CAA de DOUAI, 3ème chambre, 27/02/2020, 17DA01251, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision27 février 2020
Num17DA01251
JuridictionDouai
Formation3ème chambre
PresidentM. Albertini
RapporteurM. Jean-Jacques Gauthé
CommissaireM. Cassara
AvocatsBODART

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la caisse de crédit municipal de Roubaix à lui verser la somme de 83 640 euros en réparation de son préjudice, cette somme portant intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, avec capitalisation.

Par un jugement n° 1303545 du 25 avril 2017, le tribunal administratif de Lille a condamné la caisse de crédit municipal de Roubaix à verser à M. C... une indemnité de 1 500 euros et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juin 2017, M. C..., représenté par Me F... B..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 25 avril 2017 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a limité à la somme de 1 500 euros le montant de l'indemnité que la caisse de crédit municipal de Roubaix a été condamnée à lui verser ;

2°) de condamner la caisse de crédit municipal de Roubaix à lui verser la somme de 83 640 euros en réparation des fautes nées du refus de reconnaissance d'imputabilité au service de son affection, cette somme portant intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, avec capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la caisse de crédit municipal de Roubaix la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 35 euros au titre de l'article R. 761-1 de ce code.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code civil ;
- le code monétaire et financier ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 57-348 du 28 mars 1957 fixant le statut des agents comptables des caisses de crédit municipal ;
- le décret n° 81-389 du 24 avril 1981 relatif au statut du personnel des caisses de crédit communal ;
-le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ;
- le décret n° 2013-1280 du 29 décembre 2013 relatif à la suppression de la contribution pour l'aide juridique et à diverses dispositions relatives à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- les observations de Me A... E..., substituant Me F... B..., représentant M. C....


Considérant ce qui suit :

1. M. D... C..., qui est né le 19 avril 1957, est entré en 1975 à la caisse de crédit municipal de Roubaix. Il a été mis à la retraite pour invalidité par un arrêté du 12 septembre 2011 du directeur de cette caisse à compter du 1er octobre 2011, avec un taux d'invalidité de 40 %, alors qu'il était adjoint administratif territorial principal de 1ère classe. Par un arrêté du 7 mai 1992, le préfet du Nord l'avait nommé, à compter du 10 mars 1992, en qualité de comptable intérimaire de la caisse de crédit municipal de Roubaix. Son dernier indice dans cet emploi, l'indice nouveau majoré 488, avait été fixé par un arrêté du 1er juin 2003 du directeur de cette caisse. M. C... a été placé en congé maladie à compter du 9 janvier 2006, puis en congé de longue maladie par un arrêté du 1er décembre 2006. Un arrêté du 15 mai 2006 du directeur de cette caisse l'a réintégré au 3ème échelon de son grade statutaire d'adjoint administratif principal de 1ère classe, à l'indice nouveau majoré 393, à compter du 15 mai 2006. Par un jugement du 2 juin 2009, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande d'annulation pour excès de pouvoir de M. C... dirigée contre cet arrêté du 15 mai 2006, au motif que le directeur de la caisse de crédit municipal était en situation de compétence liée du fait du procès-verbal de remise de service du 15 mai 2006 établi par le trésorier-payeur général du Nord. Un jugement du 5 avril 2011 du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 1er décembre 2008 du directeur de la caisse de crédit municipal de Roubaix refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'affection de M. C.... Un arrêté du 13 mai 2011 a, ensuite, reconnu cette imputabilité. M. C... a présenté, le 26 juillet 2012, une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices nés de ce refus d'imputabilité pour un total de 83 640 euros. M. C... relève appel du jugement du 25 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille a limité à la somme de 1 500 euros le montant de l'indemnité que la caisse de crédit municipal de Roubaix a été condamnée à lui verser, en rejetant le surplus de ses conclusions.

Sur la responsabilité :

2. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, le II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
3. Aux termes de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ".
4. Aux termes de l'article 5 du décret n° 57-348 du 28 mars 1957 fixant le statut des agents comptables des caisses de crédit municipal : " (...) La désignation d'un comptable intérimaire, lorsqu'elle est nécessaire, est faite par le préfet, sur proposition du directeur de l'établissement et avis du trésorier-payeur général ". Il est constant que M. C... a exercé les fonctions de comptable intérimaire de la caisse de crédit municipal de Roubaix de 1992 à 2006. A la suite à la reconnaissance de l'imputabilité au service de son affection, M. C... a touché son traitement sur la base de l'indice du 7ème échelon de l'emploi d'agent comptable à l'indice nouveau majoré 488 pour la période du 9 janvier 2006, date du début de son congé maladie, au 15 mai 2006. Toutefois, à cette date, M. C... n'exerçait plus effectivement les fonctions d'agent comptable intérimaire et une remise de service avait eu lieu. L'administration était, dès lors, tenue, d'une part, de mettre fin à ses fonctions d'agent comptable intérimaire, ainsi que l'a jugé le 2 juin 2009 le tribunal administratif de Lille dans un jugement passé en force de chose jugée, d'autre part, de placer M. C... dans une situation régulière. Elle était également tenue de le réintégrer au 3ème échelon de son grade statutaire d'adjoint administratif principal de 1ère classe à l'indice nouveau majoré 393, à compter du 15 mai 2006, sans qu'il puisse utilement se prévaloir, en tout état de cause, de la méconnaissance des dispositions de l'article 63 du décret n° 81-389 du 24 avril 1981 relatif au statut du personnel des caisses de crédit communal qui prévoit la conservation de ses émoluments pendant un congé de maladie pour une affection imputable au service, dès lors qu'il a pu conserver les émoluments afférents à ce grade pendant qu'il était en congé de maladie.
5. En outre, en application des dispositions de l'article 57 précité de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, M. C... a conservé l'intégralité de son traitement afférant à ce grade jusqu'à sa mise à la retraite, sans qu'il puisse soutenir qu'il aurait dû bénéficier de l'indice attaché à l'emploi d'agent comptable intérimaire jusqu'à sa date de mise à la retraite. Par suite, le moyen tiré de la faute commise par la caisse de crédit municipal de Roubaix en lui versant un traitement sur la base de l'indice nouveau majoré 393 du 15 mai 2006 au 1er octobre 2011 doit être écarté et les conclusions de M. C... tendant au paiement de la somme de 38 640 euros au titre de la perte de rémunération durant son congé de maladie doivent être rejetées.
6. Enfin, s'il est constant que le successeur de M. C... dans les fonctions de comptable de la caisse de crédit municipal de Roubaix a été titularisé dans le grade de rédacteur territorial au bout de trois ans, alors que M. C... ne l'a pas été, en ayant exercé ces fonctions à titre intérimaire durant quatorze ans, il résulte de l'instruction que le successeur de M. C... avait réussi, en 2006, l'examen professionnel de rédacteur, préalable à l'inscription sur la liste d'aptitude, alors que M. C... avait échoué en 2005 à cet examen. Par suite, le moyen tiré de la faute née du refus de titularisation de M. C... dans le cadre d'emploi des rédacteurs territoriaux doit être écarté.

7. Il résulte toutefois de l'instruction que M. C... est resté durant quatorze ans dans des fonctions intérimaires. Les expertises produites dans le cadre de sa mise à la retraite pour invalidité établissent que celui-ci souffre de troubles anxio-dépressifs et névrotiques sévères, liés à sa situation professionnelle, et sont notamment consécutifs à un grave incident intervenu le 9 janvier 2006 avec le directeur de la caisse de crédit municipal de Roubaix. L'imputabilité au service de ces troubles n'a été reconnue qu'à la suite du recours de M. C... devant le tribunal administratif de Lille. La souffrance morale et le sentiment de dévalorisation ressentis sont à l'origine d'un préjudice dont il sera fait une juste appréciation en portant la somme de 1 500 euros, au paiement de laquelle la caisse de crédit municipal de Roubaix a été condamnée par le tribunal administratif de Lille, à la somme de 3 000 euros.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

8. Si M. C... invoque sur ce fondement des troubles dans les conditions d'existence qui ne seraient pas réparés par la pension d'invalidité, troubles constitués par le recours à des crédits à la consommation pour faire face aux dépenses courantes, par la vente d'un appartement dont son épouse et lui étaient propriétaires à Bray-Dunes, ce qui aurait entraîné une dépression de son épouse et l'échec de leur fille à ses examens universitaires, le demandeur ne produit aucun élément de nature à établir leur caractère direct et certain. Par suite, ses conclusions indemnitaires tendant au paiement de la somme de 30 000 euros à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

9. Les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue à l'administration ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Il résulte de l'instruction que M. C... a demandé les intérêts sur les sommes dues au titre de la réparation de son préjudice dans sa demande préalable reçue par la caisse de crédit municipal de Roubaix le 30 juillet 2012. Par suite, le requérant a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 3 000 euros à compter de cette date.

10. Aux termes de l'article 1154 du code civil, " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. M. C... a sollicité la capitalisation des intérêts par requête enregistrée le 10 juin 2013. Il est ainsi fondé à demander que les intérêts précédemment déterminés soient capitalisés au même taux à compter du 30 juillet 2013, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :

11. M. C... doit être regardé comme relevant appel de l'article 4 du jugement attaqué rejetant le surplus de ses conclusions de première instance, en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives au versement de la somme de 35 euros au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Sa demande de première instance ayant été introduite le 10 juin 2013, donc antérieurement au 1er janvier 2014, date d'entrée en vigueur du décret n° 2013-1280 du 29 décembre 2013 relatif à la suppression de la contribution pour l'aide juridique et à diverses dispositions relatives à l'aide juridique, et M. C... étant gagnant en première instance, il y a lieu de mettre la somme de 35 euros à la charge de la caisse de crédit municipal de Roubaix sur le fondement de ces dispositions alors applicables au titre des dépens exposés par M. C... en première instance.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 25 avril 2017, le tribunal administratif de Lille a limité à la somme de 1 500 euros le montant de l'indemnité que la caisse de crédit municipal de Roubaix a été condamnée à lui verser. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions de la caisse de crédit municipal de Roubaix présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à sa charge le versement à M. C..., partie gagnante, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de cet article.


DÉCIDE :
Article 1er : Le montant de l'indemnité que la caisse de crédit municipal de Roubaix a été condamnée à verser à M. C... est porté de la somme de 1 500 euros à la somme de 3 000 euros.

Article 2 : Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 2012. Les intérêts seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter du 30 juillet 2013, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 3 : La caisse de crédit municipal de Roubaix versera une somme de 35 euros en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La caisse de crédit municipal de Roubaix versera une somme de 1 500 euros à M. C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le jugement du 27 avril 2017 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et à la caisse de crédit municipal de Roubaix.

Copie en sera transmise, pour information, au maire de Roubaix.

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