CAA de PARIS, 4ème chambre, 09/04/2021, 19PA02124, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au Tribunal administratif de Melun :
1°) à titre principal, de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser la somme globale de 250 000 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux qu'il estime avoir subis et à lui rembourser la somme de 8 319,52 euros, augmentée des intérêts de retard correspondant au montant des congés, des heures supplémentaires, des heures de récupération, des heures libérées et des frais médicaux qui lui sont dus ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser la somme de 200 000 euros au titre de sa retraite " valorisée " et la somme de 250 000 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au département du Val-de-Marne de revaloriser sa pension de retraite ainsi que sa retraite additionnelle en prenant en compte l'avancement auquel il avait droit et les cotisations qu'il aurait versées au titre de la retraite additionnelle.
Par un jugement n° 1600515 du 7 mai 2019, le Tribunal administratif de Melun a condamné le département du Val-de-Marne à payer à M. C... la somme de 243 720 euros au titre des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 juillet 2019 et 8 octobre 2020, le département du Val-de-Marne, représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1600515 du 7 mai 2019 en tant que le Tribunal administratif de Melun l'a condamné à verser à M. C... une somme de 243 000 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis ;
2°) de ramener le montant de l'indemnité due à de plus justes proportions ;
3°) de rejeter les conclusions présentées par M. C... par la voie de l'appel incident ;
4°) de mettre à la charge de M. C... le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions de M. C... présentées par la voie de l'appel incident sont irrecevables car elles présentent un litige distinct de l'appel principal, elles constituent des demandes nouvelles en appel et il ne peut solliciter à titre principal des demandes présentées à titre subsidiaire devant le tribunal ;
- il n'a pas méconnu son obligation de sécurité dès lors qu'aucun poste de technicien en charge du rangement de l'atelier n'a été supprimé ;
- il a procédé à l'aménagement du poste de M. C... conformément aux préconisations émises en 1997 ;
- M. C... a été reconnu apte à son poste sans restriction lors des visites médicales en 2000 et 2005 ;
- la procédure de reclassement en 2011 n'a pu être mise en oeuvre dès lors que l'intéressé a été en arrêt maladie jusqu'à sa retraite ;
- il ne peut solliciter le versement des frais médicaux supplémentaires en l'absence de demande en ce sens adressée à la collectivité ;
- M. C... n'établit pas avoir effectué les heures dont il sollicite le versement, ni que les jours de congés ne lui ont pas été versés ;
- la rente viagère d'invalidité répare forfaitairement les préjudices liés à la perte de revenus et à l'incidence professionnelle ;
- l'absence de promotion au grade d'ingénieur territorial est liée au caractère limité du nombre de nominations ;
- le préjudice d'agrément n'est pas établi en l'absence d'activité de loisir ou sportive ;
- M. C... n'a pas subi de préjudice esthétique ;
- le préjudice résultant du syndrome post-traumatique n'est pas établi ;
- l'imputabilité des pathologies psychiatriques à l'accident de service n'est pas établie en l'absence d'éléments sur l'état antérieur de M. C... ;
- le taux du déficit fonctionnel permanent doit être calculé selon la règle de Balthazard de la validité restante et non par addition des taux retenus ; le déficit fonctionnel permanent ne saurait être fixé à un taux supérieur à 66 %, soit une indemnité évaluée à 150 000 euros ;
- le taux d'invalidité afférent à l'état psychologique est manifestement surévalué ;
- les conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal sont irrecevables.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 septembre 2019 et 4 mars 2021, M. C..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du département du Val-de-Marne ;
2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident,
- de réformer le jugement n° 1600515 du 7 mai 2019 par lequel le Tribunal administratif de Melun a condamné le département du Val-de-Marne à lui verser une somme de 243 720 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis ;
- de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser une indemnité de 311 950 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 8 319,52 euros au titre des frais médicaux, des congés et heures dus et de 50 000 euros au titre du traitement discriminatoire ;
- à titre subsidiaire, d'enjoindre au département du Val-de-Marne de revaloriser sa pension de retraite ainsi que sa retraite additionnelle afin de prendre en compte son avancement ;
3°) de mettre à la charge du département du Val-de-Marne le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le département du Val-de-Marne ne sont pas fondés ;
- ses conclusions présentées par la voie de l'appel incident sont recevables ;
- le département du Val-de-Marne a manqué à son obligation de sécurité des agents en ne prenant pas en compte la dangerosité des locaux ;
- le département du Val-de-Marne a commis une faute en ne prenant pas en compte son état physique dans l'aménagement de son poste et dans le suivi médical régulier de son état de santé ;
- le département du Val-de-Marne ne justifie pas du refus de sa promotion au grade d'ingénieur territorial alors qu'il remplissait les conditions ; le refus est entaché de discrimination à raison de son état de santé ;
- il a droit au remboursement de la perte de revenus et de pension de retraite résultant de l'absence d'avancement ; il a subi un préjudice évalué à 50 000 euros au titre du traitement discriminatoire ;
- le département du Val-de-Marne doit lui rembourser les congés et heures de récupération, les heures supplémentaires et les heures libérées ;
- le département du Val-de-Marne doit lui rembourser les frais médicaux qu'il a pris en charge pour un montant de 1 405,52 euros ;
- il a subi un préjudice d'agrément évalué entre 7 700 et 31 000 euros ;
- il a subi un préjudice esthétique évalué à la somme de 38 180 euros ;
