CAA de PARIS, 1ère chambre, 09/12/2021, 20PA03672, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. K... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à modifier son nom afin d'y adjoindre celui de " N... ", et d'enjoindre à ce ministre de l'autoriser à substituer ainsi à son nom celui de " C... N... ".
Par un jugement n° 1909005 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 30 novembre 2020 et un mémoire enregistré le 24 mars 2021, M. K... C..., représenté par Me Gateau, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1909005 du 1er octobre 2020 du tribunal administratif ;
2°) d'annuler la décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom celui de " C... N... " ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, d'autoriser le changement de nom sollicité pour lui-même et ses enfants mineurs, et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme d'un euro en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif n'a pas examiné le moyen tiré de ce qu'il justifie de circonstances exceptionnelles, fondant un motif affectif caractérisant un intérêt légitime au changement de son nom ;
- la décision litigieuse est insuffisamment motivée faute de caractériser l'absence d'intérêt légitime prévu à l'article 61 du code civil ;
- le ministre a commis une erreur de droit en regardant sa demande de changement de nom comme irrecevable au motif que, son grand-père ayant fait l'objet d'une légitimation adoptive et non d'une simple adoption, la procédure de l'article 61 ne peut avoir pour effet de permettre que soient repris les attributs d'une filiation désormais rompue ;
- le nom revendiqué présente un caractère illustre, dès lors qu'il est celui de son grand-père biologique, mort pour la France en 1944 dans les rangs des Forces françaises de l'intérieur ;
- ce nom est également menacé d'extinction, comme l'établissent les études généalogiques produites, dès lors qu'il est insusceptible d'être transmis par d'autres membres de la famille descendant de son arrière-grand-père paternel.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 février 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- il est fondé à demander que soit substitué au motif, tiré de l'irrecevabilité de la demande de changement de nom résultant de la circonstance que le père a fait l'objet d'une adoption, ceux de l'absence de justification du caractère illustre et du risque d'extinction du nom revendiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption ;
- le décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française ;
- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique,
- les observations de Me Gateau, avocat de M. K... C....
Une note en délibéré a été présentée le 18 novembre 2021 pour M. K... C....
Considérant ce qui suit :
1. M. K... C..., né le 27 juin 1980, agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses enfants mineurs A..., F..., né le 27 septembre 2009 et B..., L..., née le 29 juillet 2011, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à modifier son nom afin d'y adjoindre celui de " N... ", et d'enjoindre à ce ministre de l'autoriser à substituer ainsi à son nom celui de " C... N... ". Par un jugement du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Paris, après avoir admis la demande de substitution de motifs présentée en défense par le ministre, a rejeté sa demande. M. C... relève appel de ce jugement devant la Cour.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Dans sa demande devant l'administration comme dans sa demande devant le tribunal administratif de Paris, M. C... a exposé l'ensemble des raisons le conduisant à solliciter le changement de son patronyme. Il a ainsi longuement développé dans sa demande à l'administration sa volonté d'honorer le nom de son grand-père Robert N..., au regard de son appartenance à la Résistance mais également des autres circonstances familiales qui ont conduit à l'adoption des quatre enfants de l'intéressé et de la relation de son propre père, F..., avec M. G... C... qui l'a adopté. Par ailleurs, ses écritures de première instance mentionnent explicitement la jurisprudence regardant des motifs affectifs comme pouvant constituer, dans des circonstances exceptionnelles, l'intérêt légitime au changement de nom requis par le premier alinéa de l'article 61 du code civil. Les premiers juges ont d'ailleurs analysé la demande comme se prévalant de tels motifs. Toutefois, le jugement attaqué ne répond aux moyens articulés à l'encontre de la décision litigieuse que sur les seuls terrains du relèvement d'un nom illustre ou d'un nom menacé d'extinction. M. C... est, dès lors, fondé à soutenir que le jugement est irrégulier pour n'avoir pas répondu à un moyen de droit pourtant explicitement exposé dans les écritures du demandeur.
3. Il y a donc lieu d'annuler le jugement attaqué et, l'affaire étant en état, de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation.
