CAA de LYON, 7ème chambre, 15/04/2021, 19LY04007, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision15 avril 2021
Num19LY04007
JuridictionLyon
Formation7ème chambre
PresidentM. JOSSERAND-JAILLET
RapporteurM. Daniel JOSSERAND-JAILLET
CommissaireM. CHASSAGNE
AvocatsSCP COUTIN

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

M. C... A... a demandé au tribunal des pensions de la Savoie d'annuler la décision du 6 décembre 2017, par laquelle la ministre des armées a refusé de faire droit à sa demande de révision de pension militaire d'invalidité et d'ordonner une expertise judiciaire.

Par un jugement n° 19/00001 du 5 juillet 2019, le tribunal des pensions a rejeté sa demande.


Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2019, et des mémoires, enregistrés les 28 janvier 2020 et 30 mars 2020 (non communiqué), M. A..., représenté par Me D..., a demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions du 5 juillet 2019 ;
2°) d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer l'aggravation de son infirmité.

Il soutient que :
- il justifie n'avoir pas été cliniquement examiné par le médecin-expert le 5 juillet 2017 ;
- il produit des éléments médicaux établissant l'aggravation de son état ;
- les conclusions du médecin-expert, à défaut de cet examen, ne peuvent être retenues ;
- l'avis du médecin de l'administration pris au vu de cette expertise ne peut être pris en compte ;
- par suite une nouvelle expertise est nécessaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 2 mars 2020, la ministre des armées a conclu au rejet de la requête.

Elle soutient que :
- M. A... a été examiné par le médecin-expert ;
- les pièces du dossier établissent l'absence d'aggravation sans qu'il y ait utilité d'une expertise.

Par un arrêt avant-dire-droit du 26 juin 2020, la cour a sursis à statuer sur les conclusions des parties et a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'aggravation des infirmités de M. A... en lien avec l'accident du 27 avril 1960 entre le 31 mars 2003 et la date de l'examen.

Par une ordonnance en date du 2 juillet 2020, le président de la cour a désigné le Dr François B... en qualité d'expert. Le rapport de l'expertise, conduite le 14 septembre 2020, a été déposé au greffe de la cour le 21 septembre 2020. Les frais d'expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 665,60 euros par une ordonnance du président de la cour en date du 28 septembre 2020.

Par des mémoires, enregistrés les 22 octobre 2020, 8 décembre 2020 et 28 janvier 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête et au maintien du taux des infirmités pensionnées de M. A... à celui acquis à la date de sa demande de révision.

Elle soutient que :
- l'expertise établit l'absence d'aggravation imputable au service des infirmités et retient le taux initial de 70 % ;
- l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre s'oppose à ce que soient pris en compte des éléments postérieurs à la date du 25 août 2016 à laquelle il a présenté sa demande de révision.

Par un mémoire, enregistré le 20 novembre 2020, et un mémoire complémentaire enregistré le 25 janvier 2021, M. A..., représenté par Me D..., conclut à ce que soit ordonnée une expertise complémentaire, qu'il soit sursis à statuer sur ses conclusions, et que soit réservées ses demandes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l'expert ne pouvait valablement se prononcer sans avoir actualisé son dossier médical à la date de l'expertise, le 14 septembre 2020.

Par une ordonnance du 1er février, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 février 2021.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 novembre 2019.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour M. A... ;


Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 31 mars 2003, une pension militaire d'invalidité au taux de 70 % a été attribuée, à compter du 2 septembre 2000, à M. C... A..., soldat mobilisé du 1er septembre 1959 au 13 décembre 1960, au titre des séquelles d'une fracture du fémur droit survenue en service à la suite d'un tir accidentel le 27 avril 1960. M. A... a demandé, le 25 août 2016, la révision de sa pension pour aggravation. La ministre des armées a rejeté cette demande par une décision du 6 décembre 2017. M. A... relève appel du jugement du 5 juillet 2019 par lequel le tribunal des pensions de la Savoie a rejeté son recours contre cette décision.
2. Le taux global de 70 % de la pension d'invalidité accordée à M. A... résulte d'un taux de 60 % pour une première infirmité consistant en une amyotrophie de cuisse, des douleurs et une gêne à la marche, à la suite d'une consolidation avec un cal osseux, un défaut d'axe du fémur et un raccourcissement de ce dernier, de la fracture de cet os lors de l'accident, et d'un taux de 10 % pour des douleurs dorso-lombaires et une arthrose rachidienne consécutives à cette consolidation. A l'appui de sa demande de révision, M. A... fait valoir l'aggravation des gênes fonctionnelles.
3. Il résulte de l'instruction que, sur demande de l'administration, dans le cadre de l'instruction de sa demande, M. A... a été convoqué pour une expertise médicale à une consultation du Dr Doridot, médecin généraliste à Grenoble, le 5 juillet 2017, préalablement à un avis rendu le 11 septembre suivant par le médecin de l'administration, au vu duquel s'est prononcé le comité médical avant qu'intervienne la décision en litige.
4. Il ressort de la facture de transport, en date du 19 juillet 2017, produite par M. A... à l'instance et non contestée en défense, que l'intéressé a été déposé au cabinet de l'expert le 5 juillet 2017 à 13 h 45 et a été repris en charge par le service ambulancier à 14 h 05. Les termes du rapport de l'expertise médicale du 5 juillet 2017 révèlent que l'essentiel de l'expertise est tiré des pièces du dossier consulté par l'expert, hors les précisions sur la gêne fonctionnelle pour l'appui sur le membre inférieur droit au niveau du genou, des difficultés pour monter les escaliers et des douleurs à la cuisse droite, lesquelles, n'apparaissant pas dans ces pièces, ont été nécessairement recueillies par un interrogatoire du patient. L'expert résume l'examen clinique au constat d'une " raideur importante du genou droit en flexion ". Ainsi, si ce rapport, succinct dans sa rédaction et tenant en une page annexée au formulaire d'expertise, révèle l'existence d'un examen, dont la profondeur ne peut être déterminée à sa lecture, des pièces médicales en possession de l'expert, ses insuffisances, notamment dans la recherche de la comparaison entre l'état des infirmités de l'intéressé à la date de l'attribution de sa pension et celui des mêmes infirmités à la date de sa demande de révision, et le défaut de toute précision utile à cette comparaison dans l'examen clinique mentionné, ne répondent pas à la mission de l'expert telle qu'elle est précisée dans le formulaire fourni par l'administration à ce dernier, qui s'est borné à y porter les taux à retenir sans même indiquer le protocole suivi.
5. Par ailleurs, il ressort des mentions manuscrites portées sur le rapport d'expertise produit par la ministre et de l'avis, en date du 11 juillet 2017, du médecin de l'administration que celui-ci, qui n'a pas procédé à l'examen clinique de M. A..., s'est borné à consulter l'expert par téléphone pour estimer qu'aucune aggravation des infirmités n'était constatée.
6. Dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont retenu cette expertise au soutien de leur décision.

