CAA de BORDEAUX, 6ème chambre - formation à 3, 08/10/2018, 16BX02317, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...B...agent des Douanes, a été victime le 11 juin 2009, d'un accident, reconnu comme accident de service par décision du 21 mars 2012 de la direction générale des douanes et des droits indirects. Une incapacité permanente partielle de 30% lui a été reconnue, entrainant l'attribution d'une allocation temporaire d'invalidité (ATI) par le service des retraites de l'Etat le 21 mai 2013. Mme B...a demandé au tribunal administratif de la Martinique la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 132 750 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'accident de service du 11 juin 2009.
Par un jugement n° 1400618 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de la Martinique a condamné l'Etat à verser à Mme B...la somme globale de 80 255,20 euros.
Procédure devant la cour :
Par un recours du 13 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publics, demande à la cour la réformation du jugement du 12 mai 2016 du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il condamne l'Etat à verser à Mme B...les sommes de 44 000 euros au titre de l'incapacité permanente partielle, 1 755,20 euros, au titre des frais de transport, et 1 000 euros au titre du préjudice moral.
Il soutient que :
- le jugement attaqué comporte une erreur de droit quant aux condamnations prononcées au titre du déficit fonctionnel permanent résultant de l'incapacité permanente partielle, du préjudice moral et des frais de transport ;
- en effet, en ce qui concerne le déficit fonctionnel permanent, le tribunal, tout en considérant qu'il n'y avait pas de faute de l'Etat, a condamné l'Etat à verser à Mme B... une somme de 44 000 euros au titre de l'incapacité permanente, alors qu'elle bénéficie de l'ATI ; le jugement est contraire aux arrêts du 7 octobre 2013 du Conseil d'Etat selon lesquels les prestations d'invalidité réparent à la fois les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et d'autre part, le déficit fonctionnel permanent entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles ; le tribunal a donc commis une erreur de droit en mettant à la charge de l'Etat une somme de 44 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent alors que Mme B... bénéficiait déjà de l'ATI ;
- en deuxième lieu, si le tribunal a accordé une indemnisation de 1 000 euros à Mme B... au titre du préjudice moral, le préjudice moral ne peut faire l'objet d'une indemnisation spécifique ayant déjà été indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent ;
- en troisième lieu, c'est à tort que le tribunal administratif a accordé à Mme B... la somme de 1 755,20 euros en remboursement de frais de transport en considérant que ces dépenses étaient en lien avec l'accident, alors que dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute, comme c'est le cas en l'espèce, la réparation des préjudices économiques et des dépenses de santé est exclue ;
Par un mémoire en défense enregistré le 22 septembre 2016, Mme B...représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête du Ministre des Finances.
Elle fait valoir que l'allocation temporaire d'invalidité est une allocation qui indemnise la perte de salaires mais en aucun cas ne prend en compte l'intégralité du préjudice alors que le déficit fonctionnel permanent permet d'englober l'ensemble des dommages occasionnés par l'accident ; le préjudice moral consécutif à l'accident de service doit être dissocié du déficit permanent ; les procédures d'indemnisation doivent prendre en compte toutes les conséquences dommageables de l'accident de service ; les frais de transport qu'elle a du engager pour se rendre dans des services hospitaliers sont liés à son état de santé et à l'accident de service dont elle a été victime ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-11 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila,
- et les conclusions de Mme Molina-Andréo rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., agent des Douanes, a été victime le 11 juin 2009, d'un accident, reconnu comme accident de service par une décision du 21 mars 2012 de la direction générale des douanes et des droits indirects. Un taux d'incapacité permanente partielle à hauteur de 30 % lui a été reconnu par les services de l'Etat, qui lui ont attribué, le 21 mai 2013, une allocation temporaire d'invalidité. Mme B...a demandé au tribunal administratif de la Martinique la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 132 750 euros, en réparation de différents préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de l'incapacité permanente partielle inhérente à son accident de service. Par un jugement du 12 mai 2016, le tribunal administratif de la Martinique a donné satisfaction partielle à Mme B... en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 80 255,20 euros en réparation de différents préjudices subis. Le ministre demande la réformation du jugement en tant qu'il emporte condamnation de l'Etat à hauteur de 44 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent inhérent à l'incapacité permanente partielle de 30 %, de 1 000 euros au titre du préjudice moral, et de 1 755, 20 euros en remboursement de frais de transport de Mme B... pour se rendre de la Martinique au centre hospitalier des Quinze-Vingts à Paris, les 24 août 2010 et 10 décembre 2010 afin d'y subir des interventions chirurgicales.
