CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 14/01/2020, 18MA05458, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 25 août 2016 par lequel le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a prononcé son placement en retraite pour invalidité imputable au service à compter du
1er septembre 2016, de condamner l'Etat à réparer son préjudice financier par le versement d'une somme mensuelle de 701,41 euros à compter du 1er octobre 2016 jusqu'à sa réintégration et d'enjoindre au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de la réintégrer dans ses fonctions d'adjoint technique de 2ème classe, au besoin par reclassement dans un autre corps.
Par jugement n° 1603376 du 22 octobre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 décembre 2018 et 29 mai 2019, Mme B..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 22 octobre 2018 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'enjoindre au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de la réintégrer dans ses fonctions d'adjoint technique de 2ème classe, au besoin par reclassement dans un autre corps ;
3°) de condamner l'Etat à réparer son préjudice financier par le versement d'une somme mensuelle de 701,41 euros à compter du 1er octobre 2016 et jusqu'à sa réintégration et d'une somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral ;
4°) de mettre le versement de la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la décision attaquée a été prise sans être précédée d'une recherche, par l'administration, de postes de reclassement, en méconnaissance des dispositions de l'article 3 du décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984 ;
- l'administration doit être regardée comme ayant abandonné la volonté de prononcer sa mise à la retraite ;
- la décision attaquée a pour conséquence une perte de revenus et un préjudice moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient, à titre principal, que la requête est irrecevable et, subsidiairement qu'aucun de ses moyens n'est fondé.
Par lettre du 15 novembre 2019, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions de Mme B... tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'arrêté du 25 août 2016 du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud, au motif d'une absence de liaison du contentieux.
Mme B... a répondu à cette lettre par courrier enregistré le 21 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., agent technique de 2ème classe à la compagnie CRS 60 de Montfavet, a été reconnue atteinte d'une maladie imputable au service par arrêté du 14 décembre 2012, après avis favorable de la commission de réforme départementale du Vaucluse, en date du 28 novembre 2012. Elle a demandé, le 28 octobre 2013, à bénéficier d'un reclassement. Cette demande a fait l'objet d'une décision de refus du ministre de l'intérieur, en date du 11 mai 2015. Par arrêté du 25 août 2016, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a prononcé son placement en retraite pour invalidité imputable au service à compter du 1er septembre 2016. Mme B... relève appel du jugement du 22 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cet arrêté, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de la réintégrer, au besoin par reclassement dans un autre corps, et à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice résultant de cet arrêté.
Sur la recevabilité de l'appel :
2. Il ressort des termes mêmes de la requête introductive d'appel du
21 décembre 2018 que Mme B... critique clairement la réponse des premiers juges. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par la partie intimée tirée de l'insuffisante motivation de la requête introductive d'appel manque en fait.
Sur les conclusions indemnitaires :
3. En vertu des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative alors applicable, sauf en matière de travaux publics, la juridiction administrative ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision.
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la demande introduite par Mme B... devant le tribunal administratif de Nîmes et tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision prononçant sa mise à la retraite pour invalidité n'a été précédée d'aucune demande indemnitaire en ce sens. Mme B... ne justifie d'aucune décision expresse ou tacite lui ayant refusé l'indemnité qu'elle sollicite.
5. D'autre part le contentieux ne s'est pas non plus trouvé lié par les conclusions en défense du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud qui n'a pas produit de mémoire en défense en première instance. Par suite, la demande indemnitaire présentée par Mme B... devant le tribunal était, faute de décision préalable, irrecevable.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation.
Sur la légalité de l'arrêté du 25 août 2016 :
7. D'une part, qu'aux termes de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction applicable : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées (...) en service (...) et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé si cette dernière a été prononcée en application des 2° et 3° de l'article 34 de la même loi ou à la fin du congé qui lui a été accordé en application du 4° du même article. ". Aux termes de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes (...) ". L'article 3 du décret du 30 novembre 1984 pris en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat en vue de faciliter le reclassement des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions dispose que : " Le fonctionnaire qui a présenté une demande de reclassement dans un autre corps doit se voir proposer par l'administration plusieurs emplois pouvant être pourvus par la voie du détachement. L'impossibilité, pour l'administration, de proposer de tels emplois doit faire l'objet d'une décision motivée. / (...) La procédure de reclassement telle qu'elle résulte du présent article doit être conduite au cours d'une période d'une durée maximum de trois mois à compter de la demande de l'agent. ".
8. D'autre part, il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires, que lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, son licenciement ou sa mise à la retraite pour invalidité.
9. Il résulte des dispositions précitées et du principe général du droit susmentionné que le ministre de l'intérieur, avant de prononcer la mise à la retraite pour invalidité en litige, avait l'obligation de reclasser son agent, laquelle ne consiste pas en une obligation de résultat, mais nécessite d'entreprendre avec diligence toutes les démarches nécessaires afin de reclasser, dans la mesure du possible, cet agent.
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été reconnue définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions d'adjoint technique par la commission de réforme départementale du Vaucluse le 2 octobre 2014 et que sa demande de reclassement dans le
corps des adjoints administratifs de l'intérieur et de l'outre-mer a été rejetée par décision du ministre de l'intérieur du 11 mai 2015, au motif que la hiérarchie de l'intéressée avait émis un avis défavorable à cette demande et que la commission administrative paritaire nationale
s'était elle aussi déclarée défavorable à cette demande lors de sa séance du 15 avril 2015.
Le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud n'établit ni n'allègue avoir entrepris d'autres démarches afin de reclasser Mme B..., alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et en particulier de l'avis de la commission de réforme du 28 avril 2016, qu'elle serait inapte à toute fonction. Dans ces conditions, l'administration ne peut être regardée comme ayant satisfait à son obligation de reclassement consistant à rechercher avec diligence, et dans toute la mesure du possible, un poste adapté pour l'intéressée.
11. Il résulte de ce qui précède que l'appelante est fondée à demander à la Cour d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud du 25 août 2016. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel et pour le motif susmentionné, d'annuler la décision du 25 août 2016 du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud prononçant sa mise à la retraite pour invalidité, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par l'appelante.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'exécution du présent arrêt implique que le ministre de l'intérieur procède, à compter du 1er septembre 2016, date à laquelle a été prononcée la mise à la retraite pour invalidité de Mme B..., à sa réintégration juridique et à la reconstitution de sa carrière, incluant le cas échéant ses droits à l'avancement, et, en particulier, à la reconstitution de ses droits sociaux, notamment de ses droits à pension de retraite qu'elle aurait acquis en l'absence de l'éviction illégale dont elle a fait l'objet, et, par suite, au versement des cotisations nécessaires à cette reconstitution, soit les parts patronales et salariales de ces cotisations. En revanche, elle n'implique pas qu'il soit procédé au versement des traitements dont elle a été privée.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris les dépens, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1603376 du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation de décision du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud et à ce qu'il soit enjoint audit préfet de procéder à sa réintégration à compter du 1er septembre 2016.
Article 2 : L'arrêté du 25 août 2016 du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder à la réintégration juridique de Mme B... à compter du 1er septembre 2016, et de procéder à la reconstitution de sa carrière, incluant le cas échéant ses droits à l'avancement, et, en particulier, à la reconstitution de ses droits sociaux et, notamment, de ses droits à pension de retraite.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... épouse B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2019, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 14 janvier 2020.
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N° 18MA05458