CAA de NANTES, 6ème chambre, 18/02/2020, 18NT02675, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 février 2020
Num18NT02675
JuridictionNantes
Formation6ème chambre
PresidentM. LENOIR
RapporteurM. François PONS
CommissaireM. LEMOINE
AvocatsSEINGIER

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 27 octobre 2015 par lequel la ministre de la justice a prononcé sa titularisation à compter du 15 septembre 2015 en qualité de secrétaire administratif de 1er grade, en tant que cet arrêté la classe au 4ème échelon de ce grade sans conservation de son ancienneté, ainsi que la décision du 30 décembre 2015 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1600565 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 juillet et 1er octobre 2018, Mme B..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 avril 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 octobre 2015 par lequel la ministre de la justice a prononcé sa titularisation à compter du 15 septembre 2015 en qualité de secrétaire administratif de 1er grade, en tant que cet arrêté la classe au 4ème échelon de ce grade sans conservation de son ancienneté, ainsi que la décision du 30 décembre 2015 rejetant son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier :
* le rapporteur public du tribunal administratif a uniquement indiqué le sens synthétique des conclusions mais n'a pas complété la rubrique " sens des conclusions et moyens ou causes retenus " dans l'application " Sagace ", en méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;
* la minute du jugement ne comporte pas les signatures prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
* l'ensemble des moyens et des éléments de son mémoire complémentaire enregistré au greffe du tribunal le 13 octobre 2016 et de son mémoire en réplique enregistré le 17 juillet 2017, n'ont pas été analysés et le jugement, en écartant le moyen relatif à l'illégalité de traitement sans le développer, est entaché d'une omission à statuer ;
- les décisions attaquées ne sont pas suffisamment motivées, en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le tribunal a commis une erreur de droit dès lors qu'elle avait le droit d'être reclassée dans son corps d'accueil conformément aux dispositions des articles R. 4139-20 et R. 4139-20-1 du code de la défense, à un grade et un échelon doté d'un indice égal ou à défaut immédiatement supérieur à celui dont elle bénéficiait en qualité de militaire et de conserver, à titre personnel, l'indice détenu dans son grade militaire dans l'hypothèse où l'indice afférent à l'échelon sommital de son grade d'accueil serait inférieur à celui qu'elle détenait dans son grade d'origine ;
- en estimant que les dispositions de l'article L. 4139-3 du code de la défense déterminaient à elles-seules les conditions dans lesquelles les militaires ayant eu accès à un emploi réservé devaient être intégrés, le tribunal a méconnu le principe issu de l'article L. 4123-1 du code de la défense selon lequel toute mesure de portée générale affectant la rémunération des fonctionnaires civils de l'Etat est, sous réserve des mesures d'adaptation nécessaires, appliquée avec effet simultané aux militaires.
- l'article L. 4123-1 du code de la défense implique que les agents publics doivent être regardés dans leur globalité, sans distinguer les militaires des fonctionnaires ;
- son reclassement est une atteinte au prince d'égalité entre fonctionnaires, elle a subi un traitement différencié par rapport à d'autres agents placés dans la même situation.

L'instruction a été close au 18 juillet 2019, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire en défense a été enregistré pour la garde des sceaux, ministre de la justice, le 27 janvier 2020, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la défense ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- les observations de Me D..., représentant Mme B....


Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., militaire de la marine nationale depuis 1993 et classée dans l'échelle 4 de rémunération au 5ème échelon correspondant à un indice brut (IB) 512 et à un indice majoré (IM) 440, a été recrutée dans le cadre des emplois réservés du ministère de la justice comme secrétaire administrative de 1er grade. Par un arrêté du ministre de la justice du 25 juillet 2014, modifié le 23 avril 2015, Mme B... a été nommée stagiaire au 11ème échelon de ce grade correspondant à l'indice brut 516 et à l'indice majoré 443 sans ancienneté conservée, affectée à la direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse Grand Ouest et placée en position de détachement par son administration durant ce stage. Par un arrêté du 27 octobre 2015, l'intéressée a été titularisée dans ses fonctions à compter du 15 septembre 2015 et classée au 4ème échelon de son grade correspondant à un IB 360 et à un IM 335. Son recours gracieux contre cet arrêté a été rejeté le 30 décembre 2015. Par sa présente requête, Mme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 avril 2018 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 octobre 2015 ainsi que la décision du 30 décembre 2015 rejetant son recours gracieux.
Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter après les conclusions du rapporteur public à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. En outre, le rapporteur public qui, après avoir communiqué le sens de ses conclusions, envisage de modifier sa position doit, à peine d'irrégularité de la décision, mettre les parties à même de connaître ce changement. Par ailleurs, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir, la communication de ces informations n'étant toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

3. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Rennes que le sens des conclusions du rapporteur public, tendant au rejet au fond de la demande, a été mis en ligne le 20 mars 2018 à 18H00. Le rapporteur public a ainsi indiqué aux parties le sens de ses conclusions, en indiquant les éléments du dispositif de la décision qu'il comptait proposer à la formation de jugement d'adopter. Le rapporteur public n'était pas tenu de compléter la rubrique " sens des conclusions et moyens ou causes retenus " dans l'application " Sagace ", dès lors qu'un rejet au fond de la demande était proposé. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le jugement qu'elle critique serait irrégulier sur ce point.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement comporte les signatures prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait irrégulier sur ce point.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'ensemble des moyens de la requête de Mme B... et de ses mémoires complémentaires enregistrés au greffe du tribunal le 13 octobre 2016 et le 17 juillet 2017 ont été analysés par le tribunal. Aucune exception d'illégalité n'ayant été soulevée par la requérante, le tribunal n'était pas tenu d'y répondre. Par suite, le jugement en cause n'est pas entaché d'une omission de répondre à un moyen et Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le jugement aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière.

Sur le bien-fondé du jugement :

6. En premier lieu, les décisions en cause ne sont pas au nombre de celles qui doivent être obligatoirement motivées en application des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Une décision de titularisation prononçant le reclassement de l'intéressé n'est pas, par elle-même, une décision qui retire ou abroge une décision créatrice de droits ou une décision défavorable au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de ces décisions doit donc être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 4139-3 du code de la défense : " Le militaire, à l'exception de l'officier de carrière et du militaire commissionné, peut se porter candidat pour l'accès aux emplois réservés, sur demande agréée, dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre. En cas d'intégration ou de titularisation, la durée des services effectifs du militaire est reprise en totalité dans la limite de dix ans pour l'ancienneté dans le corps ou le cadre d'emploi d'accueil de catégorie C. Elle est reprise pour la moitié de la durée des services effectifs dans la limite de cinq ans pour l'ancienneté dans le corps ou le cadre d'emploi de catégorie B. ". Aux termes de l'article L. 4139-4 de ce code : " Durant le détachement prévu aux articles L. 4139-1 à L. 4139-3, le militaire perçoit une rémunération au moins égale à celle qu'il aurait perçue s'il était resté en position d'activité au sein des armées, dans des conditions fixées par décret. Aucune promotion n'est prononcée durant ce détachement et le militaire est radié des cadres ou rayé des contrôles de l'armée active à la date de son intégration ou de sa titularisation dans le corps ou le cadre d'emploi d'accueil. (...) ".

8. Contrairement à ce qui est allégué, Mme B... ne peut tirer des dispositions citées un droit à être reclassée dans son corps d'accueil à un grade et un échelon doté d'un indice égal ou à défaut immédiatement supérieur à celui dont elle bénéficiait en qualité de militaire et conserver, à titre personnel, l'indice détenu dans son grade militaire dans l'hypothèse où l'indice afférent à l'échelon sommital de son grade d'accueil serait inférieur à celui qu'elle détenait dans son grade d'origine. En effet, les dispositions de l'article L. 4139-3 du code de la défense fixent les modalités selon lesquelles la carrière antérieure du militaire qui devient fonctionnaire en étant recruté sur un emploi réservé est prise en considération pour déterminer l'ancienneté dont il bénéficie dans le corps qu'il rejoint lors de sa titularisation. Cette reprise d'ancienneté permet de déterminer, au regard des dispositions statutaires propres à chaque corps, l'échelon auquel il doit être reclassé et, par suite, l'indice qui en résulte. Ces dispositions ne prévoient pas que le reclassement dans la fonction publique d'un ancien militaire, recruté au titre de la législation sur les emplois réservés, tienne compte de l'indice détenu par l'intéressé lorsqu'il était militaire, alors même que cela est le cas pour d'autres modes d'intégration de militaires dans un emploi civil, notamment en application des articles L. 4139-2 et R. 4139-20 du code de la défense. Dans ces conditions, l'intéressée ne saurait utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 4139-3 du code de la défense, relatives au détachement ou au reclassement des militaires lauréats de la fonction publique ou de la magistrature, qui ne sont pas applicables à sa situation. Par suite, même si les conditions de titularisation de Mme B... sont moins favorables que celles dans lesquelles elle a effectué sa période de détachement et de stage, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que le ministre de la justice avait fait une exacte application, pour procéder au reclassement de l'intéressée, des dispositions citées de l'article L. 4139-3 du code de la défense, qui prévoient uniquement, dans le cas de Mme B... une reprise d'ancienneté dans la limite de cinq ans.

9. En troisième et dernier lieu, la circonstance alléguée que des collègues de Mme B..., placés dans la même situation qu'elle, auraient bénéficié d'une situation plus favorable lors de leur intégration, est sans incidence sur la légalité de la décision contestée qui a été prise conformément aux dispositions légales citées. Dès lors, le moyen tiré du manquement au principe d'égalité entre les fonctionnaires ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par Mme B... au titre des frais liés au litige.


DECIDE :


Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 février 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS





La République mande et ordonne à la garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02675