CAA de NANTES, 6ème chambre, 10/01/2020, 18NT01097, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision10 janvier 2020
Num18NT01097
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. COIFFET
RapporteurMme Valérie GELARD
CommissaireM. LEMOINE
AvocatsJEAN-MEIRE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 mai 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Nantes a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie à compter du 14 mai 2014 ainsi que la décision du 1er juin 2015 par laquelle le recteur l'a informé de l'épuisement de ses droits à congé de maladie ordinaire. Il a sollicité la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 19 606,16 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1506153 du 9 janvier 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 6 mai 2015, mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de la demande présentée par M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 12 mars 2018 et 19 juillet 2019, le ministre chargé de l'éducation nationale demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 janvier 2018 en tant qu'il a annulé la décision du 6 mai 2015 et a mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par M. A....

Il soutient que M. A... n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il aurait été victime le 7 avril 2014 d'une agression de la part d'un élève qui lui aurait jeté un crayon " pointe en avant dans l'oeil " et que cet incident serait à l'origine d'une pathologie psychiatrique ; son état de santé relève d'un état antérieur sans lien avec l'accident de la circulation qu'il a subi le 7 avril 2014 et dont il ne conserve aucune séquelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2018, M. A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'éducation nationale de fournir les justificatifs de la régularisation de sa situation et à ce que la somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'éducation nationale ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n°86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant M. A....


Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été nommé professeur certifié d'arts plastiques au collège Charles Milcendeau de Challans. Il a été victime, le 7 avril 2014, d'un accident de la circulation alors qu'il regagnait son domicile après avoir quitté le collège vers 18h30. Il a été placé en arrêt de travail du 8 au 14 avril 2014 par un médecin du centre hospitalier de Challans en raison de contusions costales, de plaies superficielles de la main et d'une fracture du 5ème métacarpien. Son arrêt de travail a été prolongé par son médecin traitant jusqu'au 24 avril 2014. Il a repris ses fonctions, le 12 mai 2014, à l'issue des vacances scolaires, avant d'être arrêté de nouveau à compter du 14 mai 2014. Ses arrêts de travail ont été prolongés jusqu'au 13 mai 2015. L'imputabilité au service de l'accident du 7 avril 2014 a été reconnue par le recteur de l'académie de Nantes le 27 juin 2014. Après avoir sollicité l'avis de la commission de réforme, le recteur a, par une décision du 6 mai 2015, fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. A... au 3 juin 2014 mais refusé de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail postérieurs au 14 mai 2014 au motif qu'ils relevaient d'un état antérieur sans lien certain et direct avec l'accident du 7 avril 2014. Ces arrêts de travail ont été pris en compte au titre des congés de maladie ordinaire. Par un courrier du 1er juin 2015, le recteur a informé M. A... de l'épuisement de ses droits à congés de maladie ordinaire à compter du 14 mai 2015 et de ce qu'il saisissait le comité médical pour qu'il statue sur ses aptitudes à reprendre ses fonctions. Le 21 juillet 2015, M. A... a présenté une réclamation préalable auprès du recteur de l'académie de Nantes puis saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 6 mai 2015, de celle du 1er juin 2015 et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 19 606,16 euros en réparation de ses préjudices résultant de l'illégalité de ces deux décisions. Par un jugement du 9 janvier 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 6 mai 2015, mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande présentée par M. A..., en considérant, notamment, que la lettre du 1er juin 2015 ne constituait pas une décision lui faisant grief. Le ministre chargé de l'éducation nationale relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du 6 mai 2015 et mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat.

2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ". Aux termes de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " La commission de réforme est consultée notamment sur : 1. L'application des dispositions du deuxième alinéa des 2° et 3° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ; 2. L'imputabilité au service de l'affection entraînant l'application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 34 (4°) de la loi du 11 janvier susvisée (...) 5. La réalité des infirmités résultant d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle, la preuve de leur imputabilité au service et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, en vue de l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité instituée à l' article 65 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée (...) Pour l'octroi des congés régis par les 1 et 2 ci-dessus, la commission de réforme n'est pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration (...). ".

3. En premier lieu, le ministre chargé de l'éducation nationale conteste la réalité de l'accident de service dont M. A... soutient avoir été victime le 7 avril 2014 préalablement à son accident de la route. Dans un rapport de signalement d'incident qu'il adressé le 21 mai 2014 au principal du collège, M. A... indique avoir reçu vers 17h dans l'oeil droit un crayon lancé par un élève alors qu'il discutait devant sa salle de cours avec d'autres élèves. Il aurait quitté l'établissement vers 18h20 pour regagner son domicile et aurait alors dû s'arrêter à plusieurs reprises en raison de douleurs oculaires. En se frottant l'oeil, il aurait perdu le contrôle de son véhicule. Les arrêts de travail postérieurs au 14 avril 2014, établis tant par son médecin traitant, que par la psychiatre qui le suit, font état de cet évènement préalable à l'accident de véhicule dont l'intéressé a été victime. M. A... ne produit cependant aucun témoignage des personnes présentes au collège lors de l'incident évoqué, et n'établit pas davantage en avoir immédiatement informé sa hiérarchie alors que le recteur de l'académie de Nantes a produit en première instance, une attestation de l'agent d'accueil de l'établissement scolaire datée du 19 mai 2014 indiquant qu'il n'avait constaté aucune blessure visible au moment où M. A... était venu le saluer avant de quitter le collège en fin de journée. Par ailleurs, le certificat médical établi au centre hospitalier de Challans le jour de l'accident ne mentionne aucune douleur, ni gêne de M. A... au niveau de son oeil. Enfin, l'intéressé indique lui-même dans un rapport rédigé en novembre 2014 qu'il porte des lunettes et ne conteste pas les écritures du ministre indiquant qu'il souffre de multiples problèmes de santé, lesquels ont conduit en septembre 2010 à reconnaître son inaptitude partielle à la conduite. Dans ces conditions, le ministre est fondé à soutenir que le lien de causalité entre l'agression dont aurait fait l'objet M. A... de la part d'un élève et ses arrêts de travail postérieurs au 14 avril 2018 n'est pas établi.