Sur la légalité de la décision litigieuse :
4. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret. ".
En ce qui concerne la motivation de la décision :
5. Aux termes de l'article 6 du décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom : " Le refus de changement de nom est motivé. "
6. Le requérant soutient que la décision litigieuse ne caractérise pas précisément le défaut d'intérêt légitime de sa demande au sens des dispositions de l'article 61 du code civil.
7. La décision litigieuse, après avoir rappelé le principe selon lequel, en application de l'article 61 du code civil, il ne peut être dérogé au principe de dévolution et d'immutabilité du nom de famille qu'en vertu d'un intérêt légitime, expose que : " votre désir d'adjoindre à votre patronyme le nom " N... ", porté par votre grand-père paternel biologique au motif qu'il est mort pour la France et que vous souhaiteriez éviter l'extinction de son nom n'est pas recevable. En effet l'adoption de votre père par Monsieur G... C... ayant rompu la filiation qui le relie à sa famille par le sang, vous ne seriez être autorisé à reprendre par la procédure de changement de nom, les attributs de cette filiation. ".
8. La motivation ainsi exposée, pour contestable qu'elle soit au fond, comme il sera évoqué aux points 9 à 12 du présent arrêt, comporte cependant l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et permet ainsi à son destinataire de saisir, à sa simple lecture, les raisons pour lesquelles l'administration a rejeté sa demande. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit donc être écarté comme manquant en fait.
En ce qui concerne l'erreur de droit :
9. Le requérant soutient que la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit, dès lors que le garde des sceaux, ministre de la justice, a regardé sa demande comme irrecevable au motif qu'elle aurait pour conséquence de reconstituer une filiation par le sang désormais rompue, son père ayant fait l'objet d'une légitimation adoptive, alors qu'en réalité ce dernier n'a fait l'objet que d'une adoption simple.
10. La procédure de changement de nom instituée par l'article 61 du code civil est en principe applicable sans qu'y fassent obstacle d'autres dispositions du même code relatives à la filiation, pourvu que le demandeur justifie d'un intérêt légitime. La circonstance qu'un ascendant du demandeur a fait l'objet d'une adoption ne saurait dès lors, par elle-même, faire obstacle à l'exercice du droit reconnu par l'article 61 précité du code civil à toute personne justifiant d'un intérêt légitime à demander à changer de nom, y compris pour reprendre le nom porté par cet ascendant à sa naissance. Par suite, lorsque le nom revendiqué est celui d'un parent biologique qui n'a pas été transmis par l'effet d'une adoption, et quelle que soit la nature de cette dernière, il appartient en tout état de cause au ministre de la justice de se prononcer sur la demande de changement de nom en tenant compte de l'intérêt légitime invoqué, sans qu'il puisse opposer au demandeur une quelconque " irrecevabilité " au motif que l'adoption ainsi survenue a rompu les liens de la filiation par le sang.
11. En l'espèce, le garde des sceaux, ministre de la justice s'est exclusivement fondé, dans les termes mêmes de sa décision tels que reproduits au point 7, sur le caractère irrecevable de la demande de M. K... C... à raison de l'adoption de son père, F... N..., par M. G... C.... Le ministre s'est ainsi cru tenu d'appliquer une règle en réalité inexistante, et a dès lors commis une erreur de droit.
12. M. K... C... est donc fondé à soutenir que la décision litigieuse est entachée d'illégalité sur ce point.
13. Dès lors que la Cour doit examiner les autres moyens articulés par M. C... à l'encontre de la décision attaquée, et tirés, respectivement, de ce qu'il justifie de motifs légitimes en raison tant d'un motif affectif reposant sur des circonstances exceptionnelles que du caractère illustre du nom revendiqué, et que ce nom est menacé d'extinction, il sera, en tout état de cause, satisfait à la demande de substitution de motifs présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice, lequel fait valoir qu'il aurait pris la même décision de rejet de la demande de M. C... s'il s'était fondé initialement à la fois sur l'absence de justification du caractère illustre et de risque d'extinction du nom N....
