CAA de PARIS, 6ème Chambre, 08/02/2016, 14PA00861, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision08 février 2016
Num14PA00861
JuridictionParis
Formation6ème Chambre
PresidentMme FUCHS TAUGOURDEAU
RapporteurM. Jean-Christophe NIOLLET
CommissaireM. BAFFRAY
AvocatsCRUSOE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...C...a, dans le dernier état de ses écritures, demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de congé de longue durée du 3 décembre 2010 ainsi que l'arrêté du 27 octobre 2011 par lequel le ministre a prononcé son admission à la retraite d'office pour invalidité, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros au titre des divers préjudices qu'elle estimait avoir subis.

Par un jugement n° 1102053/5-2 et 1111995/5-2 du 23 décembre 2013, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite rejetant sa demande de congé de longue durée formulée le 3 décembre 2010 ainsi que l'arrêté du 27 octobre 2011 prononçant son admission à la retraite d'office pour invalidité, a enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à sa réintégration juridique à effet du 4 janvier 2011 et de procéder au réexamen de ses droits au bénéfice d'un congé de longue durée après avis du comité médical et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et par deux mémoires, enregistrés le 26 février 2014, le 27 février et le 20 mars 2015 sous forme dématérialisée, MmeC..., représentée par MeA..., demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du 23 décembre 2013 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires et n'a fait que partiellement droit à ses conclusions tendant à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 6 202, 60 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, portée à 65 000 euros après actualisation au 27 février 2015, assortie des intérêts moratoires à compter de la date de réception de sa demande préalable, et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de la même somme au titre de la présente instance, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier pour être insuffisamment motivé en tant qu'il estime que les éléments invoqués au soutien de sa demande n'étaient pas assez " sérieux ", être intervenu précisément sans l'inviter à apporter tous éléments utiles au soutien de ses prétentions et être fondé sur un moyen relevé d'office sans en avoir au préalable informé les parties, en méconnaissance de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, dès lors que le ministre n'avait pas critiqué l'insuffisance des éléments en cause ;
- l'annulation contentieuse des décisions refusant de lui attribuer un congé de longue durée et l'admettant à la retraite d'office est désormais définitive et leur illégalité ouvre droit à indemnisation, au titre du préjudice matériel subi durant quatre ans au cours desquels, au lieu de percevoir une pension de retraite, elle eût dû continuer à percevoir un plein traitement pendant trois ans, puis un demi-traitement à compter du 4 janvier 2014 majoré des indemnités de sa mutuelle, au titre de la privation d'une chance sérieuse d'être reclassée dans un autre emploi et de percevoir diverses indemnités y afférentes, au titre du manque-à-gagner sur sa retraite, et en réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qu'elle estime avoir subis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2015 sous forme dématérialisée, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Par deux mémoires, enregistrés le 20 avril et le 3 décembre 2015 sous forme dématérialisée, Mme C...conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.



Elle soutient en outre que :

- un arrêté du 11 février 2015 l'a placée en congé de longue durée du 4 janvier 2011 au 30 août 2015 ; cet arrêté a finalement été retiré par un nouvel arrêté du 27 mars 2015, lequel l'a placée en congé de longue durée du 4 janvier 2008 au 3 janvier 2013 ; les dates ainsi retenues correspondent à celles qu'elle avait indiquées tout au long de la procédure en première instance, et par suite aux préjudices invoqués ;
- l'adoption initiale d'un arrêté illégal a constitué une nouvelle faute à raison de laquelle elle est fondée à demander à être indemnisée à hauteur du préjudice financier, du préjudice de carrière, des troubles dans des conditions d'existence et du préjudice moral subis ;
- aucun versement n'a été effectué par l'autorité ministérielle, malgré son placement en congé de longue durée du 4 janvier 2008 au 3 janvier 2013 par l'arrêté du 27 mars 2015.

Par ordonnance du 30 novembre 2015, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 décembre 2015.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet, rapporteur,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de Me A...pour MmeC....



