CAA de BORDEAUX, 1ère chambre, 12/11/2020, 18BX03011, 19BX00586, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision12 novembre 2020
Num18BX03011, 19BX00586
JuridictionBordeaux
Formation1ère chambre
PresidentMme HARDY
RapporteurM. Didier SALVI
CommissaireM. ROUSSEL
AvocatsVAN ROBAYS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... H... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'État à lui verser une indemnité d'un montant à déterminer à dire d'expert et de lui octroyer une indemnité provisionnelle d'un montant de 25 000 euros.

Par une ordonnance du 21 décembre 2015, le président du tribunal administratif de Marseille a transmis le dossier de la demande de Mme H... au tribunal administratif de Toulouse.

Par un jugement n° 1506110 du 9 juillet 2018, le tribunal administratif de Toulouse a, d'une part, rejeté les conclusions de Mme H... tendant à la condamnation de l'État sur le fondement de la responsabilité pour faute et à raison de la défectuosité du matériel fourni, d'autre part, ordonné une expertise, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la demande.

Par un jugement n° 1506110 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de Mme H....


Procédure devant la cour :

I - Par une requête enregistrée sous le n° 18BX03011 le 1er août 2018, et un mémoire présenté le 9 septembre 2019, Mme H..., représentée par Me A... F..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 juillet 2018 ;

2°) de condamner l'État à lui verser une indemnité provisionnelle d'un montant de 25 000 euros à valoir sur l'indemnisation à venir ;

3°) de condamner l'État à lui verser une indemnité d'un montant global de 154 990 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'État les entiers dépens ainsi que le paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- les chaussures qui lui ont été fournies, pour effectuer la marche longue à la suite de laquelle elle a subi des dommages, étaient défectueuses de sorte que l'État a commis une faute dont elle n'a pas la charge de la preuve ;
- l'érysipèle diagnostiqué le 3 mai 2012 et le purpura vasculaire diagnostiqué le 12 août suivant sont imputables au service, de sorte que la responsabilité sans faute de l'État est engagée ;
- au titre de l'érysipèle, son " incapacité permanente partielle pour la période allant du 2 au 23 mai 2012 " peut être évaluée à la somme de 2 100 euros et son invalidité temporaire de 40 % pendant les 17 jours de soins à la somme de 680 euros ;
- au titre du purpura, son incapacité temporaire partielle jusqu'à la consolidation peut être évaluée à la somme de 41 820 euros et son invalidité permanente partielle de 10 % à la somme de 20 390 euros ;
- ses souffrances endurées doivent être indemnisées à hauteur de 30 000 euros ;
- son préjudice de carrière peut être évalué à la somme de 50 000 euros ;
- son préjudice de jouissance peut être évalué à la somme de 10 000 euros.


Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme H... ne sont pas fondés.


II. Par une requête, enregistrée sous le n° 19BX00586 le 4 février 2019, et un mémoire enregistré le 18 septembre 2020, Mme H..., représentée par Me A... F..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 13 décembre 2018 ;

2°) de condamner l'État à lui verser une indemnité d'un montant global de 154 990 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'État les entiers dépens ainsi que le paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève les mêmes moyens que ceux invoqués dans la requête n° 18BX03011.


Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme H... ne sont pas fondés.


Mme H... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à 55 % par une décision du 13 décembre 2018.


Vu :
- les autres pièces des dossiers ;
- l'ordonnance du 2 janvier 2019 par laquelle le président du tribunal administratif de Toulouse a taxé les frais de l'expertise réalisée par le Dr G....

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... D...,
- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Mme B... H... s'est engagée le 3 avril 2012 dans l'armée de terre en qualité de plieur parachutiste. Le 2 mai 2012, à la suite d'un exercice de longue marche, Mme H... a présenté des symptômes conduisant au diagnostic, le lendemain, d'un érysipèle au niveau de la cheville droite, à point de départ septique sur des phlyctènes surinfectées au talon. Le 7 mai suivant, le centre médical des armées a dressé une déclaration d'affection présumée imputable au service. Le 12 août 2012, il a également été diagnostiqué chez Mme H... un purpura vasculaire des membres inférieurs, caractérisé par un gonflement du genou et de la cheville. Mme H..., qui a été radiée du corps des armées pour inaptitude physique générale le 7 mars 2013, a demandé l'indemnisation des préjudices causés par ces deux affections qu'elle estime imputables au service.


