Conseil d'État, 8ème chambre, 12/06/2019, 420669, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision12 juin 2019
Num420669
Juridiction
Formation8ème chambre
RapporteurM. Laurent Domingo
CommissaireMme Karin Ciavaldini
AvocatsSCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Vu la procédure suivante :

M. B...A..., titulaire d'une pension militaire d'invalidité, concédée par un arrêté du 30 octobre 2006 au taux de 70 %, a demandé au tribunal des pensions militaires des Bouches-du-Rhône d'annuler l'arrêté du 30 septembre 2013 du ministre de la défense en tant qu'il a rejeté ses demandes des 27 juillet et 17 septembre 2012 tendant à la reconnaissance d'un droit à pension, d'une part, pour une nouvelle infirmité de " vertiges ", au taux de 10 %, d'autre part, pour de nouvelles affections qualifiées de " discopathies "," cervicalgies " et " coxarthrose ", et à la majoration des taux d'indemnisation de plusieurs pathologies déjà reconnues. Par un jugement n° 14/00015 du 21 juillet 2016, ce tribunal a annulé l'arrêté en tant qu'il a statué sur l'infirmité de " coxarthrose gauche ", dit que cette infirmité devait être indemnisée au taux de 30 %, dont 15 % imputable à l'infirmité " séquelles de traumatisme du genou gauche ", et rejeté le surplus de ces demandes.

Par un arrêt n° 2018/15 du 12 mars 2018, la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence a, sur appel de M.A..., infirmé le jugement du 21 juillet 2016, porté à 30 % le taux de la pension servie pour " coxarthrose gauche très évoluée avec indication de prothèse de la hanche " imputable à l'infirmité " séquelles de traumatisme de genou gauche ", fixé à 20% celui de la pathologie " discopathies lombaires ", dont 10 % imputable aux " séquelles de traumatisme du genou gauche", et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 16 mai 2018 et le 21 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à la reconnaissance d'un droit à pension pour " vertiges " ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit dans cette mesure à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. A...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., militaire de carrière entre 1965 à 1994, titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive au taux global de 70 %, dont 30% pour acouphènes, concédée par un arrêté du 30 octobre 2006, a demandé par un courrier du 27 juillet 2012 à être indemnisé à raison d'une nouvelle pathologie de vertiges au taux de 30 %. Par un arrêté du 30 septembre 2013, le ministre de la défense a, notamment, rejeté cette demande. M. A...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 mars 2018 par lequel la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement du 21 juillet 2016 du tribunal des pensions militaires des Bouches-du-Rhône rejetant cette demande.

2. Au nombre des règles générales de procédure que les juridictions des pensions sont tenues de respecter figure celle selon laquelle leurs décisions doivent mentionner les textes dont elles font application.

3. Pour juger que la preuve de l'imputabilité au service accompli dans les forces marines des vertiges dont souffre M. A... n'était pas apportée, la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence, si elle s'est nécessairement fondée sur les dispositions de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, ne fait mention dans son arrêt de ce texte ni d'aucun autre. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A... est fondé à soutenir que l'arrêt qu'il attaque est entaché d'irrégularité et à en demander, pour ce motif, l'annulation en tant qu'il a statué sur sa demande tendant à la reconnaissance d'un droit à pension pour des vertiges.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

5. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) ". Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service, constatée dans les conditions qu'elles prévoient.

6. Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité prévue à l'article L. 3 précité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, le demandeur de la pension doit apporter la preuve de l'existence d'une relation certaine et directe de cause à effet entre les troubles qu'il invoque et des circonstances particulières de service à l'origine de l'affection. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité est apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.

7. En premier lieu, en jugeant que M. A...n'avait produit aucun justificatif sérieux susceptible de contredire l'expertise du professeurD..., le tribunal des pensions des Bouches-du-Rhône a suffisamment motivé sont jugement au regard de l'argumentation qui lui était soumise.

8. En deuxième lieu, M. A...fait état d'une infirmité de vertiges, découlant des acouphènes bilatéraux, ayant un retentissement sur son sommeil et son psychisme et ayant des répercussions sur sa vie quotidienne en raisons d'hyperacousie et d'instabilité vestibulaire, traitée par une rééducation vestibulaire et par voie médicamenteuse. Il soutient, pour justifier l'imputabilité au service de l'affection dont il souffre, avoir en premier lieu subi un traumatisme sonore sur un champ de tir le 13 juin 1989 à Djibouti, avoir en deuxième lieu été exposé pendant quatre jours, à l'occasion de sa participation à l'opération " Baumier " en 1991, qui consistait à mettre en sécurité sur le site de l'aéroport de Kinshasa des ressortissants de toutes nationalités présents au Zaïre, devenu République démocratique du Congo, à des traumatismes sonores élevés dans un contexte particulièrement anxiogène, et avoir en troisième lieu été exposé au volume sonore d'enceintes acoustiques de 1 500 watts à l'occasion d'un contrôle des installations mises en place le 12 juillet 1992 à Fort-de-France pour la fête des armées.

9. Toutefois, le rapport établi par le DrD..., professeur des universités, à la suite de l'expertise prescrite par un jugement avant-dire droit du tribunal des pensions des Bouches-du-Rhône du 7 mai 2015, qui s'est placé, contrairement à ce qui est soutenu, à la date de la demande pour porter son appréciation et dont les conclusions ne sont sérieusement contredites par aucun des éléments produits par l'intéressé, conclut que les acouphènes subis M. A...ne sont pas responsables d'une pathologie vestibulaire et que les vertiges dont il souffre ne peuvent ainsi pas être rattachés de manière directe et certaine au traumatisme acoustique subi le 13 juin 1989 à Djibouti, lequel a causé des acouphènes invalidants pour lesquels M. A...était déjà pensionné.

10. Par ailleurs, si M. A...invoque ainsi qu'il a été dit deux autres traumatismes qui seraient à l'origine de sa pathologie, il n'identifie pas précisément un fait de service intervenu au cours de l'opération " Baumier " en 1991 et se borne, s'agissant de son exposition à un fort volume sonore en 1992, à produire au soutien de ses allégations les mentions portées sur son livret médical retranscrivant ses propres déclarations, sans les assortir de certificats médicaux permettant d'évaluer son état postérieurement à ce traumatisme et établissant un lien direct et certain entre les troubles dont il souffre et cet évènement. En particulier, si les examens pratiqués, notamment par le DrC..., entre 2002 et 2014, soit plus de dix ans après les faits de service allégués, ont conduit ce praticien à attester de l'existence d'une infirmité, les certificats établis par ce médecin, qui se bornent à retranscrire sur ce point les affirmations de M.A..., ne se prononcent pas sur le lien avec le service.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, pour l'application de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, de l'existence d'un fait précis de service à l'origine des vertiges dont il souffre. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de pension à ce titre.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Les conclusions présentées à ce titre par M. A...devant le Conseil d'Etat et devant la cour régionale des pensions au titre des dispositions combinées de cet article et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par suite, être rejetées.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions militaires d'Aix-en-Provence est annulé en tant qu'il a statué sur la demande de pension pour vertiges.
Article 2 : Les conclusions de la requête présentée par M. A...à cette cour en ce qui concerne la reconnaissance d'une pension pour vertiges sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 devant la cour régionale des pensions, ainsi que celles présentées devant le Conseil d'Etat sur le premier fondement sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la ministre des armées.

ECLI:FR:CECHS:2019:420669.20190612