2. En vertu de l'article 1er du décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 : " L'allocation temporaire d'invalidité prévue à l'article 65 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat est attribuée aux agents maintenus en activité qui justifient d'une invalidité permanente résultant : a) Soit d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'un taux rémunérable au moins égal à 10 % (...) ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Le taux d'invalidité rémunérable est déterminé compte tenu du barème indicatif prévu à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite. (...) ". L'allocation temporaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle.
3. Ces dispositions, qui instituent ces prestations, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.
4. En premier lieu, le ministre des finances et des comptes publics soutient que les premiers juges auraient commis une erreur de droit en condamnant l'Etat à verser à Mme B... une somme de 44 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent inhérent à l'incapacité permanente partielle dont elle est atteinte, alors que selon le ministre l'allocation temporaire d'invalidité réparerait déjà forfaitairement les troubles inhérents à cette incapacité. Toutefois, l'allocation temporaire d'invalidité répare de façon forfaitaire les conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, pour un agent atteint d'incapacité permanente partielle qui reste en activité alors que le déficit fonctionnel permanent se rapporte aux postes de préjudice personnel postérieurs à la consolidation. Dans ces conditions, le tribunal administratif, en condamnant l'Etat, tout en considérant qu'il n'y avait pas de faute de l'Etat, à verser à Mme B...une somme de 44 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence inhérents à l'incapacité permanente partielle dont elle est atteinte, n'a pas commis d'erreur de droit, alors même que Mme B...bénéficie de l'allocation temporaire d'invalidité.
5. En deuxième lieu, le ministre fait valoir que le jugement serait également entaché d'une erreur de droit en ce qu'il condamne l'Etat à verser à Mme B...la somme de 1 755, 20 euros en remboursement de frais de transport pour se rendre de Martinique au centre hospitalier des Quinze-Vingts à Paris, les 24 août 2010 et 10 décembre 2010 afin d'y subir des interventions chirurgicales. Toutefois ces dépenses qui sont justifiées au dossier, ce qui d'ailleurs n'est pas contesté par le ministre, relèvent de dépenses patrimoniales non couvertes par l'allocation temporaire d'invalidité, dont la réparation peut être accordée à l'intéressée même sans faute de l'Etat.
6. En troisième lieu, ainsi qu'il est susmentionné, la somme de 44 000 euros allouée par le tribunal administratif à Mme B...au titre du déficit fonctionnel permanent, répare les troubles dans les conditions d'existence afférents à l'incapacité permanente partielle dont elle est atteinte, ce qui ne recouvre pas le préjudice moral. Dans ces conditions, le moyen invoqué par le ministre selon lequel le tribunal aurait commis une erreur de droit, en accordant une indemnisation de 1000 euros à Mme B... au titre du préjudice moral, alors que ce préjudice devrait être regardé comme ayant déjà été indemnisé au titre des sommes allouées à l'intéressée au titre du déficit fonctionnel permanent, doit être écarté.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics, n'est pas fondé à demander la réformation du jugement du 12 mai 2016 du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il emporte condamnation de l'Etat à hauteur de 44 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent inhérent à l'incapacité permanente partielle de 30 %, de 1 000 euros au titre du préjudice moral, et de 1 755, 20 euros en remboursement de frais de transport exposés par Mme B...pour se rendre dans un centre hospitalier en métropole. La requête d'appel du ministre des finances et des comptes publics doit donc être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre des finances et des comptes publics est rejetée
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie et des finances et à Mme C... B....
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M., Pierre Bentolila, président-assesseur,
M. Axel Basset, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.
Le rapporteur,
Pierre Bentolila
Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 16BX02317