CAA de MARSEILLE, 9ème chambre - formation à 3, 25/09/2018, 15MA05040, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision25 septembre 2018
Num15MA05040
JuridictionMarseille
Formation9ème chambre - formation à 3
PresidentMme BUCCAFURRI
RapporteurMme Micheline LOPA-DUFRENOT
CommissaireM. ROUX
AvocatsLEMAIRE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...B...a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la SA France Telecom, devenue SA Orange, à lui verser la somme de 100 156, 93 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du défaut de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie et de mettre à la charge de la SA Orange la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de la justice administrative.

Par un jugement n° 1302143 du 5 novembre 2015, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.


Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 30 décembre 2015 et le 18 juillet 2016, MmeB..., représentée par MeE..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 novembre 2015 ;
2°) de condamner la SA France Telecom, devenue SA Orange, à lui verser la somme de 99 156, 93 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du défaut de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie ;
3°) de mettre à la charge de la SA Orange la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de la justice administrative;

Elle soutient que :
- depuis le 4 avril 2005, malgré ses demandes réitérées, France Telecom n'a pas mis en oeuvre les procédures utiles en vue de la reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service alors que son affection est consécutive à l'aggravation de son état de santé résultant des agissements de son employeur en ne prenant pas les mesures appropriées afin de mettre fin au comportement humiliant et vexatoire de son supérieur hiérarchique ;
- l'inertie de France Telecom l'a empêchée de faire valoir ses droits et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir contesté les décisions de son employeur écartant l'application des règles régissant les accidents de travail et des maladies professionnelles ;
- le 27 janvier 2011, la commission de réforme a procédé à ce même constat en considérant imputable au service, son état anxio-dépressif sévère la mettant dans l'incapacité de continuer ses fonctions ;
- les décisions la plaçant en congé de maladie ordinaire, de longue maladie, de maladie de longue durée, en disponibilité d'office sont incompatibles avec la décision de mise à la retraite pour invalidité imputable au travail.


Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 juin 2016, le 28 juin 2016 et le 27 juin 2018, la SA Orange, représentée par la SCP Aiache Tirat, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme B...de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de la justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 modifié, portant règlement d'administration publique pour l'application des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lopa Dufrénot,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Mme B...et de MeA..., représentant la SA Orange.





Considérant ce qui suit :

1. MmeB..., agent titulaire au sein de la société France Télécom, désormais SA Orange, a été reconnue définitivement inapte à toute fonction et admise à la retraite pour invalidité imputable au service à compter du 1er février 2011. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices financier et moral, qu'elle estime avoir subis depuis le 1er avril 2005, et résultant du défaut de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie.

2. Aux termes de l'article 34 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. L'intéressé conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Les dispositions du deuxième alinéa du 2° du présent article sont applicables au congé de longue maladie. 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. Le fonctionnaire conserve ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Si la maladie ouvrant droit à congé de longue durée a été contractée dans l'exercice des fonctions, les périodes fixées ci-dessus sont respectivement portées à cinq ans et trois ans (...) ". Le droit, prévu par ces dispositions, de conserver l'intégralité du traitement est soumis à la condition que la maladie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions.

Sur la responsabilité de SA Orange :

3. En premier lieu, par arrêt rendu le 29 novembre 2011, la Cour a reconnu la faute de France Télécom à n'avoir pris aucune mesure adéquate pour remédier au comportement humiliant et vexatoire dont Mme B...a été victime pendant trois ans de 1997 à 1999, et dénoncé dès le 23 juin 1997, de la part de son supérieur hiérarchique M. S., de nature à engager sa responsabilité à l'égard de celle-ci.


4. Par ce même arrêt revêtu de l'autorité de la chose jugée, la cour a condamné France Télécom a réparé notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence, subis du fait de cette faute. En conséquence, Mme B...ne saurait demander réparation du préjudice consécutif à cette même faute commise par France Télécom.

5. En second lieu, en revanche, il résulte de l'instruction que, postérieurement aux faits précités imputables à son supérieur hiérarchique sur le site de Carpentras, à compter du 1er juin 1998, Mme B...a été affectée sur le site d'Avignon où elle a poursuivi sa carrière. Dès le 6 septembre 2003, elle a déposé plainte du chef de harcèlement moral contre celui-ci. Par jugement du 16 décembre 2004, le tribunal correctionnel de Carpentras a, toutefois, relaxé M. S. des fins de la poursuite en raison de la prescription de l'action publique. En arrêt maladie en raison de troubles anxio-dépressifs, Mme B...a été placée en congé de longue maladie à compter du 3 janvier 2005 puis en congé de longue durée à compter du 3 janvier 2006. Dans son avis du 2 février 2016, la commission de réforme conclut que l'affection que présente la requérante ne relève pas d'une maladie professionnelle. Au vu de l'avis favorable de la commission de réforme du 27 janvier 2011, Mme B...a été admise à la retraite pour invalidité imputable au service, à compter du 1er février 2011. Il ressort de l'ensemble des pièces médicales produites aux débats, notamment des certificats de ses médecins traitants et du rapport d'expertise du docteur Spinosi du 13 janvier 2006 que Mme B...a fait l'objet d'une prise en charge, notamment psychiatrique en 2001 et à compter de juillet 2003, de manière continue pour un syndrome anxio-dépressif consécutif à des conflits professionnels, réactivés par l'enquête pénale consécutive à sa plainte, aggravant la décompensation de son état psychique. Dans son rapport médical du 2 novembre 2009, le docteur Medjadji, expert psychiatre, intervenu dans le cadre de la procédure d'admission à la retraite, conclut que Mme B... présente des troubles dépressifs majeurs depuis 1997 et des troubles phobiques invalidants depuis 2005. Il ne ressort pas de l'instruction que la requérante aurait souffert d'antécédent psychiatrique. En conséquence, en dépit de l'avis de la commission de réforme du 2 février 2016, eu égard à la chronologie des faits ainsi relatés, des pièces médicales produites et de l'avis de la commission de réforme du 27 janvier 2011, la pathologie dont souffre MmeB..., à l'origine de ses arrêts de travail à compter du 1er avril 2005 et jusqu'à sa mise à la retraite, le 1er février 2011, doit être regardée comme directement imputable au service. Par suite, en s'abstenant de reconnaître l'imputabilité au service des arrêts de travail de Mme B...à compter du 1er avril 2005 et jusqu'au 1er février 2011, la SA Orange a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur les préjudices :

6. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.


7. Mme B...demande, à titre de la réparation de son préjudice financier, une indemnité représentant la différence entre les traitements perçus et ceux qu'elle aurait dû percevoir si sa pathologie avait été reconnue comme étant imputable au service, du 1er avril 2005 au 11 février 2011, une indemnité compensatrice de congés payés annuels qu'elle n'a pu prendre durant cette période et une indemnité représentant l'allocation temporaire d'invalidité de 30 % à compter du 1er avril 2005.


7. En premier lieu, le préjudice résultant pour Mme B...d'avoir été dans l'impossibilité de prendre les congés payés dus en raison de ses congés de maladie du 1er avril 2005 au 11 février 2011, au titre duquel elle demande réparation ne peut être regardé comme étant en lien de causalité direct avec la faute retenue au point 5 commise par la SA Orange.


8. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire qui a été atteint d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'au moins 10 % ou d'une maladie professionnelle peut prétendre à une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec son traitement dont le montant est fixé à la fraction du traitement minimal de la grille mentionnée à l'article 15 du titre Ier du statut général, correspondant au pourcentage d'invalidité " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 6 octobre 1960 portant règlement d'administration publique pour l'application des dispositions de l'article 23 bis de l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires : " L'allocation temporaire d'invalidité prévue à l'article 65 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat est attribuée aux agents maintenus en activité qui justifient d'une invalidité permanente résultant : a) Soit d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'un taux rémunérable au moins égal à 10 % (...) La demande d'allocation doit, à peine de déchéance, être présentée dans le délai d'un an à partir du jour où le fonctionnaire a repris ses fonctions après la consolidation de la blessure ou de son état de santé (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 du même décret : " La réalité des infirmités invoquées par le fonctionnaire, leur imputabilité au service, la reconnaissance du caractère professionnel des maladies, les conséquences ainsi que le taux d'invalidité qu'elles entraînent sont appréciés par la commission de réforme prévue à l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Le pouvoir de décision appartient dans tous les cas au ministre dont relève l'agent et au ministre chargé du budget ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article 4 du même décret : " L'entrée en jouissance de l'allocation temporaire d'invalidité est fixée à la date de reprise des fonctions après consolidation ou, dans les cas prévus au quatrième alinéa de l'article 1er, à la date de la constatation officielle de la consolidation de la blessure ou de l'état de santé de l'intéressé ".


9. Si Mme B...demande le versement d'une indemnité correspondant à l'allocation temporaire d'invalidité pour la période du 1er avril 2005 et 11 février 2011 en application de l'article 65 de la loi du 11 janvier 1984, elle ne soutient, ni même allègue que son état de santé était consolidé avant le 11 février 2011. Par suite, Mme B...n'est pas fondée à solliciter le versement d'une telle indemnité.

10. En revanche, en conséquence de la faute commise par la SA Orange, Mme B...a droit, comme elle le demande, à la réparation du préjudice financier correspondant à la différence entre les traitements qu'elle a perçus et ceux qu'elle aurait dû percevoir si sa pathologie avait été reconnue comme étant imputable au service, du 1er avril 2005 au 1er février 2011, date de sa mise à la retraite. Toutefois, l'état de l'instruction ne permet pas à la Cour de fixer le montant de l'indemnité due, à ce titre, à MmeB.... A cette fin, il y a lieu d'ordonner, avant-dire droit, un supplément d'instruction et d'inviter la SA Orange à produire à la Cour, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, un tableau comprenant, sur toute la période précitée, les informations relatives à la rémunération nette qui aurait dû être versée à Mme B...et la rémunération nette effectivement versée à celle-ci.




D É C I D E :




Article 1er : Avant de statuer sur l'évaluation du préjudice financier de MmeB..., il est procédé à un supplément d'instruction à fin de la production, par la SA Orange, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, d'un tableau comprenant sur toute la période comprise entre le 1er avril 2005 et 11 février 2011, les informations relatives à la rémunération nette qui aurait dû être versée à Mme B...et la rémunération nette effectivement versée à celle-ci.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B...et à SA Orange.


Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018, où siégeaient :

- Mme Buccafurri, présidente,
- MmeC..., première conseillère,
- Mme Lopa Dufrénot, première conseillère.

Lu en audience publique, le 25 septembre 2018.
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N° 15MA05040