1. Considérant que Mme B...C..., chef de service éducatif de la protection judiciaire de la jeunesse, affectée en dernier lieu au centre d'action éducative de Paris Château d'Eau, a bénéficié de congés de longue maladie successifs à compter du 4 janvier 2008 ; que, par un jugement du 23 décembre 2013, devenu définitif sur ces points, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite du garde des sceaux, ministre de la justice, rejetant sa demande de congé de longue durée formulée le 3 décembre 2010, ainsi que l'arrêté du 27 octobre 2011 prononçant son admission à la retraite d'office pour invalidité à effet du 4 janvier 2011 ; que, par le même jugement, le tribunal a rejeté ses conclusions indemnitaires ; qu'en exécution de ce jugement, le garde des sceaux, ministre de la justice, a, par arrêté du 27 mars 2015, placé Mme C...en congé de longue durée à plein traitement du 4 janvier 2008 au 3 janvier 2011, et à demi-traitement du 4 janvier 2011 au 3 janvier 2013 ; que Mme C...demande la réformation de ce jugement en tant qu'il a refusé de faire droit à ses prétentions indemnitaires et en ce qu'il n'a que partiellement accueilli ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que Mme C...soutient que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires alors fondées sur l'existence d'un préjudice moral et d'un préjudice de carrière, ainsi que, pour partie, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative; que, toutefois, en énonçant d'une part que la requérante n'apporte aucun argument sérieux ni aucun justificatif de nature à établir la réalité et la consistance des préjudices qu'elle invoque, et en mentionnant d'autre part qu'ils ont pris en considération les circonstances de l'espèce, pour lui allouer une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, les premiers juges ont suffisamment motivé leur décision sur ces deux points ; que, contrairement à ce que soutient MmeC..., les premiers juges n'ont, ce faisant, soulevé d'office aucun moyen ; que le bien-fondé du rejet partiel de ses conclusions est sans incidence sur la régularité du jugement ;

Sur les conclusions indemnitaires :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. L'intéressé conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence (...) 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. Le fonctionnaire conserve ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence (...) Sauf dans le cas où le fonctionnaire ne peut être placé en congé de longue maladie à plein traitement, le congé de longue durée n'est attribué qu'à l'issue de la période rémunérée à plein traitement d'un congé de longue maladie. Cette période est réputée être une période du congé de longue durée accordé pour la même affection (...) " ; qu'aux termes de l'article 27 du décret du 14 mars 1986 : "(...) Lorsqu'un fonctionnaire a obtenu pendant une période de douze mois consécutifs des congés de maladie d'une durée totale de douze mois, il ne peut, à l'expiration de sa dernière période de congé, reprendre son service sans l'avis favorable du comité médical ; en cas d'avis défavorable, il est soit mis en disponibilité, soit reclassé dans un autre emploi, soit, s'il est reconnu définitivement inapte à l'exercice de tout emploi, admis à la retraite après avis de la commission de réforme (...) " ; qu'aux termes de l'article 29 du même décret : " Le fonctionnaire atteint de tuberculose, de maladie mentale, d'affection cancéreuse, de poliomyélite ou de déficit immunitaire grave et acquis, qui est dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions et qui a épuisé, à quelque titre que ce soit, la période rémunérée à plein traitement d'un congé de longue maladie est placé en congé de longue durée selon la procédure définie à l'article 35 ci-dessous " ;



En ce qui concerne la perte de rémunération :

4. Considérant que, pour évaluer à 25 800 euros la perte de rémunération alléguée, Mme C...estime que, faute d'avoir été placée en congé de longue durée à compter du 4 janvier 2011, elle a perdu, à compter de cette dernière date, le bénéfice de trois ans de rémunération à plein traitement, puis celui de deux ans à demi-traitement que sa mutuelle avait vocation à compléter dans le cadre de la garantie de rémunération qu'elle avait souscrite, situation qu'elle compare à celle dans laquelle son employeur l'a, à tort, placée, et qui a consisté à ne la faire bénéficier, à compter du 4 janvier 2008, que d'un congé de longue maladie de trois ans, dont la première année à plein traitement et les deux suivantes à demi-traitement, pour l'admettre à la retraite d'office pour invalidité à effet du 4 janvier 2011 par l'arrêté du 27 octobre 2011 annulé par le jugement attaqué du 23 décembre 2013, devenu définitif sur ce point ;

