CAA de LYON, 7ème chambre, 12/03/2020, 19LY04046, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé le 28 janvier 2018 au tribunal des pensions militaires de Lyon d'annuler la décision du 21 novembre 2017, par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité en date du 21 avril 2016 et de lui reconnaître un droit à pension pour infirmité de diafect diaphragmatique au taux de 30 %.
Par un jugement n° 18/00002 du 9 avril 2019, le tribunal des pensions a annulé la décision du 21 novembre 2017 et lui a accordé une pension au taux de 30 %.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juin 2019, la ministre des armées demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions militaires de Lyon du 9 avril 2019 ;
2°) de rejeter la demande de M. B....
Elle soutient que :
- en consultant un médecin référent en cours de délibéré sans lui avoir communiqué le courriel, en date du 17 décembre 2018, de ce médecin, le tribunal des pensions a méconnu le principe du contradictoire ;
- M. B... n'apporte pas la preuve, qui lui incombe en vertu des articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, du lien de causalité entre l'affection au titre de laquelle il a formé sa demande et l'accident de service dont il a été victime le 15 octobre 1991 ;
- l'infirmité dont M. B... fait état ne saurait entraîner qu'un taux d'invalidité de 10 %, inférieur au minimum requis de 30 % pour ouvrir droit à pension hors guerre.
Par un mémoire, enregistré le 12 septembre 2019, M. B... représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la confirmation de l'annulation de la décision du 21 novembre 2017.
Il soutient que :
- le jugement de première instance est suffisamment motivé et circonstancié ;
- la seule circonstance que les troubles se sont révélés fortuitement après plusieurs années ne brise pas leur lien de causalité avec l'accident de service dont il a été victime en 1991 ; ce lien est établi par les appréciations des médecins experts.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- les observations de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1 M. C... B... a fait carrière dans la gendarmerie du 1er février 1983 au 1er janvier 2018, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite. Il a été accidenté en service le 15 octobre 1991. Un scanner pulmonaire réalisé fortuitement le 18 janvier 2016 a diagnostiqué un défect diaphragmatique, qui a été réduit par des interventions chirurgicales en avril 2016. Faisant valoir que cette affection trouvait son origine dans le traumatisme subi lors de l'accident de service, M. B... a demandé, le 21 avril 2016, une pension militaire d'invalidité à ce titre. Annulant le refus que lui avait opposé le ministre de la défense par une décision du 21 novembre 2017, le tribunal des pensions militaires de Lyon, par un jugement du 9 avril 2019, a enjoint à la ministre des armées d'accorder à M. B... une pension militaire d'invalidité au taux de 30 %. La ministre demande en appel l'annulation de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des mentions du jugement que, dans le cadre du délibéré, notamment par une correspondance électronique du 17 décembre 2018, les premiers juges ont consulté le professeur Gouillat, en sa qualité d'expert près la cour de cassation et la cour d'appel de Lyon, pour retenir les affirmations de celui-ci selon lesquelles " il est en effet très classique qu'une rupture traumatique du diaphragme ne soit découverte que de très nombreuses années après le traumatisme ". La rédaction de ces mentions révèle que, parmi les autres motifs du jugement conduits de manière inductive s'agissant, au cas d'espèce, de déterminer un lien de causalité entre l'accident de service du 15 octobre 1991 et l'affection découverte le 18 janvier 2016, cette considération a été déterminante dans la solution donnée au litige par le tribunal. Il ne ressort pas desdites mentions que la ministre des armées, qui n'est pas contredite sur ce point, a été mise en mesure de discuter cette appréciation dans le cadre du débat contradictoire. Dès lors, en s'abstenant de communiquer ces éléments, recueillis en-dehors de la procédure contentieuse contradictoire, et notamment en méconnaissance de l'article L. 711-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, à l'administration, les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire et ont entaché le jugement attaqué d'irrégularité. Par suite, la ministre des armées est fondée, par ce motif, à en demander l'annulation.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. B....
4. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable au litige : " Ouvrent droit à pension : /1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; /4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Lorsque la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes mentionnées à l'article L. 121-1 ne peut être apportée, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : (...) Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. "
5. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
6. Il résulte de l'instruction que, si M. B... a été victime, le 15 octobre 1991, d'une chute grave alors qu'il intervenait en qualité de gendarme enquêteur pour des investigations dans un bâtiment industriel à la suite d'un incendie et qui lui a provoqué un important traumatisme et plusieurs fractures, l'intéressé a pu reprendre ses fonctions après un arrêt de travail de cinq semaines au titre de l'accident de service reconnu, sans, selon ses propres déclarations, faire état, jusqu'à la date de sa demande de pension, de séquelles liées à cet accident, hors de violentes douleurs spontanément résorbées au bout de quelques mois. Si M. B... fait état, par ses observations orales à l'audience, de défaillances dans sa prise en charge lors de son hospitalisation, il ne l'établit pas. Son livret médical, dont l'intéressé ne rapporte pas la preuve qu'il serait entaché d'omissions, ne comporte aucune mention de conséquences de cet événement, noté sans séquelles lors d'une visite médicale périodique le 28 août 1996. M. B... indique dans ses écritures avoir vécu depuis sans troubles de santé notables avant une affection pulmonaire fin 2015, pour laquelle a été prescrit l'examen par scannographie qui a révélé, fortuitement, un défect diaphragmatique. Si le rapport d'expertise médicale du médecin de l'administration qui a examiné le requérant le 11 mars 2017, dans le cadre de l'instruction de sa demande, mentionne la persistance de douleurs et conclut par déduction au lien probable entre l'affection et l'accident de service, il se borne à retranscrire les déclarations de l'intéressé s'agissant des suites données à cet événement par M. B... et des troubles fonctionnels allégués entre 1996 et 2016. Enfin, tandis que le chirurgien qui a traité le défect diaphragmatique procède également par déduction pour évoquer une probabilité de ce lien, M. B... se borne à faire valoir la documentation médicale générale sur le sujet pour fonder sa demande sur cette probabilité, par exclusion d'autres hypothèses. Dans ces conditions, la preuve de l'imputabilité de l'affection pour laquelle a été formée la demande de pension à un fait précis ou à des circonstances particulières de service, comme l'exigent les dispositions précitées du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, n'est pas rapportée.
7. Il résulte de ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Lyon a accordé à M. B... une pension au taux global de 30 % pour " séquelles d'un dépôt de la coupole diaphragmatique gauche ".
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 18/00002 du 9 avril 2019 du tribunal des pensions de Lyon est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal des pensions de Lyon est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. C... B....
Délibéré après l'audience du 20 février 2020 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 mars 2020.
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