2. Après le rejet implicite de son recours administratif, au caractère obligatoire, présenté devant la commission des recours des militaires par une lettre du 10 juin 2015, elle a saisi le tribunal administratif de Toulouse qui, par un jugement du 9 juillet 2018, a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par Mme H... sur le fondement de la responsabilité pour faute et a, après avoir retenu l'imputabilité au service de l'érysipèle, ordonné, avant-dire droit, qu'il soit procédé à une expertise afin de déterminer, d'une part, la nature et l'étendue des préjudices résultant de l'érysipèle, d'autre part, l'origine du purpura vasculaire des membres inférieurs. Puis, par un jugement du 13 décembre 2018, le tribunal a rejeté la demande de Mme H.... Par ses requêtes enregistrées sous les numéros 18BX03011 et 19BX00586, Mme H... demande l'annulation de ces deux jugements en tant que le tribunal n'a pas fait droit à sa demande indemnitaire. Ces deux requêtes concernent la situation d'un même militaire et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

3. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la défense : " Les militaires bénéficient des régimes de pensions ainsi que des prestations de sécurité sociale dans les conditions fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et le code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors applicable : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service (...) ".

4. Eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille. Lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne.

5. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service ou d'une affection imputable au service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'État de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'État, dans le cas notamment où l'accident ou l'affection serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité.


6. Pour déterminer si l'accident de service ou l'affection imputable au service ayant causé un dommage à un militaire est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l'État, de sorte que ce militaire soit fondé à engager une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale par l'État de l'ensemble du dommage, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de rechercher si l'accident est imputable à une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

Sur le principe de responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'État :

7. Il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas de la seule attestation, au caractère au demeurant peu étayé, établie le 30 juillet 2018 par une des ex-collègues de Mme H..., que les chaussures de type " rangers " qui ont été attribuées à cette dernière pour effectuer l'exercice de marche du 2 mai 2012 auraient présenté des défectuosités telles que cette fourniture serait constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard de l'intéressée.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'État :

8. En premier lieu, la ministre des armées ne conteste pas l'imputabilité au service de l'érysipèle dont a été atteinte Mme H... dans les suites immédiates de l'exercice de marche du 2 mai 2012 et qui a été retenue par le tribunal dans son jugement du 9 juillet 2018.

9. En second lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise judiciaire établi le 15 octobre 2018, qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, il ne peut être établi de lien certain entre le purpura vasculaire diagnostiqué 12 août 2012 et l'administration d'antibiotiques dans le cadre du traitement de l'érysipèle ou encore en conséquence des vaccins administrés au sein de l'armée, alors au surplus que l'intéressée a également été traitée par antibiothérapie pour une autre affection sans lien avec le service avant l'apparition du purpura vasculaire.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme H... ne peut être indemnisée que des préjudices subis du fait du seul érysipèle dont elle a été atteinte, dans les limites rappelées au point 4 ci-dessus, soit au seul regard des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément et du préjudice d'établissement.

Sur les préjudices indemnisables :

11. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la date de consolidation de l'érysipèle diagnostiqué le 3 mai 2012 peut être fixée au 23 mai 2012 et que Mme H... ne présente aucune séquelle de son affection. Dès lors, elle n'est pas fondée à demander à être indemnisée d'un quelconque préjudice personnel à caractère permanent. Elle ne peut davantage se prévaloir, eu égard à ce qui a été dit au point 4 ci-dessus, d'un déficit fonctionnel temporaire. Si elle allègue avoir enduré des souffrances dont elle évalue l'indemnisation à la somme de 30 000 euros, elle n'assortit ses allégations d'aucune précision sur les souffrances endurées du fait du seul érysipèle pour la période allant du 3 au 23 mai 2012, qui n'ont d'ailleurs pas été retenues par l'expert. Dans ces conditions, les conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices subis du fait de la contraction d'un érysipèle au titre de la responsabilité sans faute doivent être rejetées.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme H... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande indemnitaire. Par suite, ses conclusions tendant au versement d'une indemnité provisionnelle et ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. D'une part, l'article R. 761-1 du code de justice administrative dispose : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

14. Dans les circonstances de l'espèce, l'appelante étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, il y a lieu de laisser à la charge définitive de l'État les frais d'expertise, tels que taxés et liquidés à la somme de 750 euros par l'ordonnance du président du tribunal administratif de Toulouse du 2 janvier 2019.

15. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante, la somme demandée par Mme H... au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.




DÉCIDE :


Article 1er : Les requêtes n° 18BX03011 et n° 19BX00586 sont rejetées.
Article 2 : Les frais d'expertise tels que taxés et liquidés à la somme de 750 euros par l'ordonnance du président du tribunal administratif de Toulouse du 2 janvier 2019 sont laissés à la charge définitive de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... H..., à la ministre des armées et à Mme C... G..., expert.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, président,
M. E... D..., président-assesseur,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.

Le rapporteur,
Didier D...
Le président,
Marianne HardyLe greffier,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 18BX03011, 19BX00586