5. Considérant, toutefois, qu'il résulte des dispositions du troisième alinéa du 4° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 que lorsqu'un congé de longue durée doit être accordé pour la même affection que celle ayant donné lieu à l'attribution d'un congé de longue maladie, la période de trois ans durant laquelle le fonctionnaire placé en congé de longue durée a droit au maintien de son plein traitement est réputée courir depuis la date à laquelle il a été placé en congé de longue maladie avec le bénéfice du plein traitement ; qu'il résulte de l'instruction que Mme C...a été placée en congé de longue maladie à effet du 4 janvier 2008 ; que si c'est à tort que l'administration l'a maintenue en position de congé de longue maladie durant trois ans à compter du 4 janvier 2008 au lieu de la placer en congé de longue durée, illégalité qu'a censurée le jugement attaqué devenu définitif sur ce point, il résulte de ce qui précède que le point de départ des trois années durant lesquelles l'intéressée eût dû percevoir son plein traitement du fait de son placement en congé de longue durée est intervenu le 4 janvier 2008 et non, comme soutenu à tort par Mme C...le 4 janvier 2011 ; que, par suite, le congé de longue durée devait prendre fin non le 3 janvier 2015, mais le 3 janvier 2013, ainsi qu'en dispose l'arrêté du 27 mars 2015 pris par le garde des sceaux, ministre de la justice ; que Mme C... n'est donc pas fondée à demander le bénéfice d'un congé de longue durée à plein traitement du 4 janvier 2011 au 3 janvier 2014 et d'un congé de longue durée à demi-traitement du 4 janvier 2014 au 3 janvier 2016 ; qu'ainsi, elle ne démontre pas l'existence d'une perte de traitement, différente de celle dont l'indemnisation doit découler de l'application de l'arrêté du 27 mars 2015 ;

En ce qui concerne le préjudice de carrière et le préjudice de retraite :

6. Considérant que si Mme C...soutient à l'appui de ses conclusions tendant à l'indemnisation d'un préjudice de carrière évalué à 25 000 euros, qu'elle aurait été privée d'une chance sérieuse d'être reclassée dans un autre emploi et privée des indemnités accordées aux personnels de la protection judiciaire de la jeunesse entre le mois de janvier 2011 et le mois d'août 2015, elle ne l'établit pas, alors qu'il résulte de l'instruction que, remplissant les conditions pour être placée en congé de longue durée, elle n'était pas en mesure de reprendre ses fonctions ; que Mme C...n'est pas davantage fondée à obtenir réparation du préjudice de retraite qui résulterait du défaut de validation de deux années de services s'achevant au mois de janvier 2013, qu'elle estime à 3 000 euros, dès lors précisément que l'arrêté du 27 mars 2015 la place en congé de longue durée jusqu'au 3 janvier 2013, ce qui implique nécessairement la validation, au tire des droits à pension civile, de la période s'achevant au 3 janvier 2013 ;



En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral :

7. Considérant que Mme C...évalue à 30 000 euros les troubles dans les conditions d'existence entrainés par la perte de sa rémunération et le préjudice moral, résultant des erreurs commises dans la gestion de sa situation administrative ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme C...a sollicité au moins à trois reprises, dès le 7 novembre 2008, son placement en congé de longue durée, et que ce n'est que par un arrêté du 27 mars 2015, pris en exécution du jugement du 23 décembre 2013 du tribunal administratif de Paris, que le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait droit à cette demande, après l'avoir d'abord placée à la retraite d'office ; que, dans ces conditions, et compte tenu de l'affection dont Mme C...est atteinte, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral qu'elle a subi et des troubles dans ses conditions d'existence, en les évaluant à 5 000 euros ; qu'il y a par suite lieu de réformer dans cette mesure le jugement attaqué ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a dans cette mesure rejeté ses conclusions indemnitaires ; qu'il y a par suite lieu de réformer ce jugement dans la mesure précisée au point précédent ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant, en premier lieu, qu'en allouant à Mme C...une somme de 2 500 euros sur le fondement de ces dispositions, les premiers juges, n'ont pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, alors même que l'intéressée se serait acquittée de 6 202, 60 euros au titre des honoraires d'avocat ;

11. Considérant, en second lieu, que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de Mme C...d'une somme de 1 500 euros au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige et non compris dans les dépens ;



DÉCIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme C...une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.
Article 2 : Le jugement n° 1102053/5-2 et 1111995/5-2 du 23 décembre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...C...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Petit, premier conseiller.

Lu en audience publique le 8 février 2016.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS-TAUGOURDEAU
Le greffier,
A-L. CHICHKOVSKY PASSUELLO
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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