CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 15/10/2020, 17MA01913, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision15 octobre 2020
Num17MA01913
JuridictionMarseille
Formation8ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurM. Alexandre BADIE
CommissaireM. ANGENIOL
AvocatsSELARL TEISSONNIERE & ASSOCIÉS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de la défense, sur injonction de réexamen, a rejeté sa demande de reconnaissance et d'indemnisation présentée au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) et de condamner le ministre de la défense à lui verser, dans le délai de trois mois, sous astreinte journalière de 50 euros, la somme de 589 001 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis résultant des essais nucléaires, assortie des intérêts de droit à compter de sa demande préalable d'indemnisation du 8 avril 2011 et de la capitalisation des intérêts.
Par un jugement n° 1503597 du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.


Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistré le 9 mai 2017 et le 22 septembre 2017, M. E..., représenté par Me H..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) * à titre principal, de condamner l'Etat (ministre de la défense) et le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à l'indemniser, en lui versant une somme de 781 142,00 € dans un délai de 3 mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir pour réparer l'intégralité de ses préjudices subis ;
* à titre subsidiaire, d'enjoindre au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de procéder à l'évaluation et à l'indemnisation de ses préjudices de toute nature imputables aux maladies radio-induites dont il a été victime, dans un délai de trois mois sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision ;

3°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices, des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;

4°) de mettre à la charge du ministre de la défense la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :
- le ministre de la défense ne rapporte pas la preuve que le risque imputable aux essais nucléaires dans la survenue de sa maladie est négligeable en application du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- qu'il est nécessaire de faire application des nouvelles dispositions du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifié par l'article 113 de la loi n° 2017-256
du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle en outre-mer et portant d'autres dispositions en matière sociale et économique.


Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2017, la ministre des armées conclut à sa mise hors de cause.


Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2017, le CIVEN conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.


Par un mémoire enregistré le 27 septembre 2020, Mme I... E..., Mme F... B... et M. D... E..., informent la Cour qu'ils reprennent l'instance comme ayants-droit de M. E..., né le 7 juin 1933 et décédé le 1er décembre 2019.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 ;
- la loi n° loi n°2017-256 du 8 février 2017 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 et notamment son article 57 ;
- le décret n° 66-450 du 20 juin 1966 ;
- le décret n° 67-228 du 15 mars 1967 ;
- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;
- le décret n° 2012-604 du 30 avril 2012 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le décret du 24 février 2015 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me J..., substituant Me H..., représentant les ayants-droit de M. C... E....


Considérant ce qui suit :

1. M. C... E..., employé de la société Solétanche, entreprise sous-traitante du Commissariat à l'énergie atomique, a été affecté, entre le 22 mars et le 31 mai 1980, sur le site des essais nucléaires de Mururoa en qualité de conducteur de travaux. Durant cette période ont eu lieu sur l'atoll de Mururoa trois essais nucléaires souterrains, Thésée le 23 mars, Boros le 1er avril et Pélops le 4 avril 1980. M. E... a subi quatre pathologies cancéreuses : des épithéliomas baso-cellulaires (cancers cutanés) à partir de 1992, un carcinome épidermoïde de la parotide en 1994, un cancer du poumon en 1997 et enfin un adénocarcinome de la prostate en 2002. Le 8 avril 2011, il a saisi le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) d'une demande tendant à être indemnisé des préjudices subis du fait de son exposition aux rayonnements ionisants résultant de ces essais nucléaires réalisés pendant sa période d'affectation sur le site des essais nucléaires de Mururoa. Par une décision du 17 mai 2013, le ministre de la défense a rejeté la demande de M. E.... Par un jugement du 30 janvier 2015, devenu définitif, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cette décision en estimant que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le CIVEN ne pouvait être regardé comme ayant procédé à un examen suffisant de la situation particulière de M. E... et a enjoint au ministre de la défense de réexaminer sa demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français dans un délai de 3 mois à compter de la notification du jugement. En l'absence de toute décision dans le délai ainsi imparti, M. E... a alors demandé au tribunal, par une nouvelle requête, d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de la défense, sur injonction de réexamen, a rejeté sa demande de reconnaissance et d'indemnisation présentée au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) et de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices subis. En cours d'instance, dans ses séances des 7 juillet et 7 septembre 2015, le CIVEN a procédé au réexamen de la situation de M. E... et, par une décision du 16 septembre 2015, le président du CIVEN a rejeté la demande d'indemnisation de celui-ci au motif que la probabilité d'une relation de cause à effet entre l'exposition de M. E... aux rayons ionisants et la survenue de ses maladies pouvait être considéré comme négligeable. M. E... a relevé appel du jugement du 9 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.



Sur la demande de mise hors de cause de la ministre des armées :

2. L'article 53 II de la loi n° 2013-1168 de programmation militaire pour les années 2014-2019 du 18 décembre 2013 précise que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires est une autorité administrative indépendante et qu'il a compétence pour décider d'attribuer ou non des indemnisations au titre de la loi du 5 janvier 2010 modifiée. La décision du 16 septembre 2015 rejetant la demande de M. E... a d'ailleurs été prise par le président du CIVEN organisme qui a succédé à l'Etat dans l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Dans ces conditions, la ministre des armées est fondée à demander, ainsi d'ailleurs qu'en avait décidé le tribunal, à ce que sa mise hors de cause soit prononcée dans la présente instance.


Sur les textes applicables:

3. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. (...). ".

4. Aux termes de l'article 2 de la même loi, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française (...) ".

5. Le V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige, énonce que : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) ".

6. Aux termes de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du
5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : " à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé. " sont supprimés. / II. -Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi (...) ".