7. Toutefois il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la demande de M. A....

8. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. " En vertu de l'article L. 154-1 de ce code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. " Il résulte de ces dispositions qu'au cas où une première infirmité reconnue imputable au service a concouru, avec une affection ou un fait étranger au service, à provoquer, après le service, une infirmité nouvelle, celle-ci n'ouvre droit à pension que s'il est établi que l'infirmité antécédente a été la cause directe et déterminante de l'infirmité nouvelle.
9. Il ressort de l'expertise conduite le 14 septembre 2020 par le Dr François B..., désigné par une ordonnance du président de la cour en date du 2 juillet 2020 à la suite de l'arrêt avant-dire-droit susvisé du 26 juin 2020, que l'amyotrophie de la cuisse droite, avec douleurs et gêne à la marche causées par un cal vicieux osseux avec défaut d'axe du fémur et raccourcissement de ce dernier et les douleurs dorsolombaires et arthrose rachidienne consécutives trouvant leur origine dans l'accident en service survenu le 27 avril 1960 et pensionnées au taux global de 70 % par l'arrêté initial du 31 mars 2003 étaient consolidées et stabilisées à la date du 25 août 2016, à laquelle M. A... a présenté sa demande de révision de pension et doit être apprécié l'état de ses infirmités en application des dispositions de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa version applicable au litige.
10. Les appréciations de l'expert, qui relève notamment, outre le bon état de santé général de l'intéressé au regard de son âge, qu'à la date de l'expertise clinique, à laquelle il a dû se placer faute d'avoir eu communication des éléments médicaux constatés au 31 mars 2003, il ne constatait aucune aggravation manifeste récente et postérieure à cette dernière date sans que les manifestations fonctionnelles causées par l'enraidissement de la colonne dorsolombaire en lien avec une maladie rhumatismale puissent être imputées aux conséquences de l'accident initial du 27 avril 1960, ne sont pas contredites par M. A..., qui ne peut en tout état de cause utilement faire valoir des éléments médicaux à produire en vue d'actualiser et parfaire le bilan de son état de santé à une date postérieure à celle de sa demande de révision.
11. Dans ces conditions, sans qu'il y ait lieu d'ordonner un complément d'expertise, M. A... n'établit pas, ainsi qu'il lui incombe, une aggravation de ses infirmités pensionnées susceptible de conduire à la révision du taux global de 70 % retenu par l'arrêté du 31 mars 2003. Il n'est dès lors pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de la Savoie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en litige du 6 décembre 2017 et à la révision de la pension qui lui a été concédée par l'arrêté du 31 mars 2003.

Sur les dépens :

12. Il résulte de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article R. 761-1 du code de justice administrative que, lorsque la partie perdante bénéficie de l'aide juridictionnelle totale, et hors le cas où le juge décide de faire usage de la faculté que lui ouvre l'article R. 761-1 du code de justice administrative, en présence de circonstances particulières, de mettre les dépens à la charge d'une autre partie, les frais d'expertise incombent à l'État.

13. Les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par l'arrêt de la cour du 26 juin 2020, liquidés et taxés pour un montant de 665,60 euros par une ordonnance de son président du 2 juillet 2020, doivent être laissés à la charge de l'État au titre de l'aide juridictionnelle totale dont M. A... est bénéficiaire.

DÉCIDE :

Article 1er : La demande de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les frais d'expertise de la présente instance sont maintenus à la charge de l'État (aide juridictionnelle).

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la ministre des armées.
Copie en sera adressée à M. E... B..., expert.
Délibéré après l'audience du 25 mars 2021 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2021.
N° 19LY04007