CAA de LYON, 7ème chambre, 26/06/2020, 19LY04043, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... B... a demandé au tribunal des pensions de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 22 juillet 2016, par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité et de lui reconnaître un droit à pension pour infirmité imputable au service au taux de 60 %.
Par un jugement n° 18/3 du 20 juin 2018, le tribunal des pensions a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2018, et un mémoire, enregistré le 21 novembre 2019, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions du 20 juin 2018 ;
2°) de lui reconnaître l'imputabilité au service à hauteur des deux-tiers de son infirmité au taux de 60 % ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'imputabilité de son infirmité, non contestée, en totalité ou quasi-totalité au service est établie par les rapports d'expertise ; cette imputabilité doit être fixée aux deux-tiers.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 3 décembre 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- si le taux de 60 % de l'infirmité dont est affecté M. B... n'est pas contesté, la part imputable au service n'en est que de 20 % en raison notamment de l'antériorité de l'affection ;
- en application de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, ce taux est inférieur au minimum indemnisable fixé à 30 %.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1 M. C... B..., engagé le 1er février 1983 dans la gendarmerie, commandait, avec le grade de major, depuis avril 2011, la communauté de brigades de Pontgibaud, dans le Puy-de-Dôme. Placé en congé de maladie puis de longue durée depuis le 4 juin 2013, le lendemain d'une tentative d'autolyse dans un contexte de troubles dépressifs graves, il a formé le 20 juin 2014 une demande de pension qui a été rejetée, après avis de la commission de réforme, par une décision du ministre de la défense en date du 22 juillet 2016 aux motifs que l'infirmité, évaluée au taux de 60 %, ne trouvait pas son origine dans le service et, d'autre part, constituait une maladie dont les séquelles entraînent un taux d'invalidité inférieur à 30 %. Par un jugement du 20 juin 2018, le tribunal des pensions militaires de Clermont-Ferrand a rejeté son recours contre cette décision. Par une requête enregistrée le 19 juillet 2018, M. B... demande en appel l'annulation de ce jugement et que soit reconnue imputable au service, à hauteur des deux tiers, l'invalidité de 60 % dont il est affecté.
2 Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable au litige : " Ouvrent droit à pension : (...) / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) sauf faute de la victime détachable du service. " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Lorsque la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes mentionnées à l'article L. 121-1 ne peut être apportée, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : (...) Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. "
3 Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
4 Il appartient par ailleurs à un requérant qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe alors à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration à laquelle il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
5 Il résulte de l'instruction, notamment des expertises produites à l'instance, et il n'est pas contesté par les parties, que M. B... souffre d'une maladie psychiatrique de type dépressif profond constituant une infirmité au taux de 60 %.
6 Il résulte également de l'instruction, et notamment des mentions portées le 9 février 2000 dans le livret médical de M. B..., que la personnalité de celui-ci se caractérisait, à cette période où les attributions qui lui avaient été confiées n'atteignaient pas la charge du commandement qu'il avait pris en avril 2011, augmenté d'un large ensemble d'attributions professionnelles relevant d'une seconde ligne hiérarchique, par une implication extrême dans son exercice professionnel susceptible de l'amener à manifester des mouvements d'humeur. Toutefois, et contrairement à la présentation qui en est faite par la ministre en défense, aucune pièce du dossier ne révèle de caractère pathologique à cette personnalité, qui au demeurant aurait fait obstacle à la progression notable de sa carrière qu'ont favorisée ses différentes hiérarchies successives pendant plus de dix ans en relevant sa capacité de travail et cette implication.
7 Il résulte enfin de l'instruction, et notamment des rapports de l'enquête interne menée à la suite de l'événement survenu lors du service le 3 juin 2013, lequel a conduit à l'éviction de M. B... de tout service par la voie de la maladie, la concomitance entre le point de départ du développement de cette dernière et l'arrivée d'un nouveau commandant de compagnie et de son adjointe pour hiérarchie directe dans ses fonctions de commandement. Or, la progression de cette maladie a suivi jusqu'à son point culminant du 3 juin 2013 la mise en cause récurrente, de plus en plus accentuée et personnelle, de M. B... dans sa manière de servir, dont auprès de ses subordonnés et des partenaires tiers à l'institution, sans qu'il soit fait état de faits identifiés, voire, pour les déclarations à l'enquête du commandant de compagnie et de son adjointe, sous couvert d'éléments qui se sont révélés inexacts ou tendancieux. Ainsi, les agissements de cette hiérarchie, dont la motivation n'apparaît pas liée au seul service ainsi que le montre l'enquête interne, répétés, systématiques et non justifiés, constituent un harcèlement dévalorisant qui a été à l'origine de la maladie développée par M. B... et dont seule la traduction, par les faits qui en ont résulté, montre un lien avec la personnalité de l'intéressé. Dans ces conditions, c'est à tort que, par la décision du 22 juillet 2016, le ministre de la défense, pour rejeter la demande de M. B..., a écarté l'imputabilité de sa maladie au service et en a fixé le taux d'invalidité à moins de 30 %.
8 Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande et que deux tiers de son invalidité de 60 % sont imputables au service et doivent entraîner l'attribution à ce titre de la pension prévue par les dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.
9 Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 18/3 du 20 juin 2018 du tribunal des pensions de Clermont-Ferrand et la décision du 22 juillet 2016 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande de pension de M. B... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre des armées de verser à M. B... une pension d'invalidité au taux de 40 %.
Article 3 : L'État versera à M. B... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2020 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 juin 2020.
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