CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 08/12/2021, 19BX04888, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision08 décembre 2021
Num19BX04888
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Anne MEYER
CommissaireMme GALLIER
AvocatsSEGOL

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux d'annuler la décision du 5 juin 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité de lombo-sciatalgies chroniques avec enraidissement segmentaire et amyotrophie crurale gauche, et d'enjoindre à la ministre de lui attribuer une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % assortie d'une majoration pour trois enfants, avec effet à compter du 15 juin 2016.

Par un jugement n° 1900059 du 16 octobre 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 décembre 2019 et des mémoires enregistrés les 16 mars, 6 juillet et 17 septembre 2021, M. B..., représenté par Me Segol, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 5 juin 2018 ;
3°) d'enjoindre à la ministre de lui attribuer une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % assortie d'une majoration pour trois enfants, avec effet à compter du 15 juin 2016.

Il soutient que :
- il s'est engagé dans la marine le 28 février 1995 et s'est blessé le 18 mai 1995 au niveau du rachis lombaire, des genoux et des pieds, ce qui l'a rendu inapte à la spécialité de fusilier marin ; il s'est réorienté vers la spécialité de fourrier, et le 29 janvier 1996, alors qu'il était chargé d'assister l'équipe du bureau habillement, il s'est blessé au dos en déchargeant un camion contenant des cartons de vêtements militaires ; le diagnostic de cervico-dorso lombalgie a été posé le même jour ; le 5 février 1996, le médecin a posé le diagnostic : " lombaire antélisthésis C6-S1 + anomalie transitionnelle " et " spina bifida occulta L5-S1 " ; l'accident du 29 janvier 1996 est à l'origine d'une blessure ;
- le compte-rendu médical établi le jour de l'accident en précise les circonstances, le médecin a posé un diagnostic six jours plus tard, et il ne présentait aucune pathologie du dos lorsqu'il s'est engagé dès lors qu'il a subi des tests et n'aurait pu être déclaré apte pour les troupes aéroportées s'il avait souffert d'un antélisthésis ; les comptes rendus des examens réalisés à la suite du premier accident du 18 mai 1995 n'ont pas davantage mentionné cette pathologie ; la spondylolyse peut résulter d'un choc violent, avec une prévalence de 20 % chez les sportifs de haut niveau, ce qui était son cas puisqu'il avait été déclaré apte aux troupes aéroportées ; en l'espèce, le spondylolisthésis a pour origine le choc violent résultant des opérations de déchargement, et l'IRM du 19 janvier 2018, qui avait pour objet de poser le diagnostic de l'infirmité actuelle, n'avait pas vocation à préciser si elle était ou non d'origine traumatique ; ce faisceau d'indices démontre que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il apporte la preuve d'une blessure en service le 29 janvier 1996 ;
- le tribunal n'a pas tenu compte de la faute commise par l'administration qui n'a pas conservé les documents le concernant dont elle avait la garde ; la Commission d'accès aux documents administratifs a déduit à tort de ce que le Centre des archives du personnel militaire de Pau ne détenait pas son dossier médical que celui-ci n'existait pas, alors qu'il a été égaré ; les documents transmis par courrier du 16 mars 2016 ne sont pas un dossier médical, mais seulement les certificats médicaux établis par le centre hospitalier Calmette de Lorient lors de ses deux passages dans cet établissement ;
- l'accident est survenu pendant qu'il était en service et la blessure a été constatée avant son renvoi dans ses foyers, de sorte que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il bénéficie de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre applicable à la date de sa demande ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'article L. 2 du code n'impose pas de démontrer une continuité des soins, mais seulement que l'infirmité résulte de la blessure invoquée ; le spondylolisthésis diagnostiqué en 2018 est de même nature que l'antélisthésis constaté en 1996 ; l'étiologie de la maladie est traumatique puisqu'il ne souffrait d'aucune blessure avant les opérations de déchargement de janvier 1996 ; dès lors que l'étiologie de l'infirmité démontre sa filiation médicale avec la blessure subie, il n'y a pas lieu de démontrer une continuité des soins ; au demeurant, il démontre cette continuité par la production de certificats médicaux du 3 avril 1997 et du 15 juin 2016 ;
- il a droit à une pension d'invalidité au taux de 10 % sur le fondement de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 février, 11 mai et 30 août 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.



Elle fait valoir que :
- l'antélisthésis C6-S1, l'anomalie transitionnelle et la spina bifida constatés sur le bilan radiographique réalisé en février 1996 ne peuvent être reliés au service s'agissant de maladies constitutionnelles, et aucun élément en faveur d'un traumatisme n'a été relevé lors de la consultation du 5 février 1996 ; le taux de 5 % lié au " spondylolisthésis de L5 sur S1 par lyse isthmique et rétrécissements foraminaux bilatéraux " retenu par l'expert n'est pas imputable au service, mais résulte de maladies constitutionnelles sans rapport avec le service ;
- selon l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet d'une constatation et l'infirmité invoquée, ce qui n'est pas le cas en l'absence de tout document médical démontrant cette filiation jusqu'à la date de la demande ;
- s'il n'est pas contesté que le livret médical de M. B... n'a pas été retrouvé, la disparition des archives n'a pas pour effet de dispenser le demandeur de la charge de la preuve de l'imputabilité au service ; le dossier médical, les rapports circonstanciés (RC) et les extraits du registre des constatations (ERC) étant des documents de nature différente, l'absence de RC et d'ERC s'explique par l'absence de fait de service authentifié par l'autorité militaire ;
- en l'absence d'atteinte traumatique, les efforts de chargement notés lors de la consultation du 29 janvier 1996 ne peuvent être regardés comme caractérisant une blessure survenue en service.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2020.


