CAA de NANTES, 3ème chambre, 26/11/2019, 18NT01894, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision26 novembre 2019
Num18NT01894
JuridictionNantes
Formation3ème chambre
PresidentMme TIGER-WINTERHALTER
RapporteurM. Arnaud MONY
CommissaireM. GAUTHIER
AvocatsCABINET VERDIER ET ASSOCIES

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional d'Orléans à lui verser, à titre principal, une somme totale de 184 930,07 euros au titre des différents préjudices qu'il estime avoir subis en raison du comportement fautif qu'il impute à son employeur, à titre subsidiaire à ce que le centre hospitalier régional d'Orléans soit condamné à lui verser 55 000 euros en raison de son préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence, et à ce qu'il soit prescrit une expertise judiciaire.

Par un jugement n°1501081 du 13 mars 2018, le tribunal administratif d'Orléans a partiellement fait droit à sa demande en condamnant le centre hospitalier à lui payer une somme totale de 7 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoire, enregistrés les 11 mai 2018, 29 août 2019 et 30 septembre 2019 (non communiqué), M. E..., représenté par la société Verdier et Associés, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 13 mars 2018 en ce qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier régional d'Orléans à lui verser la somme de 184 930,07 euros en réparation des différents préjudices subis du fait de sa maladie imputable au service, cette somme portant intérêts à compter du 24 décembre 2014 et les intérêts échus au 25 décembre 2015 portant eux-mêmes intérêts ;

3°) à titre subsidiaire d'ordonner avant dire droit une expertise destinée à évaluer ses préjudices imputables au CHR d'Orléans ;

4°) à titre infiniment subsidiaire de condamner le CHR d'Orléans à l'indemniser à hauteur de 50 000 euros de son préjudice moral et à hauteur de 5 000 euros de son préjudice d'agrément et des troubles subis dans ses conditions d'existence, ces sommes portant également intérêts et donnant lieu à capitalisation ;

5°) de mettre à la charge du CHR d'Orléans une somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- sa dépression et sa tentative de suicide trouvent leur origine dans ses conditions de travail ; son employeur a admis l'origine professionnelle de la pathologie dont il souffre ;
- le comportement de son employeur doit être regardé comme fautif en ce qu'il n'a jamais pris de mesure de protection particulière à son égard alors qu'il ne pouvait ignorer sa situation de détresse psychologique ;
- il a subi un préjudice patrimonial qui n'a pas été réparé par sa rente d'invalidité tenant à la minoration du taux de son indemnité forfaitaire technique et à ce qu'il a dû cesser son activité professionnelle de manière prématurée ;
- il a subi des préjudices extrapatrimoniaux qui n'ont pas été appréciés par le tribunal administratif à leur juste niveau ;
- la réalité des troubles subis dans ses conditions d'existence est attestée par les pièces qu'il produit et le rapport d'expertise du 24 août 2012.

Par des mémoires en défense et d'appel incident, enregistrés le 6 août 2018 et le 10 septembre 2019, le centre hospitalier régional d'Orléans, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête, à ce que l'indemnisation accordée par le tribunal au titre des troubles dans les conditions d'existence soit réduite de moitié et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les conditions d'engagement de sa responsabilité fautive ne sont pas réunies ;
- la demande de M. E... relative à son IFT, qui relève du contentieux de l'excès de pouvoir des décisions à objet pécuniaire, est tardive et, subsidiairement que la créance correspondante est prescrite ; il n'y a aucun lien de causalité directe entre la somme réclamée au titre de l'IFT et le manquement à l'obligation de protection reprochée par M. E... ;
- M. E... n'établit pas avoir subi une perte de revenus du fait de sa mise à la retraite pour invalidité ;
- les premiers juges se sont mépris sur l'importance des troubles dans les conditions d'existence de M. E... et l'indemnisation de ce chef de préjudice doit être réduit de moitié.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant le CHR d'Orléans.


Considérant ce qui suit :

1. M. E... a été recruté par le centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans en qualité d'ouvrier professionnel en décembre 1976 et a été promu, en 2003, au grade de technicien supérieur hospitalier chef. Le 30 juin 2010, il a fait une tentative de suicide sur son lieu de travail. Sur proposition de la commission de réforme, les arrêts de travail qui s'en sont suivis jusqu'au 31 mai 2014 ont été pris en charge au titre de la maladie professionnelle. Il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité à compter du 1er juin 2014 et perçoit depuis lors, en plus de sa pension de retraite, une rente d'invalidité au taux de 30 %. Le 23 décembre 2014, il a formé une demande indemnitaire devant le CHR, visant à obtenir la réparation de l'intégralité des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de conditions de travail dégradées auxquelles il n'a pas été remédié et, à titre subsidiaire, l'indemnisation de ses préjudices moral, d'agrément et des troubles dans ses conditions d'existence non couverts par la rente d'invalidité servie depuis sa mise à la retraite. Cette demande a été rejetée le 27 janvier 2015. Par un jugement du 13 mars 2018, le tribunal administratif d'Orléans a condamné le CHR d'Orléans à verser à M. E... une somme de 7 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence et a rejeté le surplus de la demande de l'intéressé. M. E... relève appel de ce jugement en tant qu'il ne lui a pas donné entière satisfaction, tandis que le CHR d'Orléans, par la voie de l'appel incident, demande à ce que l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence de M. E... soit réduite de moitié.

2. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, le II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait.

Sur la responsabilité pour faute du CHR d'Orléans :

3. Il résulte de l'instruction que M. E..., alors placé en position d'encadrement au sein des ateliers de maintenance du CHR d'Orléans, a eu la charge de mettre en place, à compter de 2001, la réduction du temps de travail, suite à l'adoption de la loi sur les 35 heures et s'est à cette occasion trouvé au centre d'un conflit entre les agents du service, violemment opposés aux mesures proposées, et la hiérarchie de l'hôpital, ce que l'intéressé a vécu douloureusement. M. E..., qui n'était jusqu'alors qu'exceptionnellement absent, a fait l'objet en 2002 de plus de deux mois d'arrêt de travail. Par ailleurs, la demande de changement de service exprimée en septembre 2002 par le requérant n'a pas été satisfaite. Toutefois il résulte de l'instruction que l'intéressé n'a pas réitéré sa demande, ni alerté le médecin de prévention, les instances paritaires en charge de la sécurité et des conditions de travail ou encore les organisations syndicales sur sa situation de souffrance au travail et sur le fait qu'il était suivi depuis 2002 par un psychiatre. Par ailleurs, si le syndrome dépressif sévère dont est atteint M. E... a conduit son employeur à le placer en congé de longue maladie, d'abord du 14 novembre 2005 au 13 mars 2006 puis du 12 octobre 2006 au 11 avril 2007, il ne résulte pas de l'instruction qu'aux dates auxquelles le requérant a bénéficié de congés de maladie, son employeur était informé des motifs exacts de ces arrêts, lesquels sont couverts par le secret médical. De plus, à compter de son retour de congé de longue maladie en avril 2007, M. E... n'a plus été affecté à l'encadrement des ateliers de maintenance et a repris son activité professionnelle dans un autre service, le bureau d'études et de suivi des opérations d'investissements du CHR. En outre, l'intéressé a bénéficié d'évaluations professionnelles très favorables, louant son sérieux, ses vastes connaissances professionnelles et sa rigueur, que ce soit en 2002 ou les années suivantes. Dans ces conditions, M. E..., qui ne peut utilement s'appuyer sur des rapports et certificats médicaux établis postérieurement à sa tentative de suicide en juillet 2011, n'établit pas que le CHR aurait eu à son égard un comportement fautif en ne faisant pas droit à sa demande de mutation dès septembre 2002 et en ne prenant pas la mesure exacte de la gravité de la situation. De même, la circonstance qu'il a fait une tentative de suicide au lendemain de l'entretien qu'il a eu avec son supérieur hiérarchique au cours duquel il a interrogé ce dernier sur les raisons du plafonnement du taux de l'indemnité forfaitaire technique qui lui est versée, ne suffisent pas à établir l'existence d'une faute de l'employeur à l'égard de M. E..., en l'absence d'éléments autres que le témoignage de l'intéressé lui-même sur le déroulement de cet entretien.

4. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de faute du CHR d'Orléans, M. E... n'est pas fondé, comme l'a à juste titre jugé le tribunal administratif, à obtenir à ce titre la condamnation du centre hospitalier à réparer les préjudices personnels et patrimoniaux non réparés forfaitairement par la rente d'invalidité qu'il perçoit.

Sur l'évaluation des préjudices subis à raison de la responsabilité sans faute du CHR d'Orléans :

5. En l'absence de toute faute du centre hospitalier, et en application des principes exposés au point 2, les premiers juges ont condamné le CHR d'Orléans à verser à M. E... une somme de 2 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence et de 5 000 euros au titre de son préjudice moral.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport établi le 9 février 2011 par le médecin du travail ainsi que de l'attestation du médecin psychiatre qui a examiné M. E... en août 2010, que les nombreux arrêts de travail de l'intéressé à compter de 2002 et sa tentative de suicide en juin 2011 sont en lien direct avec son activité professionnelle, la souffrance morale et le sentiment de dévalorisation éprouvés par l'intéressé durant plusieurs années. Ainsi, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation de l'indemnité due à M. E... au titre de son préjudice moral en lui allouant la somme de 5 000 euros.

7. En second lieu, les premiers juges ont condamné le centre hospitalier à verser à M. E... une indemnité de 2 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence, en tenant pour établi le fait que celui-ci a été amené, après son passage à l'acte, à abandonner ses activités de loisirs telles que le parapente et le bricolage et a rencontré des problèmes intimes. Si le requérant soutient que ce chef de préjudice a été sous-évalué tandis que le CHR d'Orléans soutient, dans le cadre de ses conclusions d'appel incident, que l'indemnité due doit être réduite de moitié, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation de l'indemnité due à ce titre à M. E... en lui allouant la somme de 2 000 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de prescrire une nouvelle expertise, laquelle ne revêtirait pas de caractère utile, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a limité à la somme globale de 7 000 euros l'indemnité qui lui est due. Par ailleurs, eu égard à ce qui a été exposé aux points 6 et 7, les conclusions d'appel incident du CHR d'Orléans doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :


Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident et les conclusions du centre hospitalier régional d'Orléans au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., au centre hospitalier régional d'Orléans et à la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher.




Délibéré après l'audience du 7 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme F..., présidente,
- M. A..., premier conseiller,
- M. Berthon, premier conseiller,
Lu en audience publique le 26 novembre 2019.



Le rapporteur





A. A...





La présidente
N. F... Le greffier
M. B...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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