CAA de LYON, 7ème chambre, 03/06/2021, 19LY04536, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... D... a demandé au tribunal des pensions militaires de Grenoble d'annuler la décision du 29 mai 2017 par laquelle le ministre de la défense a refusé de faire droit à sa demande de révision pour aggravation de sa pension militaire d'invalidité et d'enjoindre à la ministre des armées de faire droit à sa demande, en portant le taux global de sa pension à 90 %. Par un jugement n° 17/2 du 11 octobre 2019, ce tribunal a annulé la décision en litige et a enjoint à la ministre des armées de réexaminer la situation de M. D....
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2019, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 24 février et 29 avril 2021 (non communiqué), la ministre des armées demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal des pensions militaires de Grenoble du 11 octobre 2019, en tant qu'il a enjoint à l'administration de réexaminer la demande de révision de pension de M. D... ;
2°) de confirmer sa décision du 29 mai 2017 en ce qu'a été rejetée la demande de révision de pension au motif que l'aggravation à hauteur de 5 % ne peut légalement être prise en compte, à titre subsidiaire d'ordonner une expertise aux fins de déterminer le taux d'infirmité de M. D... à la date du 23 septembre 2015.
Elle soutient que :
- le tribunal ne pouvait, sans erreur de droit, retenir des éléments médicaux postérieurs à la date de la demande de révision de pension pour prononcer une injonction de réexamen au vu de ces éléments ;
- l'expertise médicale de l'administration établit tous les éléments d'appréciation pour fixer à 5 % le taux d'aggravation des séquelles d'entorse du genou gauche de M. D... à la date de sa demande de révision. Ce taux est inférieur au minimum de 10 % susceptible de permettre la réévaluation de la pension ;
- en tout état de cause, une nouvelle expertise ne pourrait que déterminer l'état de M. D... à la date de sa demande de révision.
Par un mémoire, enregistré le 30 novembre 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 20 avril 2021, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) de rejeter le recours de la ministre des armées ;
2°) en tout état de cause, par l'effet dévolutif de l'appel, d'annuler la décision du 29 mai 2017 et enjoindre à la ministre des armées de se prononcer à nouveau sur sa demande de révision dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux fins de déterminer le taux de son invalidité à la date de l'examen ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en sa qualité de juge de plein contentieux, c'est à bon droit que le tribunal s'est placé à la date de sa décision pour statuer en considération de tous les éléments dont il disposait à cette date ;
- la composition de la commission de réforme, qui ne comprenait qu'un seul officier en méconnaissance de l'article R. 151-14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, était irrégulière ;
- la décision en litige du 29 mai 2017 est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 151-6 du même code ;
- la ministre des armées s'est à tort cru liée par l'avis de la commission de réforme ;
- l'appréciation de sa situation médicale est entachée d'une erreur manifeste, ne prenant pas en compte l'ensemble des éléments médicaux produits ;
- une nouvelle expertise devrait prendre en compte l'ensemble de sa situation à la date de l'examen.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me A... pour M. D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Engagé volontaire dans l'armée de terre le 1er octobre 1984, M. C... D..., adjudant-chef en exercice, a été victime d'une entorse du genou gauche en service le 26 janvier 1989 qui l'a conduit à subir une ligamentoplastie, intervention reprise en 1991 et 1994. Un arrêté du 31 janvier 1995 lui a concédé une pension militaire d'invalidité au taux de 10% pour l'infirmité résultant des séquelles de cet accident. Par une décision du 29 mai 2017, le ministre de la défense a rejeté la demande de M. D..., formée le 23 septembre 2015, tendant à la révision de sa pension pour aggravation de cette infirmité. La ministre des armées demande à la cour la réformation du jugement du 11 octobre 2019 par lequel le tribunal des pensions militaires de Grenoble a annulé cette décision et lui a enjoint de réexaminer la demande de l'intéressé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : /1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; (...) / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...). " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Est présumée imputable au service : / 1° Toute blessure constatée par suite d'un accident, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ; (...) / 3° Toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1, L. 461-2 et L. 461-3 du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le militaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ces tableaux ; (...). " L'article L. 121-2-3 dudit code précise que " La recherche d'imputabilité est effectuée au vu du dossier médical constitué pour chaque militaire lors de son examen de sélection et d'incorporation. Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. " En vertu de l'article L. 154-1 de ce code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. "
3. Il résulte de ces dispositions, nonobstant la circonstance que, pour l'exercice de son office, le juge du contentieux des pensions militaires d'invalidité statue en plein contentieux, que lorsque le titulaire d'une pension militaire d'invalidité pour infirmité sollicite sa révision du fait de l'aggravation de ses infirmités, l'évolution du degré d'invalidité s'apprécie à la date du dépôt de la demande de révision de la pension, laquelle lie le contentieux ultérieur.
4. Il résulte de l'instruction que M. D... a sollicité la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité pensionnée le 23 septembre 2015. Pour enjoindre à la ministre des armées, après avoir constaté qu'il manquait d'éléments suffisants pour se prononcer sur le taux de l'aggravation, de réexaminer la demande de M. D..., les premiers juges ont pris en compte notamment la circonstance que celui-ci avait subi, postérieurement à la décision de rejet en litige, une intervention chirurgicale pour la pose d'une prothèse sur son genou gauche et en ont déduit l'existence d'une aggravation. Ce faisant, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, sur ce motif, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Grenoble a annulé la décision du 29 mai 2017 et lui a enjoint de réexaminer la demande de révision de pension formée par l'intéressé.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties devant le tribunal des pensions militaires de Grenoble et la cour.
