CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 07/12/2021, 19MA05724, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision07 décembre 2021
Num19MA05724
JuridictionMarseille
Formation4ème chambre
PresidentM. BADIE
RapporteurM. Michaël REVERT
CommissaireM. ANGENIOL

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille d'annuler la décision du 1er octobre 2018 par laquelle la ministre des armées lui a accordé une pension militaire d'invalidité au taux de 50 %, en tant que ne lui a pas été attribué le taux d'invalidité de 60 % au titre de l'infirmité dite " état de stress post-traumatique ", et en tant que n'ont pas été reconnus comme imputables au service l'infirmité dite de " syndrome dépressif " et l'aggravation de l'infirmité auditive.


Par un jugement n° 18/00153 du 1er août 2019, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille a annulé la décision ministérielle du 1er octobre 2018 en tant qu'elle refuse de réviser la pension militaire d'invalidité de M. B... pour aggravation de l'infirmité dite " hypoacousie bilatérale ", a fait droit à la demande de révision de pension militaire d'invalidité présentée par M. B... à ce titre, à compter du 30 septembre 2015, suivant le taux d'invalidité de 30 % imputable au barotraumatisme survenu en service en 1977, et a rejeté le surplus de sa demande.


Procédure devant la Cour :

La cour régionale des pensions militaires d'Aix-en-Provence a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, le recours présenté par la ministre des armées, enregistré à son greffe le 2 octobre 2019.

Par ce recours, la ministre des armées demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille du 1er août 2019 en ce qu'il a annulé sa décision du 1er octobre 2018 refusant de réviser la pension de M. B... et a fait droit à sa demande de révision de pension militaire d'invalidité présentée à ce titre, à compter du 30 septembre 2015, suivant le taux d'invalidité de 30 % ;

2°) de rejeter la demande de M. B....

La ministre soutient que :
-le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé et s'avère entaché d'erreur d'appréciation, dès lors qu'il est fondé sur un rapport médical à la suite duquel la précédente demande de révision avait été rejetée par décision du 6 novembre 2006, devenue définitive ;
- si les diminutions d'acuité auditive constatées par l'expert le 24 novembre 2017 correspondent à un taux d'invalidité de 30 % suivant le guide-barème des invalidités, elles ne peuvent être rattachées à un traumatisme sonore aigu survenu le 30 août 1977, mais à une cause étrangère, alors que le militaire est rayé des contrôles depuis le 10 mars 1996 et n'est plus exposé aux traumatismes depuis cette date et que les surdités sono-traumatiques sont réputées définitives six mois après le traumatisme, ainsi que l'a observé le médecin en chef qui ne s'est pas borné à considérer l'âge du requérant ;
- ces éléments d'appréciation d'ordre médical ont été confirmés par le décret relatif aux maladies professionnelles, créant le tableau n°42, expressément visé par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre depuis la loi n°2018-607 du 13 juillet 2018.



Par une ordonnance du 3 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au
24 septembre 2021, à 12 heures.



Vu :
- les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n°2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n°2003-924 du 25 septembre 2003 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :


1. M. B..., caporal-chef de la Légion étrangère, rayé des contrôles depuis le 10 mars 1996, a demandé le 30 septembre 2015 la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité dite " hypoacousie bilatérale ". Par décision du 1er octobre 2018, la ministre des armées a refusé de faire droit à cette demande. Par jugement du 1er août 2019, dont la ministre des armées relève régulièrement appel, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille a annulé cette décision et jugé que M. B... avait droit à la révision de sa pension militaire d'invalidité pour cette infirmité, à compter du 30 septembre 2015, suivant le taux de 30 %.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ne ressort pas des écritures présentées par la ministre des armées devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, ni des visas du jugement querellé relatifs aux observations orales de son représentant lors de l'audience, que son argumentation en défense reposait sur l'autorité attachée à sa décision du 6 novembre 2006 rejetant une précédente demande de révision de pension de M. B.... Par suite, en n'écartant pas une telle argumentation pour faire droit à la demande de révision, les premiers juges n'ont pas entaché leur décision d'insuffisance de motivation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Il résulte de l'ensemble des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, et notamment de celles de l'article L. 28, alors en vigueur, et des articles suivants, qui prévoient la révision des pensions lorsque l'infirmité vient à s'aggraver, ainsi que de celles de l'article L. 6, qui conduisent à apprécier les taux d'invalidité, non à la date à laquelle la blessure a été reçue ou la maladie contractée, mais à celle, qui peut être largement postérieure, du dépôt de la demande, que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé. Ainsi l'aggravation de l'infirmité initiale, si elle est seulement due au vieillissement, peut justifier une révision du taux de la pension. En revanche, si le vieillissement cause une nouvelle infirmité, distincte de l'infirmité pensionnée, qui contribue à l'aggravation de celle-ci, ces dispositions font obstacle à cette révision, dès lors que l'aggravation est due à une cause étrangère à l'infirmité pensionnée.