- il a subi un déficit fonctionnel permanent évalué à la somme de 311 950 euros ;
- la règle de la validité restante n'est pas applicable pour la détermination du déficit fonctionnel permanent ;
- il y a lieu d'enjoindre au département de revaloriser sa pension de retraite et de la fixer à la somme de 2 548 euros mensuel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- les observations de Me Cadoux, avocat du département du Val-de-Marne,
- et les observations de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., technicien principal de première classe, affecté au sein de l'ancien service informatique du département du Val-de-Marne, a été victime le 22 août 2008 d'une chute dans l'atelier du service, reconnue comme accident imputable au service le 4 février 2009. L'intéressé a été placé en congé de maladie du 22 août 2008 au 1er décembre 2014. La commission de réforme ayant reconnu son inaptitude définitive à toutes fonctions, M. C... a été admis à la retraite pour invalidité à compter du 1er décembre 2014 et bénéficie d'une pension d'invalidité comprenant une rente d'invalidité au taux de 59%. Par courrier du 27 juillet 2015, M. C... a présenté une demande tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'accident du 22 août 2008, qui a été rejetée par courrier du président du conseil départemental du Val-de-Marne en date du 18 novembre 2015. Par un jugement du 7 mai 2019, le Tribunal administratif de Melun a condamné le département du Val-de-Marne à payer à M. C... la somme de 243 720 euros au titre des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis. Le département du Val-de-Marne relève appel de ce jugement en tant qu'il a été condamné au versement d'une somme de 243 000 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux subis. M. C..., par la voie de l'appel incident, sollicite la réformation de ce jugement en tant que le tribunal n'a fait que partiellement droit à ses conclusions.
Sur l'appel principal :
2. En vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et des articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, les fonctionnaires des collectivités territoriales qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services.
3. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions qui instituent ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
4. Pour condamner le département du Val-de-Marne au versement d'une indemnité de 240 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de M. C..., le tribunal s'est fondé sur la rapport d'expertise médicale du docteur Bantman du 3 juin 2014 réalisée dans le cadre de l'attribution de la pension d'invalidité par la CNRACL, qui a retenu un déficit fonctionnel permanent de 85% correspondant à 35% d'invalidité pour une algodystrophie de la main gauche, 20% d'invalidité pour un syndrome post-traumatique et 30 % d'invalidité pour un syndrome dépressif. Le département du Val-de-Marne conteste la réalité d'un syndrome post-traumatique distinct d'un syndrome dépressif et fait valoir qu'en l'absence d'éléments sur son état psychiatrique antérieur, l'imputabilité de cette invalidité à l'accident de service du 22 août 2008 n'est pas établie. D'une part, si le rapport d'expertise du docteur Bantman conclut à l'existence de deux invalidités distinctes pour l'état psychiatrique de M. C... sans procéder à une description de ces deux pathologies, les certificats médicaux du psychiatre de M. C... mentionnent uniquement un état dépressif post-traumatique. D'autre part, si le rapport d'expertise du docteur Bantman retient que les séquelles psychiatriques sont entièrement en relation directe et certaine avec l'accident de service du
22 août 2008, le rhumatologue ayant procédé à l'examen de M. C... préconisait dans son expertise du 30 septembre 2014 une expertise psychiatrique en vue d'évaluer l'état psychiatrique antérieur et estimait que la dépression caractérisée n'était pas en rapport avec les séquelles de l'accident.
5. Les pièces produites ne permettent pas de déterminer avec précision le déficit fonctionnel permanent résultant de l'état psychiatrique de M. C... et son imputabilité à l'accident de service du 22 août 2008. Il y a lieu dès lors avant de statuer sur les préjudices de M. C..., d'ordonner une mesure d'expertise aux fins et dans les conditions précisées ci-après.
DECIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête du département du Val-de-Marne et sur les conclusions de M. C..., procédé par un expert désigné par le président de la Cour, à une expertise avec mission :
1°) de se faire communiquer tous documents utiles et notamment tous ceux relatifs au suivi médical et aux actes de soin de M. C..., de procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de M. C... et à son examen clinique ;
2°) de décrire la nature et l'étendue du déficit fonctionnel permanent résultant de l'état psychiatrique de M. C... ; de préciser dans quelle mesure il trouve son origine, en tout ou partie, dans l'état de santé antérieur de M. C... ou dans l'accident dont l'intéressé a été victime le 22 août 2008 ; de déterminer le pourcentage du déficit fonctionnel permanent en relation directe avec cet accident, indépendamment de son état antérieur, en précisant la méthode utilisée dans la détermination de ce taux ;
3°) de donner tous éléments utiles permettant d'évaluer, s'il y a lieu, les autres postes de préjudices en lien avec l'accident et de fournir toutes précisions complémentaires que l'expert jugera utile à la solution du litige et de nature à permettre d'apprécier l'étendue des préjudices.
Article 2 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7 du code de justice administrative, tous documents utiles et notamment, tous ceux relatifs aux examens et soins concernant l'intéressé.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires dans un délai de deux mois et en notifiera copies aux parties intéressées.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'à la fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au département du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2021.
Le rapporteur,
A-S MACHLe président,
M. A...Le greffier,
S. GASPARLa République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA02124