...soutiennent que ces dispositions ont pour effet d'instituer une discrimination indirecte à l'égard des fonctionnaires de sexe masculin ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Chaque Etat membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. / 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. / L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique: / a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; / b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail. / (...). 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. "; qu'il résulte de ces stipulations, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le principe d'égalité des rémunérations s'oppose non seulement à l'application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe mais également à l'application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins sur la base de critères non fondés sur le sexe, dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe et qu'il y a discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre ; que par un arrêt du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur le renvoi préjudiciel ordonné dans la présente instance, a estimé que l'article 141 doit être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de départ anticipé à la retraite et de bonification de pension tel que celui résultant des dispositions précitées du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant notamment qu'elles prévoient la prise en compte du congé de maternité dans les conditions ouvrant droit à son bénéfice, introduirait une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire aux stipulations précitées du traité ; que, sur la base des indications ainsi données par la Cour de justice de l'Union européenne pour permettre à la juridiction nationale de statuer, il incombe à cette juridiction d'apprécier les faits et d'interpréter la législation interne, afin de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par des facteurs objectifs répondant à ces indications ;
10. Considérant que si, pendant son congé de maternité, la femme fonctionnaire ou militaire conserve légalement ses droits à avancement et à promotion et qu'ainsi la maternité est normalement neutre sur sa carrière, il résulte néanmoins de l'instruction et des données disponibles en la matière, qu'une femme ayant eu un ou plusieurs enfants connaît, de fait, une moindre progression de carrière que ses collègues masculins et perçoit en conséquence une pension plus faible en fin de carrière ; que les arrêts de travail liés à la maternité contribuent à empêcher une femme de bénéficier des mêmes possibilités de carrière que les hommes ; que, de plus, les mères de famille ont, dans les faits, plus systématiquement interrompu leur carrière que les hommes, ponctuellement ou non, en raison des contraintes résultant de la présence d'un ou plusieurs enfants au foyer ; qu'alors qu'une femme fonctionnaire sans enfant perçoit en moyenne à la fin de sa carrière une pension au moins égale à celle que perçoivent en moyenne les hommes sans enfant, les femmes avec enfants perçoivent en moyenne des pensions inférieures à celles des hommes ayant le même nombre d'enfants ; que ces écarts entre les pensions perçues par les femmes et les hommes s'accroissent avec le nombre d'enfants ; que le niveau de la pension ainsi constaté des femmes ayant eu des enfants résulte d'une situation passée, consécutive à leur déroulement de carrière ; qu'au regard de cette situation et tant qu'elle perdure, les dispositions des articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite permettant un départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate de la pension et celles des articles L. 12 et R. 13 instituant un régime de bonification offrent, dans la mesure du possible, une compensation des conséquences actuelles de la naissance et de l'éducation d'enfants sur le déroulement passé de la carrière des femmes et sont ainsi objectivement justifiées par un but légitime de politique sociale qu'elles sont propres à garantir et pour l'accomplissement duquel elles apparaissent nécessaires ; que par suite, ces dispositions ne peuvent être regardées comme méconnaissant le principe d'égalité au sens des stipulations précitées de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que les requérants ne sont ainsi fondés à rechercher la responsabilité de l'Etat, ni au titre d'un manquement à ses obligations en matière de respect, par les lois et règlements, des conventions internationales, ni au titre d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne par la juridiction administrative ; qu'ils ne sont en tout état de cause pas fondés à demander la condamnation d'autres personnes morales sur de tels fondements ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre chargé des finances et sans qu'il y ait lieu d'ordonner la production de pièces supplémentaires, d'ordonner une expertise ou de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une nouvelle question préjudicielle, que la demande de M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Lyon doit être rejetée ;
12. Considérant qu'il résulte également de ce qui précède que les conclusions de la requête d'appel de M. et Mme A... tendant à l'allocation de provisions doivent être rejetées ; qu'il en va de même de leurs conclusions en appel tendant à la condamnation de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, de la société La Poste et de la société France Télécom-Orange ou de leurs services de pension, sans qu'il soit besoin d'en examiner la recevabilité ;
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle ce que la somme que M. et Mme A...demandent au titre de leurs frais non compris dans les dépens soit mise à la charge de l'Etat ou d'autres personnes morales qui ne sont pas, dans la présente instance, des parties perdantes ; que les conclusions que le Collectif égalité retraite présente au même titre doivent également, en tout état de cause, être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : L'intervention du Collectif égalité retraite est admise.
Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 17 juillet 2012 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. et Mme A...devant le tribunal administratif de Lyon, le surplus des conclusions de leur requête et les conclusions du Collectif égalité retraite, sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C...et BlandineA..., à la garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre des finances et des comptes publics, au ministre de la décentralisation et de la fonction publique, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales et au Collectif égalité retraite.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2015, à laquelle siégeaient :
M. Boucher, président de chambre ;
M. Drouet, président-assesseur ;
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique le 3 novembre 2015.
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