4. Il résulte de l'instruction que pour accorder à M. B..., par décision du
17 mars 1996, un droit à pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale ", suivant un taux de 10 %, le ministre de la défense avait considéré cette infirmité comme imputable à un barotraumatisme causé par un accident de service survenu le 30 août 1977 au cours du service militaire de l'intéressé, lors d'un essai d'étanchéité de char. Il résulte du rapport d'expertise médicale, établi le 4 décembre 2017 par un médecin otorhinolaryngologiste, dans le cadre de l'instruction de la demande de révision présentée par
M. B..., que la perte auditive s'était nettement aggravée par rapport au dernier examen pratiqué par le même spécialiste le 7 avril 2006 au titre d'une précédente demande de révision et concluant alors déjà à une perte auditive bilatérale dont l'origine barotraumatique était admise. L'expert médical, qui le 7 avril 2006 préconisait pour la baisse d'audition un taux d'invalidité de 10 %, pour la perte de sélectivité un taux de 10 % et pour les acouphènes un taux de 10%, propose le 4 décembre 2017 un degré d'invalidité pour l'aggravation nette de l'audition de 30 %, sans constater de perte supplémentaire de sélectivité.
5. Si, en premier lieu, la ministre des armées conteste le jugement qu'elle attaque en affirmant que l'autorité attachée à sa décision du 6 novembre 2006 rejetant de manière définitive la demande de révision de pension présentée par M. B... au titre de l'aggravation de cette infirmité, faisait obstacle à ce que les premiers juges se fondent sur le rapport d'expertise établi pour l'examen de cette demande, il ressort des motifs mêmes de cette décision de refus que la demande avait été alors rejetée, non pas pour défaut d'imputabilité de l'aggravation constatée, comme l'a considéré la ministre dans sa décision en litige, mais en raison d'un degré d'invalidité correspondant, inférieur au taux de 10 % susceptible d'ouvrir droit à pension. Ainsi, la circonstance que M. B... n'a pas contesté le rejet de sa précédente demande de révision de pension pour aggravation de son hypoacousie bilatérale ne lui interdisait pas de présenter une nouvelle demande de révision au même titre, ni n'interdisait aux premiers juges, en tout état de cause, de rapprocher les éléments d'appréciation médicale recueillis par l'administration pour les besoins de l'instruction de ces deux demandes, afin de se prononcer tant sur l'imputabilité au service de l'aggravation que sur l'importance de celle-ci.


6. En deuxième lieu, compte tenu des examens médicaux pratiqués le
4 décembre 2017 sur M. B... par le médecin expert, dont les conclusions d'aggravation et d'imputabilité de la baisse auditive bilatérale sont utilement éclairées par son précédent rapport du 7 avril 2006, la seule référence faite par la ministre des armées dans ses écritures, sans produire d'ailleurs de documentation en ce sens, aux connaissances médicales générales selon lesquelles l'aggravation d'une surdité plusieurs années après la fin du service du militaire, sans nouvelle exposition à des lésions sonores, ne peut être prise en compte, ne saurait suffire à établir, dans le cas de M. B..., l'existence d'une cause étrangère au service, à l'origine de l'aggravation de son infirmité. Afin de prétendre que cette cause résiderait dans une presbyacousie, liée au vieillissement, la ministre des armées, qui se borne à s'appuyer sur l'avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité du 14 juin 2018 et sur l'avis de la commission consultative médicale du 9 août 2018, tous deux rendus à partir de l'examen du seul dossier de l'intimé, et suivant lesdites connaissances médicales générales, ne produit aucune pièce médicale, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, et ne critique pas efficacement leur jugement dans cette mesure.



7. En dernier lieu, et pour les motifs énoncés au point précédent, la ministre des armées ne peut valablement se prévaloir des indications contenues au tableau n° 42 des maladies professionnelles, issu du décret du 25 septembre 2003 révisant et complétant les tableaux des maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale, suivant lesquelles " aucune aggravation de cette surdité professionnelle ne peut être prise en compte sauf cas de nouvelle exposition au bruit lésionnel ", alors que, en tout état de cause, le code des pensions militaires d'invalidité ne renvoie expressément aux maladies professionnelles, depuis la loi du 13 juillet 2018 de programmation militaire, que pour instituer une catégorie supplémentaire d'infirmités susceptibles d'être présumées imputables au service.


8. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille a fait droit à la demande de révision de pension de M. B... pour aggravation de l'infirmité dite " hypoacousie bilatérale ". Son recours doit donc être rejeté.














DECIDE :

Article 1er : Le recours de la ministre des armées est rejeté.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. B....
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2021, où siégeaient :

- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- Mme Renault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2021.
N° 19MA057244