CAA de NANCY, 4ème chambre, 21/09/2021, 19NC03225, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision21 septembre 2021
Num19NC03225
JuridictionNancy
Formation4ème chambre
PresidentMme GHISU-DEPARIS
RapporteurMme Sophie ROUSSAUX
CommissaireM. MICHEL
AvocatsSO JURIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal des pensions de Metz l'annulation de la décision du 3 mai 2017 du ministre de la défense qui a refusé de lui accorder le bénéfice d'une pension en qualité de victime civile des évènements qui se sont déroulés en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962.


Par un jugement n° 17/00011 du 14 mars 2019, le tribunal des pensions de Metz a rejeté sa demande.


Procédure devant la cour :

La cour régionale des pensions militaires de Metz a transmis à la cour administrative d'appel de Nancy, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. C..., enregistrée à son greffe le 10 octobre 2019.


Par un mémoire complémentaire enregistré le 21 janvier 2020, M. C..., représenté par Me Giustinati, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions de Metz du 14 mars 2019 ;

2°) d'annuler la décision de rejet du ministre de la défense du 3 mai 2017 ;

3°) de faire droit à sa demande de pension militaire d'invalidité en raison des blessures subies pendant la guerre d'Algérie le 22 octobre 1961 ;

4°) de statuer, ce que de droit, sur les dépens.


Il soutient que :
- le critère de nationalité française ne peut plus lui être opposé au regard de la décision du conseil constitutionnel 2017-690 QPC du 8 février 2018 ;
- le ministre des armées ne pouvait pas subordonner la preuve de l'imputabilité de son infirmité à un fait de guerre en Algérie à la production obligatoire d'un constat officiel contemporain au fait.


Par deux mémoires en défense, enregistrés le 15 janvier 2020 et le 14 décembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :
- il ne peut plus se prévaloir de ce que la pension militaire d'invalidité lui a été refusée pour défaut de nationalité française car dès la première instance, le ministère a sollicité du tribunal des pensions que M. C... ne soit pas débouté de sa demande sur le critère tenant à la nationalité française, lequel ne peut plus lui être opposé depuis le 8 février 2018 ;
- il n'apporte pas d'éléments établissant que l'infirmité invoquée a bien son origine dans une blessure ou une maladie causée par l'un des faits prévus à l'article L. 124-11 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.


M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 7 novembre 2019.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. C..., de nationalité algérienne, né le 31 décembre 1942, a sollicité l'octroi d'une pension militaire d'invalidité en qualité de victime civile en faisant valoir qu'il a été blessé par balle à son domicile au cours d'une opération de l'armée française en Algérie le 22 octobre 1961. Par décision du 3 mai 2017, le ministre de la défense a rejeté sa demande. M. C... relève appel du jugement du 14 mars 2019 par lequel le tribunal des pensions de Metz a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 3 mai 2017 par laquelle le ministre de la défense a refusé de lui octroyer la pension sollicitée.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dans sa version applicable au litige : " Les personnes ayant subi en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 des dommages physiques, du fait d'attentats ou de tout autre acte de violence en relation avec la guerre d'Algérie, bénéficient des pensions de victimes civiles de guerre. (...) ". Aux termes de l'article L. 124-11 du même code dans sa version applicable au litige: " Pour l'application des dispositions de l'article L. 113-6 relatif à la réparation des dommages physiques subis en relation avec la guerre d'Algérie, ouvrent droit à pension les infirmités ou le décès résultant :1° De blessures reçues ou d'accidents subis du fait d'attentats ou de tout autre acte de violence en relation avec cette guerre ;(...) ". Enfin, aux termes de l'article L 124-20 du même code : " Il appartient aux postulants de faire la preuve de leurs droits à pension en établissant que l'infirmité invoquée a bien son origine dans une blessure ou dans une maladie causée par l'un des faits prévus aux sections 1 et 2 du présent chapitre ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au postulant victime civile de guerre, de faire la preuve de ses droits à pension en établissant notamment que les infirmités qu'il invoque ont leur origine dans une blessure ou une maladie causée par l'un des faits de guerre énoncés aux articles L.124-1 et suivants du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

4. La décision attaquée du ministre de la défense du 3 mai 2017 a notamment été prise au motif de l'absence de production de documents établissant l'imputabilité des affections à un fait de guerre par un constat officiel établi par la gendarmerie ou un organisme habilité. Ce défaut de pièce officielle, non prévue par les textes, ne pouvait pas justifier un refus d'octroi d'une pension militaire d'invalidité sur le fondement des dispositions précitées. Ainsi, ce motif retenu dans la décision attaquée est entaché d'erreur de droit.


5. Toutefois, pour établir que la décision attaquée était légale, la ministre des armées invoque, dans ses écritures communiquées à M. C..., un autre motif, tiré de ce que sa décision aurait pu également être prise au motif de ce que les documents joints par M. C... étaient insuffisants pour établir l'imputabilité de son affection à un fait de guerre en Algérie.

6. Il résulte de l'instruction que pour établir la preuve, qui lui incombe, du lien de son infirmité avec un fait de guerre au sens des articles L. 124-1 et suivants du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, M. C... produit deux attestations sur l'honneur datées du 1er septembre 2017 selon lesquelles il a été blessé par balle le 22 octobre 1961, une autre d'un médecin de l'hôpital de Tiaret datée du 14 juillet 2014 qui mentionne qu'il a été opéré d'une plaie par balle le 22 octobre 1961, un compte rendu d'un cabinet de radiologie en Moselle qui fait état de ce que le patient " allègue des séquelles de blessures par balle ancienne " et enfin un procès-verbal d'enquête préliminaire du 9 octobre 2019 de la gendarmerie nationale d'Algérie relatant que le requérant a été blessé par balle accidentellement lors d'une opération de l'armée française en Algérie. Toutefois, ces témoignages contemporains relatent des faits datant de plus de 50 ans et l'attestation du médecin de l'hôpital de Tiaret se borne à préciser que le requérant a été " opéré le 22 octobre 1961 pour plaie abdominale par balle " sans autre précision. Dans ces conditions, les pièces produites par M. C... ne sont pas de nature à démontrer un lien direct et certain entre sa blessure par balle et le fait de guerre invoqué.

7. Ainsi, il résulte de ce qui précède que le ministre des armées aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce motif qu'il y a lieu de substituer à celui du défaut de constat officiel entaché d'erreur de droit.

8. Ce seul motif suffit à justifier le refus d'accorder à M. C... une pension militaire d'invalidité. Par suite, la circonstance que le ministre des armées ne pouvait pas, par un second motif, lui opposer le défaut de nationalité française est sans incidence sur la légalité de ce refus.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Metz a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision lui refusant la révision de sa pension en qualité de victime civile de fait de guerre.

Sur les dépens :

10. Les dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative font en tout état de cause obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, les dépens, lesquels sont au demeurant inexistants dans la présente instance.
D E C I D E :


Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la ministre des armées.

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N° 19NC03225