CAA de MARSEILLE, , 24/06/2021, 21MA01236, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à titre de provision, une somme de 56 190 euros, en réparation du préjudice résultant d'accidents reconnus imputables au service.
Par une ordonnance n° 2100235 du 9 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à M. B... une provision d'un montant de 43 500 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 mars 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 9 mars 2021 ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. B....
Il soutient que :
Sur l'existence d'une créance non sérieusement contestable :
- l'obligation dont M. B... se prévaut est sérieusement contestable et le juge des référés n'a pas recherché s'il établissait avec certitude l'étendue de ses préjudices ;
- il n'existe aucune obligation non sérieusement contestable s'agissant de l'accident de service du 27 avril 2019 dès lors que le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 3 % correspondant aux cervicalgies est un retour à l'état antérieur, et qu'il est par conséquent imputable aux précédents accidents de service survenus en 1997 ;
- la caractérisation d'un taux d'IPP n'implique pas l'octroi automatique d'une provision au titre de la responsabilité sans faute ;
Sur le montant du préjudice :
- les montants sollicités de 9 360 euros au titre d'une IPP de 6 % pour l'index droit, 25 950 euros, au titre d'une IPP de 15 % pour le mollet droit et de 12 480 euros au titre d'une IPP de 8 % pour les syndromes post-traumatiques, sont manifestement excessifs ;
- en outre, le déficit fonctionnel permanent évalué à 15 % pour le mollet droit trouve son origine dans un état antérieur, ainsi que les troubles psychologiques.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 avril 2021 et le 18 mai 2021, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du garde des sceaux, ministre de la justice ;
2°) par la voie de l'appel incident, de condamner l'Etat à lui verser, à titre de provision, une somme de 56 190 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête d'appel est tardive.
Sur l'accident de service du 6 février 2018 :
- le montant alloué par le premier juge correspond aux taux d'IPP retenus de 15 % pour le mollet droit, de 6 % pour l'index droit et de 8 % pour le syndrome de stress post-traumatique ;
Sur l'accident de service du 27 avril 2019 :
- le taux d'IPP de 3 % correspond à l'état de M. B... constaté le 27 avril 2019, et en tout état de cause, l'état antérieur dont il est question résulte lui-même d'un accident du travail ;
Sur l'appel incident :
- s'agissant de l'accident de service du 6 février 2018, M. B... doit être indemnisé à hauteur de 9 360 euros au titre de l'IPP de 6 % pour l'index droit, de 25 950 euros au titre de l'IPP de 15 % pour le mollet droit, et de 12 480 euros au titre de l'IPP de 8 % pour le syndrome post-traumatique ;
- s'agissant de l'accident de service du 27 avril 2019, il doit être indemnisé à hauteur de 4 200 euros au titre de l'IPP de 3 % ;
- s'agissant de l'accident de service du 30 août 2019, il doit être indemnisé à hauteur de 4 200 euros au titre de l'IPP de 3 %.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Chazan, président de la 9ème chambre, pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par les juges des référés des tribunaux du ressort.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., surveillant au centre pénitentiaire de Villeneuve-lès-Maguelone, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser, à titre de provision, une somme de 56 190 euros en réparation du préjudice résultant de trois accidents reconnus imputables au service survenus les 6 février 2018, 27 avril 2019 et 30 août 2019. Le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de l'ordonnance du 9 mars 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à titre de provision une somme de 43 500 euros à M. B.... Par la voie de l'appel incident, M. B... conclut à la réformation de cette ordonnance et demande que la provision qui lui a été allouée soit portée à 56 190 euros.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article R. 541-3 du code de justice administrative figurant au chapitre unique du titre IV du Livre V, relatif au juge des référés accordant une provision : " Sous réserve des dispositions du douzième alinéa de l'article R. 811-1, l'ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d'appel devant la cour administrative d'appel dans la quinzaine de sa notification. ". Ces dispositions ouvrent un délai franc de 15 jours pour faire appel d'une ordonnance du juge des référés statuant en première instance sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative
3. Il ressort des pièces du dossier que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 9 mars 2021 a été notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice le 10 mars 2021. En présence d'un délai franc, le délai du recours expirait le 26 mars 2021 à minuit. Dès lors, la requête d'appel enregistrée le 26 mars à 20h22, dans le délai de 15 jours mentionné à l'article R. 541-3 du code de justice administrative, est recevable. La fin de non-recevoir opposée par M. B... doit donc être écartée.