En ce qui concerne le motif d'ordre affectif :
14. Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
15. En l'espèce, il résulte des pièces du dossier, d'une part, que le grand-père du requérant, M. G... N..., a appartenu aux Forces françaises de l'intérieur et a été tué par la division " Das Reich " le 30 juin 1944 à Gigouzac, et a été reconnu Mort pour la France à ce titre. Il a alors laissé orphelins quatre fils, nés en 1935, 1940, 1941 et 1942, dont la mère, son épouse, est décédée en janvier 1945. Les quatre enfants ont alors été séparés et confiés à des familles différentes, l'un auprès d'un oncle, les trois autres auprès de familles tierces qui les ont adoptés. Le père du requérant, F... (né en 1941), a ainsi été adopté en 1946 par les époux C... ; toutefois, M. G... C... a abandonné son épouse et l'enfant au cours de l'année 1954 et a été condamné pour abandon de famille en 1958 et Mme C... a obtenu l'année suivante le bénéfice du divorce aux torts exclusifs de son époux. M. F... C... a lui-même, après le décès de Mme C... à laquelle il était très attaché, entamé des démarches pour reprendre le nom de " N... ", tant en raison de son attachement à sa famille d'origine qu'eu égard à la défaillance de M. C.... L'ensemble de ces faits constitue des circonstances exceptionnelles qui fondent un motif d'ordre affectif de nature à caractériser l'intérêt légitime requis par le premier alinéa de l'article 61 du code civil.
16. Dès lors, M. K... C... est fondé à soutenir que sa demande remplit, quant à l'existence d'un intérêt légitime, les conditions posées par le premier alinéa de l'article 61 du code civil.
En ce qui concerne le caractère illustre du nom revendiqué :
17. M. K... C... soutient qu'il justifie d'un intérêt légitime à relever le nom de son grand-père paternel biologique, Robert N..., qui revêt un caractère suffisamment illustre dès lors que ce dernier est " Mort pour la France ", tombé le 30 juin 1944 alors qu'il combattait l'occupant allemand dans les rangs des Forces françaises de l'intérieur.
18. D'une part, la reprise d'un nom patronymique en raison de son illustration peut être demandée au titre de l'intérêt légitime mentionné au premier alinéa de l'article 61 du code civil. Si ce nom doit avoir été porté dans la famille du demandeur par des personnes qui ont contribué à lui conférer une illustration certaine et durable, pour la mise en œuvre de ce principe, l'illustration d'un nom ne saurait se réduire à sa renommée ou à sa notoriété, mais suppose un éclat particulier.
19. D'autre part, en vertu du neuvième alinéa (4°) de l'article L. 511-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, la mention " Mort pour la France " est apposée sur l'acte de décès " d'une personne décédée en combattant pour la libération de la France ou en accomplissant des actes de résistance ". La qualité de " Mort pour la France " au sens de ces dispositions législatives, par l'action éclatante qui fonde sa reconnaissance, suffit à conférer au nom du décédé une illustration certaine et durable sur le plan national.
20. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier et de ce qui a été rappelé au point 15 que le grand-père paternel biologique du requérant est " Mort pour la France " au sens des dispositions évoquées au point précédent. Il s'ensuit que M. K... C... est fondé à soutenir qu'il justifie ainsi de l'intérêt légitime, prévu à l'article 61 du code civil, à relever son nom.
S'agissant du risque d'extinction du nom revendiqué :
21. Le relèvement d'un nom, ou d'une partie d'un nom, afin d'éviter son extinction ne saurait s'appliquer à un nom d'usage mais suppose qu'il soit établi que le nom en cause a été légalement porté, ou qu'il pouvait l'être, par un ascendant de celui qui demande à changer de nom, ou par un collatéral, jusqu'au quatrième degré inclus. Le nom, ainsi choisi dans cette limite, peut être porté, ou avoir été porté, par tout ascendant ou collatéral du demandeur, vivant ou décédé, dès lors que cet ascendant ou ce collatéral est séparé du demandeur par, au plus, quatre degrés de parenté, mais le demandeur peut tout aussi bien décider de fixer son choix, à un degré moindre de parenté, sur le nom d'un ascendant aux premier, deuxième ou troisième degré (celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le nom, de ses grands-parents ou de ses arrière-grands-parents), ou d'un collatéral aux deuxième ou troisième degré (tel qu'une sœur, un demi-frère ou une demi-sœur, ou un enfant qui en est issu).