4. En second lieu, dans le cadre d'une expertise réalisée le 19 novembre 2014, un psychiatre a conclu que M. A... présentait un syndrome dépressif très important " totalement lié à l'accident qu'il a subi dans le cadre professionnel puis l'accident de la voie publique qui s'en est suivi ". Toutefois, dans un premier rapport d'expertise du 12 novembre 2014, un autre médecin a souligné que l'intéressé présentait un état psychiatrique antérieur en indiquant que " la tonalité dépressive actuelle, avec névrose de persécution " évoluait " pour son propre compte, sans relation avec les conséquences de l'accident du 7 avril 2014 ". Dans le cadre d'une expertise réalisée à la demande de l'assureur de M. A..., où l'avis d'un sapiteur psychiatre a été sollicité, il est rappelé que l'intéressé a connu plusieurs épisodes dépressifs et qu'il présente une personnalité " sensitive et quérulente ". Il est précisé que si M. A... a fait un nouvel épisode dépressif à la suite de l'accident du 7 avril 2014, ses troubles de la personnalité préexistaient. La psychiatre qui suit M. A... a également attesté le 21 février 2008, qu'il souffrait d'un trouble de la personnalité de type Kretschmer, s'apparentant à des délires paranoïaques survenant chez une personnalité sensitive, l'intéressé ayant à cette époque été placé en congé de longue durée jusqu'à la rentrée 2010 pour une grave dépression. Enfin, si le requérant évoque un épuisement professionnel, l'absence de soutien de sa hiérarchie face aux parents d'élèves qui contestaient sa manière d'enseigner et son comportement jugé trop ferme à l'égard des élèves ainsi que la dégradation, le 13 mai 2014, de son véhicule stationné devant le collège par " plusieurs jeunes ", laquelle n'a au demeurant été déclarée que le 17 juillet 2014 ainsi qu'en atteste le procès-verbal produit à l'instance, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'accident de la circulation dont il a été victime le 7 avril 2014, ou tout autre évènement d'ordre professionnel, serait à l'origine de la souffrance psychologique ayant justifié les arrêts de travail litigieux. Dans ces conditions, le ministre chargé de l'éducation nationale est fondé à soutenir qu'en estimant que l'état de santé de M. A... faisant suite à son accident du 7 avril 2014 était consolidé au 3 juin 2014, compte tenu des traitements et des soins en cours, et qu'en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail au-delà au 14 mai 2014 au motif qu'ils ne présentaient pas un lien direct et certain avec le service, le recteur de l'académie de Nantes n'a pas entaché d'illégalité sa décision du 6 mai 2015.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.

6. Il résulte des dispositions précitées au point 2, d'une part, que la décision refusant à un fonctionnaire le bénéfice de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 doit être regardée comme refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, au sens des dispositions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public reprises au 6° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle est ainsi au nombre des décisions qui, en application de cet article, doivent être motivées. D'autre part, l'administration, lorsqu'elle se prononce sur l'imputabilité au service de l'accident ou de la maladie du fonctionnaire dans le cas mentionné au 2° alinéa de l'article 34 doit obligatoirement recueillir l'avis de la commission de réforme, sans être toutefois liée par cet avis.

7. En premier lieu, la décision contestée du 6 mai 2015 vise les textes sur lesquels elle se fonde. Elle rappelle la situation de M. A... et mentionne tant l'avis de la commission de réforme du 9 avril 2015 que les différentes expertises médicales réalisées. Le recteur indique que conformément à l'avis de l'un de ces experts, l'imputabilité au service des arrêts de travail de M. A..., postérieurs au 14 mai 2014 puis au 31 mai 2014, est refusée au motif qu'ils relevaient " d'un état antérieur sans lien certain et direct avec le service ". Par suite, contrairement à ce que soutient M. A..., cette décision est suffisamment motivée en droit et en fait.
8. En second lieu, dans son avis du 9 avril 2015 la commission de réforme a estimé que l'état de santé de M. A... était consolidé au 3 juin 2014 sans incapacité permanente partielle et que les arrêts de travail jusqu'à cette date étaient à prendre au titre de l'accident du 7 avril 2014 et à compter du 4 juin 2014 au titre d'un congé de longue maladie imputable au service. La circonstance que le recteur de l'académie de Nantes, qui n'était pas tenu de suivre cet avis, a privilégié les conclusions contraires d'un expert, n'est pas de nature à établir que la décision du 6 mai 2015 aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière.

9. Il résulte de ce qui précède, que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 6 mai 2015 du recteur de l'académie de Nantes et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1506153 du tribunal administratif de Nantes en date du 9 janvier 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par M. A... ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à M. D... A.... Une copie sera adressée au recteur de l'académie de Nantes.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- Mme B..., premier conseiller,
- M. Pons, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 10 janvier 2020.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
O. COIFFET
La greffière,
E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.



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N° 18NT01097