CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 12/05/2020, 19BX04072, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision12 mai 2020
Num19BX04072
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurM. Thierry SORIN
CommissaireMme CHAUVIN
AvocatsMISCHLER BLANDINE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bordeaux d'annuler la décision du 6 juillet 2010 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'obtention d'une pension militaire d'invalidité au titre d'infirmités contractées en Indochine. Par un jugement n° RG 11/00071 du 24 juillet 2013, le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13/02941 du 17 mars 2015, la cour régionale des pensions de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. B....

Par une décision n° 392162 du 17 mars 2017, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour régionale des pensions de Bordeaux.





Procédure devant la cour :

Par sa requête et ses mémoires récapitulatifs, enregistrés les 10 octobre 2013, 16 septembre 2014 et 27 janvier 2015 devant la cour régionale des pensions de Bordeaux, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de la Gironde du 24 juillet 2013 ;

2°) à titre principal, de faire droit à sa demande de pension formulée le 14 juin 2008 ;

3°) à titre subsidiaire d'ordonner une enquête administrative afin de déterminer son identité et sa filiation exacte.

M. B... soutient que :
- son recours est recevable dès lors que son recours gracieux du 18 février 2011 a conservé les délais de recours ;
- il a servi comme soldat combattant au sein de l'armée française et a été fait prisonnier de guerre par le Viet-Minh entre le 8 mai 1954 et le 25 août 1954 ;
- cette incarcération a concouru à son état de santé précaire, notamment une cécité moyenne ;
- son enregistrement à l'état civil en 1961 a été réalisé de manière incorrecte ;
- il est effectivement né en 1933 et sa mère se prénomme Aicha fille de Mohamed ;
- son état civil a été rectifié devant le tribunal de première instance de Oued Zem par un jugement du 13 décembre 2010 ; il produit, en outre, un document établissant sa filiation sur l'acte de naissance ;
- l'expertise médicale a reconnu ses incapacités en lien avec ses périodes militaires.


Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 septembre 2014 et le 31 août 2017, le ministre des armées demande à la cour de dire si les deux identités en cause correspondent à une seule personne et de renvoyer dans l'affirmative le calcul de la pension à l'administration.

Il fait valoir que :
- le Conseil d'Etat a considéré que la forclusion ne pouvait être opposée à la requête de M. B... devant le tribunal des pensions ;
- sur le fond, l'identité de personnes entre le requérant et l'ancien prisonnier militaire nommé Brahim B. Amor B. Abdelkader né en 1933 est douteuse.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 et notamment son article 51 ;
- le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :




1. Par une lettre enregistrée le 19 juin 2008, M. D... B... a sollicité du ministre de la défense l'attribution d'une pension militaire d'invalidité au titre d'infirmités contractées lors de la guerre d'Indochine en 1954. Sa demande a été rejetée le 6 juillet 2010 par le ministre de la défense. Par un jugement en date du 24 juillet 2013, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de la Gironde a rejeté comme étant irrecevable la requête de M. B... tendant à l'annulation de cette décision. Par un arrêt du 17 mars 2015, la cour régionale de pensions de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. B.... Par une décision du 17 mars 2017, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour du 17 mars 2015 et renvoyé l'affaire devant cette cour. En vertu des dispositions de la loi ° 2018-607 du 13 juillet 2018, désormais codifiées dans le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, l'affaire étant en état d'être jugée, il appartient désormais à la cour administrative d'appel de statuer sur la demande de M. B....



Sur la régularité du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bordeaux du 24 juillet 2013 :


2. Il résulte du dernier alinéa de l'article L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur, que la notification des décisions prises en matière de pensions militaires doit mentionner que le délai de recours contentieux court à partir de cette notification et que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvrent pas de nouveau délai de recours. L'article 5 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, alors en vigueur, prévoit que ces décisions sont susceptibles, dans le délai de six mois à compter de leur notification, de recours devant le tribunal des pensions, ce délai étant prorogé de deux mois lorsque l'intéressé réside à l'étranger en application de l'article 643 du code de procédure civile. Ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne font obstacle à ce que le destinataire de la décision forme un recours gracieux, prorogeant le délai de recours contentieux, contre celle-ci. Sont, à cet égard, sans incidence les circonstances qu'en vertu de l'article L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, la notification des décisions doit mentionner que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvrent pas de nouveau délai de recours et que l'article 6 du décret du 20 février 1959 organise une procédure préalable de conciliation entre l'administration et l'intéressé lorsque le tribunal des pensions, statuant comme juge du plein contentieux, est saisi d'un recours contre cette décision.

3. Il ressort des énonciations du jugement attaqué en date du 24 juillet 2013 que, pour juger tardive la demande de M. B..., le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bordeaux s'est fondé sur la circonstance que le recours gracieux formé par l'intéressé dans le délai de recours contentieux n'avait pas prorogé ce dernier. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit. M. B..., qui réside au Maroc, ayant formé un recours gracieux le 18 février 2011 contre la décision du 6 juillet 2010, soit dans le délai règlementaire de six mois prolongé pour distance de deux mois qui lui était imparti, ce recours a eu pour effet de conserver le délai de recours contentieux dès lors que la décision de rejet de ce recours gracieux, en date du 14 mars 2011, ne comportait pas l'indication des voies et délais de recours. Il suit de là que la requête de l'intéressé, introduite le 21 juillet 2011, n'était pas tardive. Par suite, M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque. Il y a lieu pour la cour, en vertu notamment des dispositions du V de l'article 51 de la loi du 13 juillet 2018, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande de M. B... telles que présentées en première instance et en appel.


Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 6 juillet 2010 du ministre de la défense :


4. Aux termes de l'article L. 111-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ont vocation à bénéficier des dispositions du présent livre les militaires remplissant les conditions d'ouverture du droit prévues au titre II et relevant des forces armées françaises, en tant qu'appelés, volontaires, militaires servant sous contrat, militaires de carrière ou réservistes, ainsi que les fonctionnaires en détachement en qualité de militaires (...) ". Aux termes de l'article L. 121-3 du même code, s'agissant des règles d'imputabilité et des conditions d'ouverture du droit à pension aux militaires : " La présomption bénéficie aux prisonniers de guerre et internés à l'étranger dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". L'article L. 122-2 de ce même code dispose que : " Les personnes en possession du titre de prisonnier du Viet-Minh mentionné à l'article L. 345-1 bénéficient de la présomption d'origine sans condition de délai pour les infirmités résultant de maladie ". Enfin, l'article L. 345-1 de ce même code précise : " Le titre de prisonnier du Viet-Minh est attribué aux militaires de l'armée française et aux Français ou ressortissants français qui, capturés par l'organisation dite " Viet-Minh " entre le 16 août 1945 et le 20 juillet 1954, sont décédés en détention ou sont restés détenus pendant au moins trois mois (...) ".

5. Pour rejeter la demande de pension militaire d'invalidité formée le 14 juin 2008 par M. B..., qui se prévalait de sa situation d'ancien prisonnier de guerre du Viet-Minh du 8 mai 1954 au 25 août 1954, le ministre chargé de la défense a considéré qu'il n'y avait pas " identité de personne entre M. D... B..., né en 1940 d'Amer, fils E... et d'Aïcha, fille de Larbi et l'ex-militaire Brahim b. Amor b. Abdelkader né en 1933 de Amor Ben Abdelkader et de Aïcha Ben Mohamed. En effet, l'intéressé ne peut s'être engagé dans l'armée française à l'âge de 13 ans et avoir été capturé en Indochine à l'âge de 14 ans ".

6. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment des pièces produites par M. B... devant le tribunal des pensions militaires de Bordeaux, que par un jugement du 13 décembre 2010 dont l'authenticité n'est pas contestée, le tribunal de première instance de Oued Zem (Maroc) a procédé à la rectification de la date de naissance de M. D... B... ainsi que du prénom de son grand-père maternel et a jugé que l'intéressé était né le 1er janvier 1933 de sa mère Aicha, fille de Mohamed, au lieu du 1er janvier 1940 de sa mère Aicha, fille de Larbi et a, en conséquence, ordonné à l'officier d'état civil de la commune de Oued Zem de modifier l'acte de naissance de l'intéressé n° 1824/1961. Par ailleurs, M. B... a produit la copie intégrale de l'acte d'état civil ainsi rectifié le 25 janvier 2011 faisant état de sa naissance le 1er janvier 1933 de Amor, fils E... et d'Aicha, fille de Mohamed. Enfin, il est constant que le requérant avait produit tant devant le ministre de la défense que devant les premiers juges sa carte de combattant délivrée par le ministre de la défense le 21 décembre 2007, sa carte de prisonnier du Viet-Minh entre le 8 mai 1954 et le 25 août 1954, établie le 7 mai 2008 par le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre, et un feuillet nominatif de contrôle du 4 janvier 2008 attestant notamment des services militaires effectués et de sa situation de prisonnier de guerre pour la période précitée. Il suit de là que c'est à tort que le ministre de la défense a rejeté la demande de M. B... au motif d'une absence d'identité de personne entre le demandeur et l'ancien militaire prisonnier de guerre du Viet-Minh dénommé Brahim B.... Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision du ministre de la défense du 6 juillet 2010, ensemble la décision du 14 mars 2011 de rejet de son recours gracieux.

7. En vertu du deuxième alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et des dispositions précitées au point 4, l'annulation des décisions contestées, eu égard au motif retenu et compte tenu de l'avis émis par la commission consultative médicale le 23 novembre 2009 et du procès-verbal de la commission de réforme des pensions militaires d'invalidité du 4 mars 2010, implique nécessairement que la ministre des armées accorde à M. D... B... le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité. L'état de l'instruction du dossier ne permettant pas à la cour de déterminer le montant exact des droits de M. B..., il y a lieu, comme le demande d'ailleurs le ministre, de renvoyer l'intéressé vers la sous-direction des pensions du ministère des armées aux fins de liquidation de ses droits à pension, sur la base des avis médicaux figurant au dossier, et ce dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.





DÉCIDE :





Article 1er : Le jugement n° RG 11/00071 du 24 juillet 2013 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La décision du ministre de la défense du 6 juillet 2010 et la décision du 14 mars 2011 de rejet du recours gracieux de M. B... sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la ministre des armées de procéder à la liquidation des droits à pension militaire d'invalidité de M. D... B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 11 février 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
M. Thierry C..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 12 mai 2020.
Le président de la 2ème chambre,



Catherine Girault


La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 19BX04072