Conseil d'État, 7ème chambre, 15/07/2019, 427935, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision15 juillet 2019
Num427935
Juridiction
Formation7ème chambre
RapporteurM. Marc Firoud
CommissaireM. Gilles Pellissier
AvocatsSCP SPINOSI, SUREAU

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 10 décembre 2015 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, l'a titularisé dans le corps des surveillants pénitentiaires en tant que cet arrêté limite sa reprise d'ancienneté à trois mois et neuf jours, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Par un jugement n° 1600954 du 13 février 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18NC01165 du 13 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 février et 13 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la défense ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- l'ordonnance n° 2019-2 du 4 janvier 2019 ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Firoud, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. B...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a été recruté en qualité de militaire du 29 août 2000 au 29 août 2010, date à laquelle il a été radié des cadres. Du 9 janvier 2012 au 22 septembre 2013, M. B...a exercé les fonctions d'adjoint de sécurité au sein de la police nationale. Après avoir été nommé le 22 septembre 2013 dans un emploi réservé aux anciens militaires en tant qu'élève à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire, il a été nommé surveillant pénitentiaire stagiaire le 2 juin 2014. Par un arrêté de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 10 décembre 2015, M. B...a été titularisé à compter du 2 septembre 2015 au deuxième échelon du grade de surveillant pénitentiaire, avec une ancienneté de trois mois et neuf jours. Par un courrier du 22 janvier 2016, M. B...a contesté cet arrêté devant la directrice de l'administration pénitentiaire en demandant que la durée de ses services accomplis en qualité de militaire sous contrat entre 2000 et 2010 soit reprise en totalité pour le calcul de son ancienneté dans le corps des surveillants pénitentiaires. Par un jugement du 13 février 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2015 en tant qu'il limite sa reprise d'ancienneté à trois mois et neuf jours, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux. M. B...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 décembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son appel contre ce jugement. Par ailleurs, à l'appui de ce pourvoi, M. B...soutient, par un mémoire distinct, que les dispositions de l'article L. 4139-3 du code de la défense, telles qu'elles sont interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 4111-1 du code de la défense, le statut des militaires " (...) offre à ceux qui quittent l'état militaire les moyens d'un retour à une activité professionnelle dans la vie civile (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 4139-3 du même code de la défense, dans sa rédaction applicable au litige, sur lequel la cour administrative d'appel s'est fondée pour rejeter l'appel de M. B...: " Le militaire, à l'exception de l'officier de carrière et du militaire commissionné, peut se porter candidat pour l'accès aux emplois réservés, sur demande agréée, dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre./ En cas d'intégration ou de titularisation, la durée des services effectifs du militaire est reprise en totalité dans la limite de dix ans pour l'ancienneté dans le corps ou le cadre d'emploi d'accueil de catégorie C. Elle est reprise pour la moitié de la durée des services effectifs dans la limite de cinq ans pour l'ancienneté dans le corps ou le cadre d'emploi de catégorie B ". Ces dispositions fixent les modalités selon lesquelles la carrière antérieure du militaire qui devient fonctionnaire en étant recruté sur un emploi réservé est prise en considération pour déterminer l'ancienneté dont il bénéficie dans le corps qu'il rejoint lors de sa titularisation. Cette reprise d'ancienneté permet de déterminer, au regard des dispositions statutaires propres à chaque corps, l'échelon auquel il doit être reclassé et, par suite, l'indice qui en résulte. Ces dispositions ne prévoient pas que le reclassement dans la fonction publique d'un ancien militaire, recruté au titre de la législation sur les emplois réservés, tienne compte de l'indice détenu par l'intéressé lorsqu'il était militaire.

5. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un ou l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Les militaires en activité qui accèdent à un emploi réservé ne sont pas dans la même situation que les anciens militaires qui accèdent à ces mêmes postes, compte tenu de l'objectif fixé à l'article L. 4111-1 du code de la défense de favoriser le retour des militaires à une activité professionnelle dans la vie civile. Il est par conséquent loisible au législateur de prévoir des règles de reprise d'ancienneté uniquement pour les militaires en position d'activité lors de leur intégration dans le corps ou le cadre d'emploi d'accueil. Par suite, alors même que l'ordonnance du 4 janvier 2019 portant simplification des dispositifs de reconversion des militaires et des anciens militaires dans la fonction publique civile a supprimé ces règles spécifiques aux militaires en activité, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu le principe d'égalité en prévoyant des règles de reclassement différentes pour les militaires en activité et pour les anciens militaires ne présente pas un caractère sérieux.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée par M.B..., qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux et qu'il n'y pas lieu, par suite, de la transmettre au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

9. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, M. B...soutient, en outre, que la cour administrative d'appel de Nancy a :
- commis une erreur de droit en considérant que l'administration était fondée à lui refuser, lors de sa titularisation comme surveillant pénitentiaire, la reprise de son ancienneté au titre des services qu'il a accomplis en tant que militaire ;
- commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant que son ancienneté dans son nouveau poste de surveillant pénitentiaire était limitée à 3 mois et 9 jours, alors d'une part qu'il bénéficiait d'une ancienneté de 20 mois en tant qu'adjoint de sécurité et, d'autre part, que le décret du 24 avril 2006 prévoyait une reprise d'ancienneté à hauteur des trois-quarts de la durée des services antérieurs effectués par les agents de droit public non contractuels qui accèdent à un emploi de surveillant pénitentiaire.

10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.




D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.B....
Article 2 : Le pourvoi de M. B...n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B....
Copie en sera adressée au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice, à la ministre des armées et au Conseil constitutionnel.

ECLI:FR:CECHS:2019:427935.20190715