CAA de NANTES, 6ème chambre, 20/07/2021, 19NT04317, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D..., titulaire d'une pension militaire d'invalidité concédée par arrêté du 4 décembre 2017, a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Orléans l'annulation de cette décision.
Par un jugement n° 18/00001 du 9 novembre 2018, le tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 janvier 2019 au greffe de la cour régionale des pensions militaires d'Orléans et des mémoires complémentaires enregistrés les 16 mars et 6 avril 2021, sous le n° 19NT04317 devant la présente cour, M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Orléans du 9 novembre 2018 ;
2°) de retenir un taux d'invalidité de 40 % pour l'infirmité pensionnée ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de prendre un nouvel arrêté concédant un droit à pension militaire d'invalidité à son bénéfice, à un taux d'invalidité de 40 %, dans le délai de huit jours suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre les dépens à la charge de l'Etat.
Il soutient que :
- l'expertise ayant conduit à la fixation de son taux d'invalidité à 25 % par l'arrêté du 4 décembre 2017 a été menée de façon expéditive et entache cette décision d'une irrégularité manifeste ;
- pour étayer sa demande, il s'appuie sur des pièces médicales parfaitement recevables ;
- le Dr Litinetskaia a déposé son rapport d'expertise au terme duquel elle conclut à un taux d'invalidité de 40 %, établi au regard du guide-barème des invalidités applicables au titre du code des pensions militaires.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 mars et 26 avril 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 10 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 4 décembre 2017, il a été concédé à M. D... une pension militaire d'invalidité au taux global de 25 % pour des séquelles d'état de stress post-traumatique avec troubles de l'humeur et de la libido, répétitions, sursauts, cauchemars, anhédonie, hypervigilance et troubles des conduites, consécutifs au décès de l'un de ses camarades militaires durant une patrouille de reconnaissance à pied au Kosovo en 2009 dans le cadre d'une opération extérieure. Le 13 janvier 2018, le requérant a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Orléans. Par jugement du 9 novembre 2018, le tribunal des pensions militaires a rejeté la demande de M. D.... Par un recours enregistré le 15 janvier 2019 au greffe de la cour régionale des pensions d'Orléans, M. D... a relevé appel de ce jugement. Par un arrêt du 11 octobre 2019, la cour régionale des pensions militaires d'Orléans a, avant-dire droit, ordonné une expertise médicale. Par sa requête visée ci-dessus, M. D... relève appel du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Orléans du 9 novembre 2018 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 décembre 2017.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa version applicable à la date de la demande de pension : " La pension prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. / L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande ". Il résulte de ces dispositions que c'est à cette date qu'il faut se placer pour évaluer le taux des infirmités à raison desquelles la pension ou sa révision est demandée.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'au terme d'un arrêt rendu le 11 octobre 2019, la cour régionale des pensions militaires a, avant dire droit, ordonné une mesure d'expertise judiciaire confiée au Dr Litinetskaia, laquelle a déposé son rapport le 10 février 2021. L'expert désigné conclut au terme de son rapport : " (...) L'étude de l'évolution des troubles psychiques de M. D... a permis d'établir qu'il a développé des troubles de l'adaptation décrits dans le chapitre F 43.23 dans la CIM 10 (Classification Internationale des Troubles Mentaux et des Troubles du comportement). En effet, lors de l'examen psychiatrique, nous avons constaté des perturbations émotionnelles, à savoir : une tension anxieuse, des tendances dépressives, une inquiétude et un sentiment d'incapacité à faire face qui entraînent une certaine altération de son fonctionnement quotidien. Cet état est non seulement lié à l'évolution à ses troubles post-traumatiques, mais également à l'échec de ses tentatives de reconversion. (...) Au point de vue médico-légal, cet état est en grande partie (80 %) imputable à l'événement traumatique que M. D... a vécu le 16 novembre 2009. Il puise ses sources à la hauteur de 20 % dans les nombreux échecs que M. D... a connus dans sa carrière. (...) En analysant les conditions d'imputabilité séquellaire (...), nous avons constaté que le lien entre l'événement traumatique du 16 novembre 2009 et l'état psychique actuel de M. D... est direct et certain. (...) Selon le barème Guide-barème des invalidités applicables au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, nous estimons que le taux d'incapacité présenté par M. D... est de 40 % (...) ".
4. Contrairement à ce qui est allégué par la ministre, si l'expert judicaire a décrit l'état de santé de M. D... à la date de son examen du 18 décembre 2020, constatant une évolution des troubles d'ordre post-traumatique fluctuante après amélioration et stabilisation entre 2015 et 2017, elle s'est également fondée sur l'étude de l'histoire de sa maladie et les documents retenus pour les opérations d'expertise, notamment son livret médical, en relevant l'absence de tout antécédent psychiatrique et de tout événement traumatique avant le 16 novembre 2009. Elle écarte notamment les symptômes anxio-dépressifs de l'intéressé qui ont leur origine, selon elle, dans les difficultés auxquelles M. D... a été confronté tout au long de sa vie professionnelle. Après avoir relevé la dimension évolutive de la pathologie de l'intéressé, elle conclut que le taux d'incapacité présenté par M. D... est de 40 %. Eu égard à ces différents éléments, le taux d'incapacité estimé par l'expert à 40 % doit être regardé comme fixé à la date de la demande de pension de l'intéressé, soit le 16 décembre 2013, dès lors que l'experte ne fait état d'aucun élément récent d'aggravation qui l'aurait conduite à retenir le taux de 40 %. Dans ces conditions, M. D... est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Orléans du 9 novembre 2018 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 décembre 2017 concédant à M. D... une pension militaire d'invalidité au taux global de 25 % pour des séquelles d'état de stress post-traumatique avec troubles de l'humeur et de la libido, répétitions, sursauts, cauchemars, anhédonie, hypervigilance et troubles des conduites.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
5. Le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint à la ministre des armées d'attribuer à M. D... une pension au taux global d'invalidité de 40% à compter du 16 décembre 2013, date de sa demande de pension, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée.
Sur les frais d'expertise :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais et honoraires de l'expertise à la charge de l'Etat, qui est, dans la présente instance, la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 9 novembre 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Orléans est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 4 décembre 2017 concédant à M. D... une pension militaire d'invalidité au taux global de 25 % pour des séquelles d'état de stress post-traumatique avec troubles de l'humeur et de la libido, répétitions, sursauts, cauchemars, anhédonie, hypervigilance et troubles des conduites est annulé.
Article 3 : Il est attribué à M. D... une pension au taux global d'invalidité de 40% à compter du 16 décembre 2013, date de sa demande de pension.
Article 4 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale des pensions militaires d'Orléans sont mis à la charge de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 9 juillet 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2021.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04317