22. L'extinction d'un nom doit notamment être regardée comme établie lorsque le nom en cause n'a pu être transmis, ou risque manifestement de ne plus l'être, dans aucune autre branche collatérale de l'ascendant ou du collatéral dont le relèvement du nom est sollicité. La démonstration de cette menace d'extinction s'établit généralement et avec la plus grande plausibilité, mais sans que ce mode de preuve revête un caractère exclusif, au vu des éléments de généalogie afférents au degré de parenté immédiatement supérieur à celui du titulaire du nom revendiqué et des lignes collatérales qui en sont éventuellement issues. La menace d'extinction s'apprécie, en outre, à la date de la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice décide ou non de faire droit à la demande dont il est saisi, au regard des éléments dont il dispose.
23. Par ailleurs, l'exigence que le nom revendiqué ait été légalement porté par un ascendant du demandeur doit être regardée comme satisfaite lorsque ce nom a été porté par un ascendant biologique antérieurement à son adoption, si cette dernière a entrainé une modification de son nom et ce, que cette adoption emporte les effets d'une adoption simple ou d'une adoption plénière.
24. En application des principes ci-dessus rappelés, lorsque le demandeur sollicite le relèvement du nom porté par l'un de ses grands-parents (deuxième degré), y compris ses grands-parents biologiques dans le cas où l'un de ses parents a été adopté et a alors changé de nom, il y a lieu, pour établir que ce nom est menacé d'extinction, de s'assurer qu'il n'est plus porté ou n'est plus manifestement susceptible d'être transmis à quiconque, outre par les grands-parents biologiques du demandeur eux-mêmes, au travers des oncles et tantes du demandeur, mais également dans les branches de la famille issues de son arrière-grand père biologique, (troisième degré), c'est à dire par un grand-oncle ou une grand-tante du demandeur et leurs éventuels descendants.
25. Il est constant, en tout état de cause, que le père du requérant, F... N..., a fait l'objet d'une adoption simple par les époux C.... En effet, les dispositions alors en vigueur du code civil, issues de l'article 101 du décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française, opéraient alors une distinction, au sein du titre huitième du livre Ier de ce code, intitulé " De l'adoption et de la légitimation adoptive ", entre " l'adoption ", régie par le chapitre Ier dudit titre comportant les articles 343 à 367, et " la légitimation adoptive " régie par le chapitre II dudit titre comportant les articles 368 à 370. L'article 350 du code civil disposait que : " L'adoption confère le nom de l'adoptant à l'adopté (...). / Si l'adopté est mineur de 16 ans (...) l'adoption confirme purement et simplement le nom de l'adoptant (...) ". Le premier alinéa de l'article 351 du même code disposait que : " L'adopté reste dans sa famille naturelle et y conserve tous ses droits ". L'article 352 du même code disposait que : " Nonobstant les dispositions de l'alinéa premier de l'article précédent, le tribunal, en homologuant l'acte d'adoption, peut à la demande de l'adoptant et s'il s'agit d'un mineur de vingt et un ans, décider après enquête que l'adopté cessera d'appartenir à sa famille naturelle (...) ". Or, d'une part, il résulte clairement du jugement du 27 juin 1946 du tribunal civil de la Seine produit au dossier, et notamment de son dispositif qui se limite à décider que : " il y a lieu à adoption " et que : " en conséquence et conformément à l'article trois cent cinquante du code civil, que le nom de famille des adoptants sera conféré à l'adopté de telle sorte que celui-ci s'appellera désormais " N... au lieu de C... ", que F... C... a ainsi fait l'objet, non d'une légitimation adoptive, mais d'une adoption, et qu'il n'a pas cessé d'appartenir à sa famille naturelle. D'autre part, les effets de cette adoption doivent être regardés comme étant désormais ceux d'une adoption simple, conformément à l'article 13 de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption qui dispose que : " L'adoption antérieurement prononcée emporte, à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, les mêmes effets que l'adoption simple. /Toutefois, si le tribunal avait décidé, conformément à l'ancien article 354 du code civil, que l'adopté cesserait d'appartenir à sa famille d'origine, les dispositions du deuxième alinéa dudit article 354 demeureront applicables. En outre, dans ce cas, le tribunal pourra, à la requête de l'adoptant, si l'adopté avait moins de quinze ans lors du prononcé de l'adoption, décider que celle-ci emportera les effets de l'adoption plénière. /En tout état de cause, le nom et les prénoms conférés à l'adopté en application de l'ancien article 360 du code civil lui demeureront acquis. ".