7. Il résulte du II de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, cité au point précédent, d'une part, que le législateur a confié au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires la mission de réexaminer l'ensemble des demandes d'indemnisation ayant fait l'objet d'une décision de rejet de la part du ministre ou du comité, s'il estime que l'entrée en vigueur de cette loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision et, d'autre part, que les victimes ou leurs ayants-droit peuvent, dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, présenter au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires une nouvelle demande d'indemnisation. Compte tenu de son office, il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un litige relatif à une décision intervenue après réexamen d'une ancienne demande d'indemnisation ou en réponse à une demande postérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, de statuer en faisant application des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 dans leur rédaction issue de la loi
n° 2017-256 du 28 février 2017 et, s'il juge illégale la décision contestée, de fixer le montant de l'indemnité due au demandeur, sous réserve que ce dernier ait présenté des conclusions indemnitaires chiffrées, le cas échéant, après que le juge l'a invité à régulariser sa demande sur ce point. En revanche, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 que le législateur a entendu que, lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge, après avoir invité les parties à débattre des conséquences de l'application de la loi précitée, qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires le soin de réexaminer la demande.

8. Les dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 6 ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, qui excluaient le bénéfice de la présomption de causalité dans le cas où le risque attribuable aux essais nucléaires pouvait être considéré comme négligeable. Le législateur a ainsi entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

9. Mais l'article 57 de la loi du 17 juin 2020 a rendu applicable le b du 2° du I de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 aux demandes déposées devant le comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de cette loi du 28 décembre 2018, article 232 qui prévoit la modification du premier alinéa du V de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français en ces termes : " V.- Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique. ". Il s'ensuit qu'est applicable au cas d'espèce la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 2018.




Au fond :

10. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 2018, applicable aux instances en cours au lendemain de la publication de cette loi, comme en l'espèce : " I- Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. (...) III.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur le I de l'article 4 a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, le demandeur ou ses ayants droit, s'il est décédé, peuvent présenter une nouvelle demande d'indemnisation avant le 31 décembre 2020.". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :/ 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;/ 2° Soit entre le
2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française./ Un décret en Conseil d'État délimite les zones périphériques mentionnées au 1°. ". L'article 4 de ladite loi dispose que : " I. Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...). V. Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue
par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population
à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2
du code de la santé publique. (...) ". Enfin, aux termes de
l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " I.- Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12./ (...). ".

11. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie.
Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée, dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, à 1 mSv par an.

12. Il résulte de l'instruction que M. E... a séjourné sur des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. Les pathologies dont il souffre figurent sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.



13. En revanche, M. E... ne peut utilement soutenir que le CIVEN ne démontre pas que la pathologie dont il souffre résulterait exclusivement d'une cause étrangère, dès lors cette notion ne s'appliquait qu'aux décisions prises en application des dispositions de
l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-256 du
28 février 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer, dispositions modifiées par l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

14. Il est constant que trois essais nucléaires souterrains ont eu lieu durant la période d'affectation de M. E... à Mururoa, entre le 22 mars et le 31 mai 1980. Il a par ailleurs présenté un cancer cutané, un cancer des glandes salivaires et un cancer du poumon, après sa présence sur ce territoire. Cependant, d'une part, il ressort des pièces du dossier que M. E... a fait l'objet de mesures de surveillance de la contamination externe, par le port de deux dosimètres individuels externes en avril et mai 1980 et la mise en place d'un dosimètre collectif d'ambiance sur la zone de vie " Kathie " à Mururoa, lieu de vie de l'intéressé sur laquelle il résidait. Et d'après la " Recommandation dossier n° 518" en date du 17 septembre 2013 et produite par le CIVEN, la présence de l'intéressé durant la période en cause en Polynésie française, a conduit à lui attribuer, selon la fiche individuelle de surveillance dosimétrique archivée à son nom, des doses de rayonnement reçues égales à
0 millisievert, résultats nuls auxquels le CIVEN a ajouté une dose forfaitaire totale de
0,4 mSv ainsi que la dose forfaitaire de 0,5 mSv pour tenir compte de ses entrées en zone contrôlée, soit une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée à 1 mSv par an. Par ailleurs, l'administration indique avoir procédé à deux examens d'anthropogammamétrie dont les fiches produites au dossier par le CIVEN font apparaître des indices de tri respectifs de 0,80 et de 0,85, soit des résultats inférieurs à 2, considérés comme normaux. Elle se prévaut en outre, de ce que dans la base de vie portuaire " Kathie " à Mururoa où résidait M. E..., les résultats des relevés mensuels de la dosimétrie d'ambiance sur toute sa période d'affectation, sont égaux à 0. Certes
M. E... soutient que, lors des opérations de forage et de carottage auxquelles il a participé pour les manoeuvres, il a été arrosé par des gouttes d'eau présentes le long du câble, utilisant un chiffon pour éviter qu'elles n'atteignent l'ouvrier aux commandes de la foreuse mais que ces gouttes retombaient sur son visage non protégé et qu'il a pénétré en zone contrôlée une demi-journée en avril 1980 et une demi-journée en mai 1980 . Mais ce faisant, M. E... ne remet pas sérieusement en cause les mesures opérées par l'administration laquelle, dans ces conditions, doit être regardée comme démontrant que l'exposition du requérant l'a été à une dose annuelle imputable aux essais nucléaires constamment inférieure à 1 mSv et donc comme ayant renversé la présomption de causalité instituée par les dispositions de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010.

15. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation attaquée du CIVEN. Par voie de conséquence, ses conclusions indemnitaires, aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.







D É C I D E :


Article 1er : La ministre des armées est mise hors de cause.

Article 2: La requête de M. E... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... E..., Mme F... B... et M. D... E... ayants-droit de M. C... E..., au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2020, où siégeaient :

- M. A..., président,
- M. Ury, premier conseiller,
- Mme G..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
N° 17MA01913 2