CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 27/06/2019, 17VE00706, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise :
- d'annuler la décision du recteur de l'académie de Versailles en date du 18 janvier 2014 rejetant sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices découlant de sa maladie imputable au service ;
- d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l'éducation nationale sur sa demande ayant le même objet ;
- de condamner l'État à lui verser la somme de 820 000 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts de droit à compter de sa demande préalable ;
- de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1401183-1402767 du 11 janvier 2017, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'État à verser à M. B...la somme de 5 000 euros tous intérêts confondus, a mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 février 2017, M. A...B..., représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, avocats, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement en tant qu'il a condamné l'État à lui verser la somme de 5 000 euros seulement en réparation de ses préjudices ;
2° d'annuler la décision du recteur de l'académie de Versailles en date du 18 janvier 2014 et la décision implicite de rejet du ministre de l'éducation nationale et de condamner l'État à lui verser la somme de 820 000 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts de droit à compter de sa demande préalable ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'administration n'avait commis aucune faute en le désavouant comme elle l'a fait le 11 février 2005 ; le courrier de l'inspectrice d'académie du Val-d'Oise en date du 11 février 2005 est la cause de sa dépression et de sa mise à la retraite pour invalidité ;
- si les premiers juges ont par ailleurs considéré que l'administration avait commis une faute en refusant en 2008 de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, c'est à tort qu'ils ont estimé qu'il n'existait aucun lien entre cette faute et la pathologie qui a conduit à son placement en position de retraite pour invalidité ;
- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs entre le considérant 7 qui reconnaît l'existence de cette faute mais ne retient aucun lien de causalité et le considérant 11 qui indique qu'au regard des difficultés qu'il a rencontrées pour voir reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, il a subi un préjudice moral ;
- en raison de son départ à la retraite pour invalidité, il a perdu une chance certaine de pouvoir exercer son activité professionnelle jusqu'à la limite d'âge, intervenant en 2020, soit 2 200 euros de pertes de revenus mensuelles, et également d'obtenir des avancements d'échelon ; il a ainsi subi un préjudice financier qui doit être évalué à la somme de 410 000 euros ;
- il suit un traitement médicamenteux depuis 2005, qui correspond à une dépense annuelle de 100 euros, ainsi que des séances de psychothérapie, selon un forfait annuel de 50 euros par an ; ce préjudice sera, par suite, justement évalué à la somme de 1 200 euros ;
- il a subi un préjudice moral important aggravé par le refus de l'administration de reconnaître le caractère imputable au service de sa pathologie ; ce préjudice doit être évalué à la somme de 410 000 euros.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ablard,
- et les conclusions de Mme Bonfils, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., né en 1958, a été nommé directeur de l'école Louis Pasteur à Deuil-la-Barre en septembre 1994. Au cours de l'année scolaire 2004-2005, un conflit l'a opposé à certains enseignants de cet établissement au sujet du non-respect par ces derniers des horaires et du projet d'école. S'estimant désavoué par sa hiérarchie dans ce conflit dont il l'avait informée, M. B... a subi une dépression nerveuse pour laquelle il a été placé en congé maladie le 25 mars 2005, puis en congé de longue durée le 25 mars 2006. Radié des cadres pour invalidité le 5 janvier 2006, il a été admis à faire valoir ses droits à une pension de retraite à compter du 25 juin 2006. Au cours de l'année 2007, M. B...a demandé que sa pathologie soit reconnue comme imputable au service. L'inspectrice d'académie du Val d'Oise a rejeté cette demande par une décision du 30 juin 2008 qui a été annulée par la Cour par un arrêt du 18 avril 2013 jugeant que la pathologie de M. B...était imputable au service à hauteur de 50%. Le 6 décembre 2013, M. B...a adressé une demande indemnitaire préalable en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis auprès du recteur de l'académie de Versailles qui a rejeté sa demande par une décision du 18 janvier 2014. Il a également formé une demande indemnitaire préalable auprès du ministre de l'éducation nationale qui a été implicitement rejetée. M. B...