Sur le bien- fondé de la requête d'appel et l'appel incident de M. B... :
4. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
5. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celleci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
6. La créance correspondant à la réparation des préjudices extra-patrimoniaux de M. B... résultant des accidents des 6 février 2018, 27 avril 2019 et 30 août 2019, reconnus imputables au service, présente, en principe, un caractère non-sérieusement sérieusement contestable.
En ce qui concerne l'accident du 6 février 2018 :
5. Il résulte de l'instruction que M. B... a été victime d'un accident de service le 6 février 2018 alors qu'il maintenait un détenu au sol. Il ressort du compte-rendu de l'expertise réalisée le 10 janvier 2019 par le docteur Kalfa et de l'examen spécialisé réalisé le 15 juin 2018 par le docteur Duquenne, que cet accident a occasionné une blessure à l'index droit dont il résulte une incapacité permanente partielle (IPP) évaluée à 6 %, une aggravation d'une séquelle affectant le mollet droit portant le taux d'IPP de l'intéressé à 15 % d'IPP alors que l'état antérieur de l'intéressé sur ce point correspondait à une IPP de 8 % et un syndrome de stress post-traumatique ayant occasionné 8 % d'IPP. Le garde des sceaux, ministre de la justice soutient devant la Cour que le syndrome de stress post-traumatique serait imputable " en grande partie " à un accident de service du 12 février 2010. Toutefois, s'il apparaît qu'il existait sur ce point un état antérieur imputable à l'accident du 12 février 2010, il résulte de l'instruction que le taux de 8 % correspond à la seule IPP imputable à l'accident du 6 février 2018. Ainsi, le taux d'IPP imputable à l'accident du 6 février 2018 dont M. B... a demandé réparation par sa réclamation indemnitaire préalable du 12 novembre 2020 n'excède pas 21 % compte tenu de l'état antérieur concernant son mollet droit. Dans ces conditions, la créance de M. B... présente, eu égard à son âge à la date de consolidation de son état de santé, un caractère non sérieusement contestable à hauteur de la somme de 30 000 euros.
En ce qui concerne l'accident du 27 avril 2019 :
6. Il résulte de l'instruction que M. B... a été victime d'un accident de trajet le 27 avril 2019 ayant occasionné des cervicalgies. Si la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse du 1er juillet 2020 reconnaissant l'imputabilité au service de cet accident mentionne une consolidation avec une IPP de 3 %, sans préciser si celle-ci est imputable ou non à l'accident, il ressort des visas de cette décision et notamment des avis convergents de trois praticiens auxquels elle se réfère, que le taux de 3 % correspond à un état antérieur. M. B... fait valoir que cet état antérieur est lui-même dû à un accident de service. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'il serait imputable à l'un des trois accidents au titre desquels il a demandé réparation par lettre du 12 novembre 2020. Dans ces conditions, la créance dont se prévaut M. B... ne présente pas de caractère non sérieusement contestable sur ce point.
En ce qui concerne l'accident du 30 août 2019 :
7. Il résulte de l'instruction que M. B... a été victime d'un accident reconnu imputable au service par une décision du 24 septembre 2020, qui a occasionné une atteinte de la cuisse droite, et qui laisse subsister, après consolidation, une IPP de 3 %. Dès lors, l'obligation du garde des sceaux, ministre de la justice, présente, eu égard à l'âge de M. B... à la date de consolidation de son état de santé, un caractère non sérieusement contestable à hauteur de la somme de 3 000 euros.
8. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le garde des sceaux, ministre de la justice, est seulement fondé à demander que la provision de 43 500 que le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à M. B... soit ramenée à la somme de 33 000 euros et d'autre part, que M. B... n'est pas fondé à demander, par la voie de l'appel incident, que la provision mise à la charge du garde des sceaux, ministre de la justice, soit portée à la somme de 56 190 euros.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à que la somme demandée à ce titre par M. B... soit mise à la charge du garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'est pas la partie perdante.
O R D O N N E :
Article 1er : La somme de 43 500 euros que le garde des sceaux, ministre de la justice, a été condamné à verser à M. B... par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 9 mars 2021 est ramenée à 33 000 euros.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 9 mars 2021 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 3 : Les conclusions de M. B... présentées par la voie de l'appel incident et sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. C... B....
Fait à Marseille, le 24 juin 2021.
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N°21MA01236