CAA de BORDEAUX, 1ère chambre, 12/11/2020, 19BX00464, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision12 novembre 2020
Num19BX00464
JuridictionBordeaux
Formation1ère chambre
PresidentMme HARDY
RapporteurMme Nathalie GAY-SABOURDY
CommissaireM. ROUSSEL
AvocatsSELARL MDMH

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts, en réparation des préjudices causés par la perte d'audition due à l'exposition au bruit dans l'exercice de ses fonctions.

Par un jugement n° 1604919 du 19 novembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 30 janvier 2019 et 21 janvier 2020, M. C..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 19 novembre 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 35 000 euros en réparation de l'aggravation de son infirmité contractée au cours de son service ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert ayant pour mission de fixer la date de consolidation et l'étendue de tous ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la reconnaissance du fait générateur a une incidence sur le droit à l'indemnisation des préjudices complémentaires de sorte que la procédure formée devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité a eu un effet interruptif et le cours de la prescription a été interrompu et n'a recommencé à courir qu'après le jugement du 8 avril 2013 soit à compter du 1er janvier 2014 conformément aux dispositions de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances de l'Etat ; la créance n'était pas prescrite lors de sa demande d'indemnisation du 22 février 2016 ;
- le tribunal a, à tort, retenu comme date définitive de consolidation le 9 mai 2009, date à laquelle le tribunal des pensions militaires d'invalidité a fixé son droit à pension ;
- son infirmité trouve une origine professionnelle du fait de son exposition au bruit des avions ;
- le préjudice résultant des souffrances endurées devra être réparé par le versement d'une somme de 25 000 euros ;
- la réparation de son préjudice d'agrément est évaluée à la somme de 10 000 euros, somme à parfaire s'agissant de l'évaluation du préjudice esthétique.

Par un mémoire enregistré le 6 décembre 2019, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens développés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né le 30 août 1944, a été militaire dans l'armée de l'air du 1er octobre 1962 au 1er septembre 1992. Mécanicien logistique technique, il a été affecté, du mois de janvier 1973 au mois d'octobre 1982, au Groupement d'entretien et de réparation des matériels aériens spécialisés (GERMAS) à Istres puis de 1987 à 1992, à la base aérienne de Bordeaux-Mérignac. Au cours de ces fonctions, il a été exposé au bruit des réacteurs d'avions gros porteurs, ce qui lui a causé une hypoacousie bilatérale de perception pour laquelle il a bénéficié d'une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % par une décision du 17 mars 1993 du tribunal des pensions de Montpellier, portée à 25 % puis à 100 % par un jugement du 8 avril 2013 du tribunal des pensions de Nouméa. Il a demandé, par un courrier du 22 février 2016, reçu le 24 février 2016, au ministre de la défense l'indemnisation des préjudices non compris dans le forfait de pension. Sa demande ayant été implicitement rejetée, il a formé, le 3 juin 2016, un recours préalable devant la commission des recours des militaires qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. C... relève appel du jugement du 19 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 35 000 euros, assortie des intérêts, en réparation des préjudices, non compris dans le forfait de pension, causés par la perte d'audition due à l'exposition au bruit dans l'exercice de ses fonctions.

Sur l'exception de prescription de la créance :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". L'article 2 de cette loi dispose : " La prescription est interrompue par : (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. (...) / La prescription ne court (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement (...) ". Il en résulte que le délai de prescription ne court pas à l'encontre d'une victime qui n'est pas en mesure de connaître l'origine du dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de la personne publique.

3. Par ailleurs, la consolidation de l'état de santé de la victime d'un dommage corporel fait courir le délai de prescription pour l'ensemble des préjudices directement liés au fait générateur qui, à la date à laquelle la consolidation s'est trouvée acquise, présentaient un caractère certain permettant de les évaluer et de les réparer, y compris pour l'avenir. Si l'expiration du délai de prescription fait obstacle à l'indemnisation de ces préjudices, elle est sans incidence sur la possibilité d'obtenir réparation de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à la date de consolidation. Le délai de prescription de l'action tendant à la réparation d'une telle aggravation court à compter de la date à laquelle elle s'est elle-même trouvée consolidée.

4. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale du 15 mai 2017, qui fixe la date de consolidation des blessures au 1er septembre 1992, date de fin de ses fonctions, et du rapport d'expertise établi le 5 avril 2011, à la demande du tribunal des pensions de Nouméa, qu'après cessation de l'exposition au bruit, la fonction auditive de M. C... a continué à se détériorer progressivement. Il résulte de ce rapport que la surdité dont souffre M. C... " constitue une infirmité initiale aggravée par le seul vieillissement de la fonction auditive de perception. Ce qui confirme que la lésion initiale et le vieillissement sont indissociables et que leurs effets s'ajoutent ". Ainsi, à la date à laquelle M. C... a saisi le tribunal des pensions afin de bénéficier d'une pension militaire d'invalidité au taux de 100 %, il disposait d'indications suffisantes lui permettant de connaitre l'origine des lésions auditives dont il est atteint et de leur inévitable aggravation et d'apprécier les préjudices non réparés par la pension d'invalidité dont il bénéficie. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que l'état de santé de M. C... était consolidé au plus tard le 29 mai 2009, date à laquelle le tribunal des pensions de Nouméa a fixé le taux d'invalidité liée à son hypoacousie bilatérale à 100 %, et qu'il ne faisait état d'aucun préjudice nouveau résultant d'une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à cette date. Dès lors, la prescription était donc acquise, le 22 février 2016, lorsque M. C... a présenté une demande d'indemnisation préalable au ministre de la défense.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices non compris dans le forfait à pension, causés par la perte d'audition due à l'exposition au bruit dans l'exercice de ses fonctions.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :
Article 1er : La requête présentée par M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.
Le rapporteur,




D...Le président,




Marianne Hardy

Le greffier,




Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX00464 2