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler ces décisions et de condamner l'État à lui verser la somme de 820 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. Il relève appel du jugement du 11 janvier 2017, en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif a condamné l'État à lui verser la seule somme de 5 000 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si M. B...soutient que le tribunal administratif a entaché son jugement d'une contradiction de motifs, ce moyen, qui concerne le bien-fondé du jugement, n'est pas de nature à mettre en cause sa régularité. Ce moyen doit, dès lors, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 65 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : "Le fonctionnaire qui a été atteint d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'au moins 10 % ou d'une maladie professionnelle peut prétendre à une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec son traitement dont le montant est fixé à la fraction du traitement minimal de la grille mentionnée à l'article 15 du titre Ier du statut général, correspondant au pourcentage d'invalidité. Les conditions d'attribution ainsi que les modalités de concession, de liquidation, de paiement et de révision de l'allocation temporaire d'invalidité sont fixées par un décret en Conseil d'Etat qui détermine également les maladies d'origine professionnelle. ". Aux termes de l'article 1er du décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 portant règlement d'administration publique pour l'application des dispositions de l'article 23 bis de l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires : " L'allocation temporaire d'invalidité prévue à l'article 65 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat est attribuée aux agents maintenus en activité qui justifient d'une invalidité permanente résultant : a) Soit d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'un taux rémunérable au moins égal à 10 % ; b) Soit de l'une des maladies d'origine professionnelle énumérées dans les tableaux mentionnés à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale ; c) Soit d'une maladie reconnue d'origine professionnelle dans les conditions prévues par les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale (...) ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Le taux d'invalidité rémunérable est déterminé compte tenu du barème indicatif prévu à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite. (...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " L'entrée en jouissance de l'allocation temporaire d'invalidité est fixée à la date de reprise des fonctions après consolidation ou, dans les cas prévus au quatrième alinéa de l'article 1er, à la date de la constatation officielle de la consolidation de la blessure ou de l'état de santé de l'intéressé. Cette allocation est concédée et payée dans les conditions prévues pour les pensions civiles et militaires de retraite. (...) ". Aux termes de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil radié des cadres dans les conditions prévues à l'article L. 27 a droit à une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services. Le droit à cette rente est également ouvert au fonctionnaire retraité qui est atteint d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service est reconnue par la commission de réforme postérieurement à la date de la radiation des cadres, dans les conditions définies à l'article L. 31. Dans ce cas, la jouissance de la rente prend effet à la date du dépôt de la demande de l'intéressé, sans pouvoir être antérieure à la date de publication de la loi n° 2000321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Il en est également ainsi lorsque l'entrée en jouissance de la pension est différée en application de l'article L. 25 du présent code. Le montant de la rente d'invalidité est fixé à la fraction du traitement ou de la solde de base définis à l'article L. 15 égale au pourcentage d'invalidité. Si le montant de ce traitement ou de cette solde de base dépasse un montant correspondant à la valeur de l'indice majoré 681 au 1er janvier 2004, revalorisé dans les conditions prévues à l'article L. 16, la fraction dépassant cette limite n'est comptée que pour le tiers. Toutefois, il n'est pas tenu compte de la fraction excédant dix fois ce montant brut. Le taux d'invalidité est déterminé compte tenu d'un barème indicatif fixé par décret. (...) ".
4. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions, rappelées ci-dessus, qui instituent ces prestations, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
En ce qui concerne la responsabilité de l'administration :
5. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 1, un conflit a opposé M. B...à certains enseignants de l'école Louis Pasteur à Deuil-la-Barre, au cours de l'année scolaire 2004-2005, au sujet du non-respect par ces derniers des horaires et du projet d'école. M. B...en a informé l'inspectrice d'académie du Val-d'Oise par un courriel du 6 février 2005. Sans contester le bien-fondé des critiques exprimées par M. B... à l'encontre de ces enseignants, l'inspectrice d'académie lui a conseillé, dans une lettre du 11 février 2005, d'apporter " des modifications tangibles " à sa pratique professionnelle et de " reconquérir rapidement la sérénité professionnelle nécessaire à [son] travail de directeur d'école ". Elle l'a par ailleurs informé des plaintes qui lui étaient adressées par les enseignants concernés, en présentant les intéressés comme des " personnes plutôt tranquilles " se déclarant victimes d'un " climat pesant " et de " pratiques atypiques ", caractérisées notamment par une " autorité excessive " et un " souci excessif de respect des législations diverses ". L'inspectrice d'académie a enfin conseillé à M. B...de prendre contact avec les services chargés d'aider à l'exercice des métiers de l'enseignement. S'estimant désavoué par sa hiérarchie dans le conflit qui l'opposait à ces enseignants, M. B... a subi une dépression nerveuse pour laquelle il a été placé en congé maladie le 25 mars 2005.
6. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'inspection établi le 12 décembre 2000, que M. B...s'est très fortement investi dans ses fonctions de directeur d'école entre 1994 et 2005 et a fait l'objet d'appréciations élogieuses de la part de sa hiérarchie. Toutefois, ce même rapport indique que ses collègues ont " parfois pâti de son caractère perfectionniste et/ou de son engagement personnel très important " et que " son désir d'être suivi rapidement, en étant compris et approuvé, lui a parfois valu des désillusions et a parfois créé des réactions d'opposition ou d'inquiétudes vives ". L'administration a néanmoins constaté qu'" avec le recul, il avait appris à attendre, à accepter que tout ne soit pas parfait, et à prendre de la distance dans les relations professionnelles ", et l'a encouragé à " continuer à formaliser et temporiser lorsque l'implication affective des parties en présence est trop forte ". Dans ce contexte, et compte tenu du rôle d'un inspecteur d'académie, consistant notamment à conseiller et à évaluer les personnels d'encadrement des équipes pédagogiques, l'inspectrice a pu, sans commettre de faute, et dans les termes mentionnés au point 5, alerter le requérant sur la situation en lui proposant des solutions de nature à remédier aux difficultés constatées de part et d'autre. Ainsi, si M. B...fait valoir qu'il s'est senti totalement désavoué par sa hiérarchie à cette occasion, le courrier susmentionné de l'inspectrice d'académie du 11 février 2005 n'avait d'autre but que de l'aider à régler un conflit dont il n'était pas seul responsable, mais qui impliquait notamment de sa part, compte tenu de ses fonctions d'encadrement, davantage de recul et de pondération. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'administration a commis à son égard une faute de nature à engager sa responsabilité.
7. En second lieu, ainsi qu'il a été dit au point 1, par un arrêt du 18 avril 2013, la Cour a reconnu l'imputabilité au service de l'affection psychique dont souffre M.B..., à hauteur de 50 % compte tenu de son état antérieur. Par suite, en rejetant la demande présentée en 2007 par M. B...tendant à ce que sa dépression soit reconnue comme imputable au service, l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, pour autant qu'elle ait été à l'origine d'un préjudice direct et certain.
En ce qui concerne les préjudices :
8. En premier lieu, la faute commise par l'administration en rejetant la demande de M. B... tendant à ce que sa dépression soit reconnue comme imputable au service n'est pas la cause de sa pathologie, ni celle de son placement en position de retraite pour invalidité à compter du 25 juin 2006, placement qu'il avait au demeurant sollicité le 16 avril 2005. Dès lors que la maladie de M. B...n'est pas imputable à une faute de l'administration, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les conclusions de M. B...tendant à l'indemnisation de préjudices liés à des pertes de rémunération et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par sa maladie ne peuvent qu'être rejetées.
9. En deuxième lieu, pour demander la condamnation de l'administration à lui verser une indemnité au titre du coût du traitement médicamenteux qu'il suit depuis 2005 et des séances de psychothérapie suivies, M. B...n'apporte, devant le juge d'appel, aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation des premiers juges. Il y a donc lieu de rejeter ces conclusions par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif.
10. En dernier lieu, M. B...soutient qu'il a subi un préjudice moral pour lequel il demande la somme de 410 000 euros. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'intéressé tant du fait de sa pathologie, que du fait des difficultés qu'il a rencontrées pour voir reconnaître l'imputabilité au service de cette pathologie, en l'évaluant, compte tenu de son état antérieur, à la somme de 5 000 euros, tous intérêts confondus.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'État à lui verser la seule somme de 5 000 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. B...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête présentée par M. B...est rejetée.
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