Conseil d'État, 4ème chambre, 15/04/2016, 387980, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision15 avril 2016
Num387980
Juridiction
Formation4ème chambre
RapporteurMme Florence Chaltiel-Terral
CommissaireMme Sophie-Justine Lieber
AvocatsSCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février et 15 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 70 000 euros au titre de la durée excessive de la procédure juridictionnelle relative à sa pension militaire d'invalidité ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 septembre 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut à ce que le Conseil d'Etat constate le caractère excessif du délai mais ramène l'indemnisation à des proportions plus raisonnables.

Vu la demande présentée par M. B...;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Chaltiel-Terral, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de M. B...;




1. Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...a demandé le 26 mai 1981 au ministre de la défense le versement d'une pension militaire d'invalidité pour différentes affections liés à des accidents survenus dans le cadre de son service, dont une affection cervico-dorsalgique ; que le ministre n'ayant pas fait droit à cette demande, M. B... a saisi le tribunal départemental des pensions de Corse du sud qui a rendu un jugement le 24 mai 2000 ; que le ministre a pris le 18 décembre 2000 un arrêté faisant droit aux demandes de M. B...mais rejetant sa demande concernant la prise en compte de son affection cervico-dorsalgique ; que le requérant a alors saisi à nouveau le tribunal départemental des pensions de Corse du sud le 23 avril 2001 qui, après avoir diligenté une expertise en 2007, a fait droit à la demande de M. B...par un jugement du 3 juin 2009 ; que, par un arrêt du 16 mai 2011, la cour régionale des pensions de Corse a rejeté l'appel du ministre de la défense mais a rejeté également la demande de M. B...tendant au paiement des intérêts moratoires sur les arrérages de la pension militaire d'invalidité qui lui était due au titre de l'affection en cause ; que, par une décision du 6 mars 2013, le Conseil d'Etat, saisi par M. B..., a cassé cet arrêt en tant qu'il a rejeté sa demande tendant au paiement des intérêts moratoires et, réglant l'affaire au fond, a fait droit à la demande de l'intéressé ;

3. Considérant que la durée globale de la procédure, qui doit s'apprécier à compter de la date de la demande de pension présentée par M. B...auprès du ministre de la défense, cette demande étant un préalable obligatoire à la saisine de la juridiction des pensions, a été de 31 ans et 9 mois ; que si l'affaire, qui a nécessité des expertises devant le tribunal départemental des pensions, présentait des éléments de complexité, M. B...est néanmoins fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu et à demander la réparation par l'Etat des préjudices qu'il a subis pour ce motif ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en l'espèce, M. B...a subi, du fait du délai excessif de la procédure de jugement, des désagréments allant au-delà de ceux provoqués habituellement par un procès ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice moral en le fixant à 20 000 euros tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

5. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à cette société ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. B...la somme de 20 000 euros.
Article 2 : L'Etat versera à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de M. B..., la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.

ECLI:FR:CECHS:2016:387980.20160415