Vu les autres pièces du dossier.

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Segol, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., engagé dans la Marine nationale le 28 février 1995, a été radié des contrôles pour raison familiale le 9 novembre 1998. Le 27 juin 2016, il a sollicité une pension militaire d'invalidité pour une infirmité de " spondylolyse L5-S1, discopathie dégénérative, rétrécissement foraminal L4-L5, dégénérescence arthrosique et lombalgies chroniques " dont il attribuait l'origine à un accident survenu à l'école des fusiliers marins de Lorient en janvier 1996. Par une décision du 5 juin 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande. M. B... relève appel du jugement du 16 octobre 2019 par lequel le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la demande de pension : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service / (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition: / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / (...) / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / En cas d'interruption de service d'une durée supérieure à quatre-vingt-dix jours, la présomption ne joue qu'après le quatre-vingt-dixième jour suivant la reprise du service actif. / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. / (...). " Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité est apparue durant le service, ni d'une probabilité même forte, d'une vraisemblance ou d'une simple hypothèse médicale.

3. M. B... ne se trouve dans aucun des cas dans lesquels la présomption peut s'appliquer. S'il ressort des pièces du dossier que son dossier médical a été égaré par l'administration, cette circonstance n'a pas pour effet de dispenser le demandeur de la charge de la preuve d'imputabilité au service, laquelle ne saurait résulter d'une hypothèse ou d'une probabilité.

4. M. B... produit des pièces relatives à sa prise en charge au centre hospitalier des armées de Lorient les 29 janvier et 5 février 1996, conservées par cet établissement. Il ressort du compte rendu du 29 janvier 1996 qu'il a consulté pour des " cervico dorso-lombalgies suite à des efforts de déchargement ", ce qui suffit à corroborer ses déclarations selon lesquelles ces douleurs sont apparues alors qu'il déchargeait un camion contenant des cartons de vêtements militaires. Toutefois, les examens ont seulement mis en évidence, le 29 janvier, une scoliose sinistro-convexe modérée et une contracture modérée à la palpation, et le 5 février, une raideur lombaire avec contracture des trapèzes et des muscles paravertébraux, ce qui a conduit le médecin militaire à prescrire une kinésithérapie d'assouplissement. Le bilan radiologique, commenté par le compte rendu du 5 février 1996, a montré une absence de signe de luxation des cervicales et, au niveau lombaire, un antélisthésis C6-S1 avec anomalie transitionnelle et une spina bifida occulta L5-S1. Un examen réalisé le 21 avril 2017 dans le service d'imagerie médicale de l'hôpital d'instruction des armées de Bordeaux a mis en évidence une lyse isthmique bilatérale probable avec spondylolisthésis (glissement en avant du corps vertébral et de l'arc postérieur) antérieur de grade I au niveau L5-S1 et une déhiscence des arcs postérieurs L5 et S1. Cette pathologie était également retrouvée sur une IRM du rachis lombaire réalisée en février 2015 pour le bilan d'une sciatique gauche, le spondylolisthésis sur lyse isthmique bilatérale en L5-S1 étant alors associé à des remaniements de type Modic inflammatoire et à un rétrécissement foraminal bilatéral d'origine discarthrosique. Selon l'article produit par le requérant, le spondylolisthésis, dont la fréquence est estimée à 5 % de la population et qui est associé à une lyse isthmique en L5 dans 95 % des cas, peut avoir pour causes une hypoplasie de l'arc postérieur de L5, une spina bifida occulta (défaut de fermeture en cours de grossesse au niveau de l'épineuse fragilisant la structure ligamentaire paravertébrale), une scoliose ou une inclinaison excessive de la pente sacrée, ces dernières pouvant résulter d'une mauvaise attitude ou d'un défaut constitutionnel. Il est précisé que 20 % des scolioses lombaires s'accompagnent d'un spondylolisthésis et que des douleurs, habituellement lombaires, sont l'occasion de la découverte de la pathologie dans plus de la moitié des cas. L'hypothèse de la survenue d'une spondylolyse aiguë à la suite d'un choc violent, qualifiée par l'article de rare avec une prévalence moyenne de 20 % chez les sportifs de haut niveau, ne peut être retenue dans le cas de M. B..., dont l'aptitude aux troupes aéroportées ne vaut pas reconnaissance de l'exercice d'un sport à haut niveau, les chocs violents en hyperextension susceptibles de déclencher la pathologie n'étant d'ailleurs pas de même nature que les efforts physiques requis pour le déchargement d'un camion. Ainsi, les pièces produites par M. B... sont seulement en faveur de la découverte du spondylolisthésis d'origine congénitale dont il souffre à l'occasion des douleurs ressenties lors de ce déchargement le 29 janvier 1996, et non d'une filiation entre cette pathologie et la blessure survenue en service.

5. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.


DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 16 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2021.

La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04888