CAA de NANCY, 4ème chambre, 07/12/2021, 19NC03163, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision07 décembre 2021
Num19NC03163
JuridictionNancy
Formation4ème chambre
PresidentMme GHISU-DEPARIS
RapporteurMme Sophie ROUSSAUX
CommissaireM. MICHEL
AvocatsNIANGO

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de Strasbourg d'annuler la décision du ministre des armées du 1er avril 2016 rejetant sa demande de pension militaire d'invalidité et de condamner celui-ci à lui verser une pension militaire d'invalidité.


Par un jugement n°16/00006 du 2 septembre 2019, le tribunal des pensions militaires de Strasbourg a annulé cette décision du 1er avril 2016, a enjoint à la ministre des armées d'accorder une pension militaire d'invalidité à M. B... pour l'infirmité " traumatisme sonore oreille droite " au taux de 10 % à compter du 4 juin 2014 et a condamné l'Etat aux dépens.





Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 4 novembre 2019, 21 janvier 2021 et 14 juin 2021, la ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires de Strasbourg du 2 septembre 2019 en tant que celui-ci a annulé sa décision du 1er avril 2016 et a accordé une pension militaire d'invalidité à M. B... à compter du 4 juin 2014 ;

2°) de rejeter la demande de M. B....

Elle soutient que :
- la motivation du jugement est défaillante car le tribunal se borne à reprendre in-extenso la conclusion équivoque de l'expert judiciaire pour accorder à M. B... une pension militaire d'invalidité pour une infirmité intitulée " traumatisme sonore oreille droite ", sans démontrer la filiation médicale entre l'infirmité invoquée et le fait de service du 17 mai 1997 ;
- l'infirmité de M. B... n'est pas imputable au service : aucune filiation médicale n'est établie entre son infirmité et le fait de service du 17 mai 1997 :
. c'est à tort que l'expert judiciaire a déterminé un taux d'invalidité global de 10 % pour une infirmité associant acouphènes et hypoacousie dont la répartition n'est pas définie alors qu'elles doivent faire l'objet d'une évaluation séparée selon le guide barème des invalidités ;
. en ce qui concerne l'infirmité l'hypoacousie bilatérale, la preuve d'imputabilité au service n'est pas établie, laquelle relève au surplus un taux nul non indemnisable au regard de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
. en ce qui concerne l'infirmité " acouphènes bilatéraux ", elle n'est pas imputable à l'accident de service du 17 mai 1997 à Sarajevo car il y a absence d'imputabilité par preuve ou par présomption, en application des articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.


Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 novembre 2020 et 12 avril 2021, M. B..., représenté par Me Niango, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la ministre des armées ;

2°) de confirmer le jugement du tribunal des pensions militaires de Strasbourg ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :
- les articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ne sont pas applicables au litige car ils ont été abrogés par l'ordonnance n° 2015-1781 du 28 décembre 2015 et que la décision litigieuse est du 1er avril 2016 ;
- son infirmité résulte d'une blessure survenue au cours d'une mission opérationnelle le 17 mai 1997 à Sarajevo.

Par une ordonnance du 14 juin 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 9 juillet 2021.


Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle de Nancy en date du 11 mars 2020, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
-et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... né le 12 octobre 1963 s'est engagé dans l'armée de l'air le 1er octobre 1982. Il a été radié de l'armée active en août 2016. Par une demande du 4 juin 2014, il a sollicité une pension militaire d'invalidité pour une hypoacousie et des acouphènes qu'il attribue à un traumatisme sonore survenu le 17 mai 1997 à Sarajevo. Un refus lui a été opposé par la ministre des armées le 1er avril 2016. Il a alors saisi le tribunal des pensions militaires de Strasbourg. Par un jugement avant-dire-droit du 18 juin 2018, le tribunal des pensions militaires de Strasbourg a ordonné une expertise médicale. Le rapport a été rendu le 31 août 2018. Par un jugement du 2 septembre 2019, le tribunal des pensions militaires de Strasbourg a annulé la décision de la ministre des armées du 1er avril 2016 et a accordé à M. B... une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " traumatisme sonore oreille droite " à un taux de 10 % et a condamné l'Etat aux dépens et aux frais de procès. La ministre des armées relève appel du jugement du 2 septembre 2019 du tribunal des pensions militaires de Strasbourg en tant que celui-ci a annulé sa décision du 1er avril 2016 et a accordé une pension militaire d'invalidité à M. B... à compter du 4 juin 2014.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. S'il appartient au juge administratif, saisi d'un litige en matière de pensions, de rechercher si des dispositions législatives ou réglementaires intervenues postérieurement au fait générateur à la date duquel les droits à pension de l'intéressé doivent être normalement appréciés sont susceptibles d'affecter ces droits, c'est à la condition que le législateur ait entendu leur donner une telle portée. En l'espèce, il ressort des termes de l'article 54 II de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, que le 1° de l'article L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction résultant de la présente loi, s'applique aux demandes de pensions se rapportant aux blessures imputables à un accident survenu après la publication de la présente loi. Par suite, les conclusions tendant à l'octroi d'une pension militaire de M. B... du 1er avril 2016 pour un fait intervenu le 17 mai 1997 doivent être appréciées au regard des dispositions des articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicables au litige.

3. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de guerre " Ouvrent droit à pension :1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ;3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ;4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition :1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ;2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ;3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée (...) ". Aux termes de l'article 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 % (....) ".

4. Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.

5. M. B... rattache son hypoacousie et ses acouphènes à un traumatisme sonore qu'il a subi durant une opération de tir à Sarajevo alors qu'il occupait le poste d'instructeur de l'armement d'un véhicule d'intervention blindé. Le dysfonctionnement d'un canon l'a obligé à ouvrir la culasse du véhicule et cette opération a entrainé une percussion doublée d'un effet de flammes et de souffles aux deux extrémités de la bouche du canon. Malgré ses protections auditives, il a subi un traumatisme sonore aigu et a été transféré à l'hôpital militaire de Rajlovac. La ministre des armées a rejeté la demande de pension militaire d'invalidité de M. B... le 1er avril 2016 au motif de ce que " la preuve d'imputabilité n'est pas établie, en l'absence de constat médical contemporain et de suivi médical pour l'infirmité bourdonnements concernant l'accident du 17 mai 1997. La présomption d'imputabilité ne peut s'appliquer pour l'infirmité hypoacousie bilatérale évolutive depuis 1986, sans notion de traumatisme sonore, et n'ayant pas été constatée pendant une période ouvrant droit à ce bénéfice ".




En ce qui concerne l'infirmité relative à l'hypoacousie bilatérale :

6. M. B... produit un rapport circonstancié intitulé " origines des blessures " du capitaine Thion du 13 juillet 1997 qui fait état de l'opération de tir du 17 mai 1997 et de l'hospitalisation de M. B..., ainsi que le bulletin d'hospitalisation de son admission à l'hôpital de Rajlovac et qui précise qu'il ne doit pas être exposé à des bruits d'un niveau élevé pendant quatre semaines.

7. Il résulte cependant de l'instruction et notamment du rapport d'expertise médicale du 31 août 2018, qu'aucun examen audiométrique n'a été réalisé à la suite de l'accident de tir de 1997. Par ailleurs, une hypoacousie évolutive avait déjà été décelée chez M. B... depuis 1986 sans notion de traumatisme sonore associé. Le livret médical de M. B... produit par la ministre des armées montre que dans le cadre de la visite systématique annuelle, le chiffre 1 du SIGYCOP est indiqué pour la lettre O (audition ou oreilles) attestant d'une normalité en 1998 et 1999, au demeurant sans aucune autre mention. Ce n'est qu'à compter de la visite annuelle du 8 mars 2010 que son profil médical SIGYCOP a été modifié en ce qui concerne l'audition, soit près de 13 ans après les faits invoqués. Puis, en 2015, une surdité bilatérale de perception sur les fréquences aigües a été précisément identifiée avec une perte maximale d'environ 70 Db. Aussi, et alors qu'aucun des rapports ou certificats produits ne sont suffisamment circonstanciés quant à l'origine de la lésion, la filiation médicale entre l'accident survenu en 1997 et l'hypoacousie n'est pas établie. M. B... ne peut donc pas prétendre à une pension militaire d'invalidité pour cette infirmité.

8. Au surplus, il résulte du rapport de l'expert que le taux de perte d'audition (quantitatif) est nul. Par suite, selon le guide barème des invalidités, l'hypoacousie de M. B... n'atteint pas le taux de 10 % au regard des fréquences prises en compte, de sorte que l'intéressé ne saurait, en application des dispositions de l'article L. 4 du code précité, prétendre, en tout état de cause, à une pension militaire d'invalidité.

En ce qui concerne l'infirmité relative aux acouphènes :

9. Ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, il résulte du rapport circonstancié du 13 juillet 2017 et du rapport médical du 27 mai 1997 qu'à la suite de son accident de tir de 1997, M. B... a souffert de bourdonnements à l'oreille droite et qu'il lui a alors été prescrit un éloignement du bruit pendant quatre semaines. Toutefois, il résulte de l'instruction que ce n'est qu'à compter de 2013 que M. B... s'est plaint d'acouphènes permanents bilatéraux, majorés à droite et qui s'accentueraient, soit près de 16 ans après l'accident de tir de 1997. Le rapport d'expert judiciaire, qui mêle dans son appréciation l'hypoacousie et les bourdonnements, ne permet pas de connaître leur origine. La filiation médicale entre les acouphènes bilatéraux permanents dont souffre M. B... et l'accident de service du 17 mai 1997 n'est donc pas établie.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Strasbourg a annulé sa décision du 1er avril 2016 portant refus de pension militaire d'invalidité et a accordé une pension militaire d'invalidité à M. B.... Il y a en conséquence lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, d'annuler le jugement en tant que celui-ci a annulé sa décision du 1er avril 2016 et a accordé une pension militaire d'invalidité à M. B... à compter du 4 juin 2014 et de rejeter la demande de M. B... tendant au bénéfice de cette pension.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal des pensions militaires de Strasbourg du 2 septembre 2019 est annulé en tant qu'il a annulé la décision du 1er avril 2016 de la ministre des armées rejetant la demande de pension militaire d'invalidité de M. B... et a reconnu à compter du 4 juin 2014 à M. B... un droit à pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité intitulée " traumatisme sonore oreille droite " à un taux de 10 %.
Article 2 : La demande présentée par M. B... tendant au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité devant le tribunal des pensions militaires de Strasbourg et ses conclusions en appel présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. A... B....


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N°19NC03163