CAA de BORDEAUX, 2eme chambre (formation a 3), 15/06/2021, 19BX03958, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision15 juin 2021
Num19BX03958
JuridictionBordeaux
Formation2eme chambre (formation a 3)
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme anne MEYER
CommissaireMme BEUVE-DUPUY
AvocatsLAJUNCOMME

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... G... veuve D... a demandé au tribunal des pensions militaires
de Bordeaux d'annuler la décision du 1er août 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté
sa demande de pension de réversion.

Par un jugement du 16 mai 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juillet 2019 par la cour régionale des pensions
de Bordeaux et des mémoires enregistrés les 20 mars et 14 décembre 2020 devant la présente cour, Mme G..., représentée par Me L..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 1er août 2017 ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de procéder à la liquidation de la pension
de réversion ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Dans le dernier état de ses écritures, elle soutient que :
- l'identité de personne entre M. H... ben Khamdi et M. K... D...
n'est plus contestée ;
- les actes qu'elle a produits ont été établis par des officiers d'état-civil assermentés
et suffisent à démontrer l'identité de personne entre le pensionné et son époux ; les quelques différences invoquées en défense entre les actes de concordance du 11 novembre 2013
et du 2 mars 2018 relèvent de simples erreurs de transcription entre la langue arabe et la langue française ; la circonstance que ni son acte de naissance ni celui de son époux ne portent la mention de leur mariage résulte de ce que cette obligation n'a été imposée par la loi marocaine que pour les mariages célébrés à compter de 2002.

Par des mémoires en défense enregistrés les 21 février 2020, 13 novembre 2020
et 22 janvier 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Dans le dernier état de ses écritures, elle fait valoir que :
- eu égard au numéro matricule figurant sur le livret militaire et le brevet de retraite du combattant établi le 3 décembre 1990, il est admis que M. H... ben Khamdi a pris le nom de K... D... ;
- toutefois, les attestations de concordance établies le 11 novembre 2013 et en 2018 diffèrent sur la transcription de la filiation de M. H... ben Khamdi et l'année d'établissement de l'acte d'état-civil, les date et lieu de naissance de l'ancien militaire figurant sur le brevet de retraite du combattant ne correspondent pas à ceux de ces attestations de concordance, et la copie intégrale de l'acte de naissance de M. D... du 17 mars 2015 comporte un nom qui ne correspond pas exactement à celui de l'acte de naissance ainsi qu'un lieu de naissance différent ; ces dissemblances empêchent d'établir l'identité de personne entre le titulaire de la pension militaire d'invalidité et l'époux de Mme G... ;
- l'acte de naissance, le certificat de non remariage et l'attestation de non divorce produits par Mme G... ne justifient pas de son mariage avec l'ancien militaire, qui ne figure sur aucun des actes de naissance établis en 2015, et alors que le lieu de naissance de Mme G... est désigné tantôt comme le douar M'J..., tantôt comme le douar Merrakine.

Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision modificative du 18 mars 2021.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code civil ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteure publique,
- et les observations de Me E..., représentant Mme G....

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 1er août 2017, la ministre des armées a rejeté la demande
de réversion de la pension militaire d'invalidité de M. K... D... présentée
le 27 février 2014 par Mme G... au motif qu'il ne pouvait y avoir identité de personne entre l'époux de cette dernière et le soldat K... D..., titulaire de la pension depuis 1948
et décédé en 2009. Mme G... relève appel du jugement du 16 mai 2019 par lequel le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. "

3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du numéro matricule figurant sur le livret militaire de " M. H... ben Khamdi présumé né en 1925 " et sur le brevet de retraite du combattant décerné à " M. K... D... (H... ben Khamdi) né en 1925 " que M. H... ben Khamdi, titulaire de la pension militaire d'invalidité dont Mme G... sollicite la réversion, a pris le nom de K... D..., ce qui n'est plus contesté.

4. Dans le dernier état de ses écritures, la ministre des armées conteste l'identité
de personne entre M. D... et l'époux de Mme G.... Cette dernière a notamment produit une copie certifiée conforme de son acte de mariage avec " M. K... fils I...
ben el-Hamedi " dressé le 16 septembre 1952, un certificat de monogamie selon lequel elle
a été " la seule épouse du défunt Abdeslam D... " et une attestation de non remariage " depuis le décès de son mari feu K... D... décédé le 06/02/2009 ". Ces documents établis par des officiers d'état-civil suffisent à apporter la preuve de son mariage avec l'ancien militaire H... ben Khamdi, décédé le 6 février 2009, qui avait pris le nom de K... D..., ce dernier nom étant en outre mentionné comme le nom de famille de leurs enfants par les notaires chargés de la succession, qui ont bien identifié Mme G... comme sa veuve. Les diverses transcriptions en français du nom du père de M. D..., orthographié Lhimdi, el-Hamedi, L'Yahamadi, el Lhimdi ou Khamdi, ne sont pas de nature à faire douter de l'identité de personne avec l'époux de Mme G.... L'inscription des naissances à l'état-civil n'ayant été instituée au Maroc qu'en 1950, le fait que l'acte de naissance de M. D..., qui précise sa filiation, lui attribue une année de naissance (1920) différente de celle des autres documents (1925), ne saurait davantage faire douter de ce que la requérante est bien la veuve du militaire titulaire de la pension dont elle sollicite la réversion. Il en va de même de l'existence de confusions entre les lieux de naissance et le lieu de résidence des époux sur la demande de pension et les attestations de concordance.

5. Il résulte de ce qui précède que Mme G... est fondée à demander l'annulation
du jugement du tribunal des pensions militaires de Bordeaux du 16 mai 2019 et de la décision
de la ministre des armées du 1er août 2017.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "

7. Le 3° de l'article L. 43, devenu le 1° de l'article L. 141-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, ouvre droit à pension pour le conjoint survivant lorsque le militaire est décédé en jouissance d'une pension définitive ou temporaire correspondant à une invalidité égale ou supérieure à 60 %. En l'espèce, M. D... était titulaire d'une pension pour une invalidité fixée à 85 %. Par suite, l'annulation de la décision de rejet
de la demande de Mme G..., fondée sur le seul motif qu'elle n'établirait pas être la veuve
de M. D..., implique qu'il soit fait droit à sa demande. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre
à la ministre des armées de procéder à la liquidation des droits à pension de réversion
de Mme G... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

8. Mme G... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce,
de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros, à verser à Me L...
sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive
de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.



DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions militaires de Bordeaux du 16 mai 2019
et la décision de la ministre des armées du 1er août 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre des armées de procéder à la liquidation des droits à pension de réversion de Mme G... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me L... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi
du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... G... veuve D... et à la ministre
des armées.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne B..., présidente-assesseure,
Mme A... F..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juin 2021.

La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX03958