CAA de NANCY, 1ère chambre - formation à 3, 19/07/2018, 17NC02403, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision19 juillet 2018
Num17NC02403
JuridictionNancy
Formation1ère chambre - formation à 3
PresidentM. MESLAY
RapporteurM. Philippe REES
CommissaireM. FAVRET
AvocatsD4 AVOCATS ASSOCIÉS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C...a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 21 octobre 2015 par laquelle le président du conseil départemental des Ardennes lui a demandé de reprendre son service à compter du 2 novembre 2015, ainsi que la décision du 5 novembre 2015 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement no 1502630 du 1er août 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé les décisions attaquées.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 octobre 2017 et 1er mars 2018, le département des Ardennes, représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement no 1502630 du 1er août 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;


2°) de rejeter la demande présentée par Mme C...devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

Le département des Ardennes soutient que :

- eu égard au poste qu'elle occupait et à la nature de son handicap, et nonobstant l'absence de consolidation de son état de santé, Mme C...était apte à reprendre ses fonctions le 2 novembre 2015 ;
- l'état de santé de Mme C...n'était plus, à cette date, imputable à son accident de service.


Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2018, MmeC..., représentée par la SCP Ledoux-Ferri Yahiaoui-Riou, conclut au rejet de la requête et à la condamnation du département des Ardennes à lui verser une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme C...soutient que la requête a perdu son objet dès lors que, par des arrêtés des 12 et 16 octobre 2017, devenus définitifs, le président du conseil départemental des Ardennes l'a placée en congé pour invalidité temporaire imputable au service du 31 octobre 2015 au 12 septembre 2017 et en congé de longue maladie du 13 septembre au 7 décembre 2017, et au surplus qu'aucun des moyens soulevés par le département n'est fondé.


Par un mémoire en réplique, enregistré le 1er mars 2018, le département des Ardennes conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.

Le département soutient, en outre, que les arrêtés des 12 et 16 octobre 2017 n'ont pas d'incidence sur l'instance d'appel dès lors qu'ils ont été pris en exécution du jugement attaqué afin de placer l'intéressée dans une position statutaire légale.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., pour le département des Ardennes, ainsi que celles de MeD..., pour MmeC....




Considérant ce qui suit :

1. Le 30 septembre 2013, Mme B...C..., alors assistante socio-éducative au sein du département des Ardennes, a été victime d'un accident, dont le président du conseil général a reconnu l'imputabilité au service par un arrêté du 15 octobre 2013, et à la suite duquel elle a fait l'objet, sans discontinuer, de plusieurs arrêts de travail du 1er octobre 2013 au 30 octobre 2015. Le 21 octobre 2015, le président du conseil général lui a ordonné de reprendre ses fonctions à compter du 2 novembre suivant. Le 5 novembre 2015, il a rejeté le recours gracieux formé par Mme C...contre cette décision.

2. Le département des Ardennes relève appel du jugement du 1er août 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé ces deux décisions.

Sur le non-lieu à statuer :

3. Mme C...soutient que la requête a perdu son objet dès lors que, par des arrêtés des 12 et 16 octobre 2017, postérieurs à son enregistrement à la cour, le président du conseil départemental des Ardennes l'a placée en congé pour invalidité temporaire imputable au service du 31 octobre 2015 au 12 septembre 2017 et en congé de longue maladie du 13 septembre au 7 décembre 2017.

4. Toutefois, l'arrêté du 12 octobre 2017, auquel renvoie expressément celui du 16 octobre, a été pris au visa, notamment, du jugement attaqué et, par ces deux arrêtés, le président du conseil départemental des Ardennes s'est borné à tirer les conséquences nécessaires de ce jugement en plaçant Mme C...dans une position statutaire régulière au regard du motif de l'annulation prononcée, comme il était légalement tenu de le faire.

5. Dans ces conditions, alors même que lesdits arrêtés n'ont fait l'objet d'aucune contestation dans le délai de recours, ils ne sauraient priver d'objet le litige relatif aux décisions des 21 octobre et 5 novembre 2015, qui se poursuit devant le juge de l'excès de pouvoir en appel.

Sur la légalité des décisions attaquées :

6. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 58. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite ".

7. Il ressort des pièces du dossier que, le 30 septembre 2013, Mme C...a violemment cogné son index gauche contre un mur dans les locaux de son service. Le diagnostic initial d'une fracture a été ultérieurement remis en cause mais une algodystrophie s'est manifestée au niveau du doigt touché, occasionnant à Mme C...des douleurs et une gêne physique.

8. Pour estimer que Mme C...était apte à reprendre ses fonctions à compter du 2 novembre 2015, le département s'est fondé sur l'expertise médicale effectuée le 26 mars 2015 par le docteurA..., praticienne hospitalière au centre hospitalier universitaire de Reims, laquelle a indiqué qu'une reprise des activités professionnelles de l'intéressée était envisageable. Toutefois, ces conclusions quant à la capacité de l'intéressée à reprendre ses fonctions, soit ne sont pas corroborées, soit sont expressément contredites par l'ensemble des autres avis médicaux versés au dossier, qui émanent de plusieurs experts ayant examiné Mme C... à la demande du département et ont, pour la plupart, été établis postérieurement au 26 mars 2015, ainsi que par les avis de la commission départementale de réforme des 29 mai et 18 septembre 2015, également postérieurs à l'expertise du DrA.... Il en ressort qu'à la date du 2 novembre 2015, les douleurs et la gêne physique éprouvées par Mme C..., qui se manifestaient de manière inopinée, restreignaient ses capacités fonctionnelles à accomplir des gestes simples et ne se résorbaient qu'au prix d'un repos prolongé. Il en ressort également que ces manifestations étaient suffisamment sévères pour mettre Mme C...dans l'incapacité physique d'exercer ses fonctions de " correspondante locale d'insertion ", même si celles-ci étaient moins exigeantes que celles d'éducatrice spécialisée en charge d'enfants qu'elle occupait auparavant.

9. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le département, il ne résulte d'aucune des expertises réalisées à sa demande par différents psychiatres entre décembre 2015 et juillet 2016 que l'état de santé de Mme C...la mettant dans l'impossibilité de reprendre ses fonctions à partir du 2 novembre 2015 résultait des séquelles psychologiques ou psychiatriques de l'accident sur la voie publique dont elle avait été victime en 1990, à plus forte raison qu'il était exclusivement imputable à de telles séquelles.

10. Dans ces conditions, en considérant que l'état de santé de Mme C...n'était plus en lien avec l'accident de service survenu en septembre 2013 et que l'intéressée était apte à reprendre ses fonctions le 2 novembre 2015, le président du conseil général des Ardennes a fait une inexacte application des dispositions précitées.

11. Par conséquent, le département des Ardennes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé les décisions litigieuses des 21 octobre et 5 novembre 2015. Dès lors, ses conclusions à fin d'annulation ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme C...qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le département des Ardennes demande au titre des frais exposés par lui en appel et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du département des Ardennes une somme à verser à Mme C...au titre de ces mêmes dispositions.


Par ces motifs,

DECIDE :
Article 1er : La requête du département des Ardennes est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme B...C...tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département des Ardennes et à Mme B...C....
Copie en sera adressée au préfet des Ardennes.
2
N° 17NC02403