26. Il s'ensuit que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 61 du code civil sont applicables à la demande de M. K... C..., fils de M. F... C..., né sous le nom N..., en tant qu'il demande à relever un nom porté par un ascendant dans la famille naturelle de son père et ce, nonobstant l'adoption de ce dernier prononcée par le jugement susmentionné du 27 juin 1946.
27. Il résulte des pièces du dossier que, de l'arrière-grand-père biologique du requérant, Léon N... (1862-1946), sont issus deux fils : Georges (grand-oncle du requérant), 1898-1976, n'a eu, de ses deux mariages, qu'un fils D..., né en 1931 et adopté sous le nom de H... en 1944, et Robert (grand-père du requérant), 1900-1944, qui a eu cinq enfants de deux de ses trois mariages. Du premier mariage de Robert N... est issu Jacques (1921-2010), lequel eu une fille O..., née en 1959, et qui n'a pas de descendance de son mariage avec M. I.... De son troisième mariage avec Marie-Pulchérie Antérieur (1909-1945) sont issus, outre F..., père du requérant, d'une part, Monique, née et morte en 1932, et, d'autre part, Claude, né en 1935, oncle du requérant, sans enfants issus de ses deux mariages, puis D... (1940-2012), oncle du requérant, adopté sous le nom de J... en 1944 et qui a eu une fille M..., née J... et, enfin, Guy, oncle du requérant (1942-2000), adopté sous le nom de P... en 1947 et qui a eu de ses deux mariages successifs cinq enfants, E... (né en 1966), Jane (née en 1970), Sandy (née en 1979), Anthony (née en 1983) et Loana (née en 1990) auxquels il a transmis le seul nom de P.... De F..., père du requérant, né en 1941, sont issus, outre le requérant, son frère David (né en 1971) et sa soeur Karine (née 1976) qui portent le nom de C.... Le nom de N..., qui n'est manifestement plus susceptible d'être transmis à quiconque dans la famille issue de l'arrière-grand-père biologique paternel du requérant, doit ainsi être regardé comme menacé d'extinction au sens et pour l'application du deuxième alinéa du code civil.
28. Dès lors, M. K... C... est fondé à soutenir que sa demande remplit les conditions posées par le deuxième alinéa de l'article 61 du code civil.
29. Il résulte de tout ce qui précède que M. K... C... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom celui de " C... N... ". Ses conclusions d'appel qui tendent à l'annulation dudit jugement et de cette décision doivent donc être accueillies.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
30. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
31. En l'espèce, les motifs du présent arrêt impliquent nécessairement que M. K... C..., agissant également au nom de ses deux enfants mineurs A..., F... et B..., L..., soit autorisé, dans les conditions prévues par l'article 61 du code civil, à substituer à son nom celui de " C... N... ". Il y a donc lieu d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre un projet de décret autorisant ce changement de nom dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par le requérant.
Sur les frais du litige :
32. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État (ministère de la justice) le versement à M. K... C... Q... la somme d'un euro qu'il réclame sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1909005 du 1er octobre 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La décision du 27 février 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de M. K... C..., tendant à adjoindre à son nom celui de " N... " afin de s'appeler désormais " C... N... " est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre un projet de décret autorisant M. K... C... et ses enfants mineurs A..., F... et B..., L..., à adjoindre à leur nom celui de " N... " afin de s'appeler désormais " C... N... ", dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État (ministère de la justice) versera à M. C... la somme d'un euro (1 €) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. K... C... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, premier vice-président,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 décembre 2021.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA03672