Conseil d'État, 8ème chambre, 13/02/2020, 419329, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal départemental des pensions de Lyon de reconnaître l'imputabilité au service des manifestations fonctionnelles de la myofasciite à macrophages qu'elle soutient avoir contractée à la suite des injections vaccinales subies à l'occasion du service et de lui accorder le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité. Par un jugement n° 11/00019 du 23 septembre 2014, ce tribunal a fait droit à sa demande et fixé le taux d'invalidité à 80 %.
Par un arrêt n° 14/00008 du 30 janvier 2018, la cour régionale des pensions de Lyon a, sur appel de la ministre des armées, annulé ce jugement et rejeté la demande de Mme B....
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 mars 2018, 19 juin 2018 et 10 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la ministre des armées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., intégrée dans l'armée en 1981, a été soumise à plusieurs injections de vaccin contre l'hépatite B les 28 avril et 27 mai 1988. Elle a développé, à partir de 1995, une asthénie, physique et cognitive, associée à des douleurs musculo-articulaires diffuses, une intolérance aux efforts et au froid ainsi que des troubles du sommeil. Une biopsie, effectuée sur le muscle deltoïde gauche dans lequel avaient été pratiquées les injections vaccinales, a mis en évidence la présence de lésions histologiques identiques à celles que l'on peut observer en cas de myofasciites à macrophages. Le 22 juillet 2009, Mme B... a sollicité du ministre de la défense le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour séquelles de myofasciite à macrophages se caractérisant par une fatigabilité permanente, des troubles de la vision et des troubles psychologiques. Après son examen par le médecin expert de l'administration, puis par le chef de service de la clinique psychiatrique à l'hôpital d'instruction des armées Desgenettes de Lyon, la commission consultative médicale a émis un avis défavorable à l'octroi à Mme B... d'une pension militaire d'invalidité. Par décision du 27 juin 2011, le ministre de la défense a, sur la base de cet avis, rejeté sa demande. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 janvier 2018 par lequel la cour régionale des pensions de Lyon, après avoir annulé le jugement du 23 septembre 2014 par lequel le tribunal départemental des pensions de Lyon avait reconnu l'imputabilité au service des manifestations fonctionnelles de la myofasciite à macrophages dont elle souffre et lui avait accordé le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 80 %, a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa version applicable au litige : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service (...) ". Aux termes de l'article L. 4 de ce code, dans sa version applicable au litige : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / (...) Il est concédé une pension : (...) 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. (...) ".
3. Dans le dernier état des connaissances scientifiques, l'existence d'un lien de causalité entre une vaccination contenant un adjuvant aluminique et la combinaison de symptômes constitués notamment par une fatigue chronique, des douleurs articulaires et musculaires et des troubles cognitifs n'est pas exclue et revêt une probabilité suffisante pour que ce lien puisse, sous certaines conditions, être regardé comme établi. Tel est le cas lorsque la personne vaccinée, présentant des lésions musculaires de myofasciite à macrophages à l'emplacement des injections, est atteinte de tels symptômes, soit que ces symptômes sont apparus postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, soit, si certains de ces symptômes préexistaient, qu'ils se sont aggravés à un rythme et avec une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de l'état de santé antérieur à la vaccination, et qu'il ne ressort pas des expertises versées au dossier que les symptômes pourraient résulter d'une autre cause que la vaccination.
4. Pour rejeter la demande de Mme B..., la cour régionale des pensions de Lyon s'est fondée sur ce qu'il ressortait de la dernière expertise médicale effectuée en 2016 par le docteur Mifsud, après avis du professeur Vighetto, sapiteur neurologue, qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'était pas possible d'établir un lien de causalité direct et certain entre la vaccination contre l'hépatite B et une myofasciite à macrophages diffuse, ni entre la lésion histologique que présentait Mme B... à l'emplacement des injections et les signes cliniques dont elle était atteinte. En statuant ainsi, alors que ces rapports d'expertise n'établissaient pas que les symptômes dont souffrait la requérante pouvaient résulter d'une autre cause que la vaccination, sans rechercher si ces symptômes étaient apparus postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection ou, dans l'hypothèse où certains symptômes préexistaient, s'ils s'étaient aggravés à un rythme et avec une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur, la cour régionale des pensions de Lyon a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions de Lyon du 30 janvier 2018 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la ministre des armées.