Sur la légalité de la décision en litige du 29 mai 2017 :
7. En premier lieu, la ministre des armées a produit en première instance la délégation de signature, publiée au journal officiel de la République française du 24 avril 2015, en vertu de laquelle l'adjoint au sous-directeur des pensions du ministère de la défense a signé la décision en litige. M. D... n'établit pas, ni même n'allègue, que les conditions d'exercice de cette délégation n'étaient pas remplies. Le moyen tiré du défaut de justification de la compétence du signataire de la décision du 29 mai 2017 manque ainsi en fait.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 151-14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa version applicable au litige : " La composition de la commission de réforme est fixée comme suit : /1° Un médecin-chef des services ou un médecin en chef, président de la commission, nommé par le ministre de la défense ; / 2° Deux officiers dont un officier supérieur et un capitaine ou un officier de grade équivalent, désignés par le commandant de zone terre, ou le commandant de l'arrondissement maritime sur le territoire desquels est situé le domicile du demandeur, ou par le directeur des ressources humaines de l'armée de l'air. / Les membres de la commission sont choisis parmi les officiers de carrière ou sous contrat en position d'activité. / En cas d'absence ou d'empêchement, les membres de la commission peuvent être remplacés par un suppléant désigné suivant les mêmes règles. " et aux termes de l'article R. 151-16 du même code : " Le président de la commission de réforme fixe la date à laquelle statue la commission. La commission de réforme ne délibère valablement que si son président ou son suppléant et un autre membre sont présents. (...) ". Il ressort du procès--verbal de la commission de réforme en date du 23 mai 2017 qui a délibéré sur la demande de M. D... qu'elle était composée de son président, médecin-chef, et d'un officier supérieur. Dès lors, le moyen tiré par M. D... de l'irrégularité de la composition de la commission de réforme manque en fait et doit être écarté.
9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le Dr Doridot, médecin-expert au sens de l'article R. 151-9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui a examiné M. D... le 17 janvier 2017 pour l'instruction de sa demande de révision de pension, justifie de l'agrément prévu par ces dispositions.
10. En quatrième lieu, il ressort de la décision du 29 mai 2017 que celle-ci vise l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, la demande présentée le 23 septembre 2015 par M. D..., et l'avis de la commission de réforme du 23 mai 2017, et indique que le taux d'aggravation de l'infirmité pensionnée est inférieur au taux minimum de 10 % pouvant être pris en compte. Elle comporte ainsi l'ensemble des considérations de droit et de fait permettant à son destinataire d'en comprendre et discuter utilement les motifs et au juge du contentieux des pensions militaires d'invalidité de statuer en toute connaissance de cause. Cette décision est dès lors suffisamment motivée.
11. Enfin, il ne ressort pas des termes de la décision en litige que le ministre de la défense se serait à tort estimé lié par l'avis, consultatif, de la commission de réforme, qu'il a pu sans erreur de droit ni méconnaissance de sa compétence s'approprier pour statuer sur la demande de M. D....
Sur le bien-fondé de la demande de révision de la pension :
12. Le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Au cas où une première infirmité reconnue imputable au service a concouru, avec une affection ou un fait étranger au service, à provoquer, après le service, une infirmité nouvelle, celle-ci n'ouvre droit à pension que s'il est établi que l'infirmité antécédente a été la cause directe et déterminante de l'infirmité nouvelle. Ainsi, l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, les dispositions précitées de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.
13. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. " L'article L. 121-5 précise que " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le taux global d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; / 3° Au titre d'infirmités résultant exclusivement de maladie, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : - a) 30 % en cas d'infirmité unique ; - b) 40 % en cas d'infirmités multiples. / Aucune pension n'est concédée en deçà d'un taux d'invalidité de 10 %. "
14. L'arrêté initial du 31 janvier 1995 concédant à l'intéressé une pension définitive, qui constate par ailleurs un droit à pension ouvert à compter du 6 décembre 1994, a reconnu que M. D..., à la suite de l'accident survenu le 26 janvier 1989 en service lors d'une mission extérieure au Liban, restait atteint de séquelles d'entorse du genou gauche, après rechute par rupture de ligamentoplastie, d'instabilité lors de la marche en terrain accidenté, sans latéralité, avec un tiroir antérieur en rotation interne, pour un taux d'invalidité global de 10 %. Dans sa demande du 23 septembre 2015, M. D... fait état de la dégradation des cartilages de son genou.
15. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise médicale du 13 janvier 2017, que, par référence à des examens conduits en 2012, M. D... souffrait d'une gêne plus importante à la mobilité de son genou, empêchant toute activité sportive, avec une flexion limitée par rapport au côté droit et une gêne importante à l'accroupissement. Le médecin-expert concluait à une aggravation de nature à porter le taux global d'invalidité à 15 %. Le médecin de l'administration, puis la commission de réforme, ont retenu la même appréciation, pour une aggravation estimée inférieure au seuil de 10 %. Par les éléments médicaux qu'il produit, et dont, ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, seuls ceux établissant l'état de santé de l'intéressé à la date de sa demande de révision de pension peuvent utilement être pris en compte, M. D... ne conteste pas sérieusement cette appréciation. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation du refus du ministre de la défense du 29 mai 2017 en tant qu'il a rejeté sa demande de révision non plus qu'à demander que le taux global de sa pension soit porté au minimum à 20 %.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Grenoble a annulé la décision, indivisible, du 29 mai 2017 en litige et lui a enjoint de réexaminer la demande de M. D.... Par suite, le jugement du 11 octobre 2019 doit être annulé et la demande de M. D... rejetée, dont ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 17/2 du 11 octobre 2019 du tribunal des pensions militaires de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande de M. D... tendant à l'annulation de la décision du 29 mai 2017 et à la révision du taux d'invalidité de son infirmité fixé par l'arrêté du 31 janvier 1995 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. C... D....
Délibéré après l'audience du 12 mai 2021 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2021.
N° 19LY04536 2