CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 03/02/2022, 19BX04453, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision03 février 2022
Num19BX04453
JuridictionBordeaux
Formation2ème chambre
PresidentMme GIRAULT
RapporteurMme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
CommissaireMme GALLIER
AvocatsSCP TANDONNET - LIPSOS LAFAURIE

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux d'annuler la décision du 9 mars 2015 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à la révision de la pension qui lui a été concédée par un arrêté du 21 mai 2012 et servie au taux
de 60 %.

Par un jugement n°18/46 du 20 septembre 2018, le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté la requête.

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 novembre 2018 et 1er août et
17 septembre 2019, M. B..., représenté par Me Tandonnet, a demandé à la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'ordonner avant-dire droit une nouvelle expertise médicale ;

3°) d'annuler la décision du 9 mars 2015 du ministre de la défense ;

4°) d'enjoindre à la ministre des armées de lui accorder une pension militaire d'invalidité à compter du 11 juillet 2016.

Il soutient que :
- l'aggravation du sifflement de l'oreille gauche a été constatée depuis 2010, et sa cause n'est pas définie ; une expertise doit être ordonnée ;
- une expertise doit aussi être ordonnée s'agissant de son hypoacousie bilatérale, caractérisée par une perte auditive s'accompagnant d'une perte de sélectivité, afin de déterminer si elle a pour origine le traumatisme sonore du 16 septembre 1970 ; l'expert n'a pas pris connaissance de l'ensemble des éléments médicaux relatifs à cette hypoacousie bilatérale de perception ; il convient aussi de déterminer si ses acouphènes sont en relation avec cette hypoacousie ;
- s'agissant de l'hypoacousie de l'oreille gauche, l'expert n'a procédé à aucun examen auditif ;
- les données médicales de l'expert sur l'absence d'aggravation d'une infirmité auditive d'origine sonotraumatique sont obsolètes, ainsi que cela résulte des éléments médicaux qu'il produit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2019, la ministre des armées a conclu au rejet de la requête.

Elle soutient qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise.

Par un arrêt n°18/00006 du 15 octobre 2019, la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux a ordonné avant dire droit une expertise médicale portant sur la réalité d'une aggravation des sifflements de l'oreille gauche, l'existence d'une hypoacousie de l'oreille gauche, l'existence d'une hypoacousie bilatérale et l'existence d'acouphènes, en évaluant le cas échéant le taux d'invalidité en résultant et en précisant si ces infirmités sont imputables à l'accidence de service survenu le 16 septembre 1970.

L'expert désigné par la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux a remis son rapport le 16 juin 2020.

Procédure devant la cour :

Par un acte de transmission des dossiers, en application des dispositions du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Bordeaux a été saisie de la requête de M. B..., enregistrée sous le n° 19BX04453.

Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2021, M. B..., représenté par Me Tandonnet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires de Bordeaux
du 20 septembre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 9 mars 2015 du ministre de la défense.

Il soutient que suite au dépôt du rapport d'expertise, il s'en remet à la justice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :
- les conclusions de l'expert confirment l'analyse des premiers juges ;
- le requérant ne conteste pas les conclusions de l'expert dans ses dernières écritures.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 22 août 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., adjudant-chef dans l'armée de terre, a été radié des contrôles
le 10 mars 1990. Il est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive concédée au taux de 60 % par un arrêté du 21 mai 2012 pour plusieurs infirmités, notamment des sifflements de l'oreille gauche ayant pour origine un traumatisme sonore survenu lors d'un exercice de tir
le 16 septembre 1970 et pour lesquels un taux d'invalidité de 10 % a été reconnu. Il a sollicité,
le 8 octobre 2013, la révision de sa pension, d'une part, pour aggravation des sifflements de l'oreille gauche, d'autre part, pour deux infirmités nouvelles, une hypoacousie bilatérale et une hypoacousie de l'oreille gauche. Par une décision du 9 mars 2015, le ministre de la défense a rejeté sa demande aux motifs que les sifflements de l'oreille gauche ne s'étaient pas aggravés, que l'hypoacousie bilatérale n'était pas imputable au service et que l'hypoacousie de l'oreille gauche n'entraînait aucune gêne fonctionnelle. Le tribunal des pensions militaires de Bordeaux, après avoir ordonné une expertise médicale, a, par un jugement du 20 septembre 2018, rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de cette décision. M. B... a relevé appel de ce jugement. Par un arrêt du 15 octobre 2019, la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux a ordonné avant dire droit une nouvelle expertise médicale, dont le rapport a été déposé
le 16 juin 2020.

2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa version applicable au litige : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ". L'article L. 3 du même code alors en vigueur dispose : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; (...) / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) / Un dossier médical doit être constitué pour chaque recrue lors de son examen par le conseil de révision et lors de son incorporation dans les conditions déterminées par décret ". Aux termes de l'article L. 4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. Il est concédé une pension : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ;
40 % en cas d'infirmités multiples (...) ". Aux termes de l'article L. 29 du même code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. Cette demande est recevable sans condition de délai. La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le degré d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 % au moins du pourcentage antérieur. Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ". Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service.

3. Il résulte des dispositions des articles L. 2 et L. 3 précités du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans leur rédaction applicable au litige, que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.

4. Il résulte de l'expertise ordonnée avant dire-droit par la cour régionale des pensions de Bordeaux que les sifflements de l'oreille gauche de M. B... ne se sont pas aggravés dans une mesure telle que le degré d'invalidité résultant de cette infirmité serait supérieur de 10 % au taux de 10 % antérieurement reconnu, que l'hypoacousie de l'oreille gauche et l'hypoacousie bilatérale présentées par l'intéressé, soit une perte auditive de 25 décibels pour chaque oreille, correspondent à un taux d'invalidité de 0 %, et que des acouphènes droits entraînent une invalidité inférieure à 10 %. L'expert, après avoir expliqué que la littérature scientifique récente montre que l'exposition au bruit durant la vie active peut accélérer l'acquisition de la presbyacousie en raison d'une dégénérescence des structures anatomiques auditives pouvant se poursuivre plusieurs années après l'arrêt de l'exposition au bruit, indique que l'analyse des courbes auditives de M. B..., âgé de 70 ans à la date de l'expertise, ne révèle aucune différence évolutive entre l'oreille gauche et l'oreille droite, et que l'audition de l'intéressé correspond à celle de 90 % de la population masculine du même âge non exposée au bruit. L'expert en déduit que cette hypoacousie ne trouve son origine ni dans le traumatisme sonore sur l'oreille gauche subi à 22 ans lors de l'accident de service du 16 septembre 1970, ni dans l'exposition de l'intéressé au bruit durant sa carrière militaire, et en conclut qu'elle est en rapport avec le vieillissement physiologique de l'audition. Enfin, selon l'expert, les sifflements d'oreille étant un effet fréquent de la presbyacousie, l'apparition des acouphènes droits est en lien avec l'évolution naturelle de la presbyacousie bilatérale de M. B.... Il résulte ainsi de cette expertise, dont les conclusions ne sont pas discutées par le requérant, d'une part, que l'aggravation de l'infirmité tenant aux acouphènes gauches ne lui ouvre pas droit à une révision de sa pension en vertu de l'article L. 29 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, d'autre part que les infirmités nouvelles invoquées, dont le degré d'invalidité est inférieur au minimum indemnisable, ne sont en outre pas imputables au service au sens des articles L.2 et L.3 du même code.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Bordeaux a rejeté sa demande.

6. M. B... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale de pensions de Bordeaux, liquidés et taxés à la somme
de 1 199,96 euros par ordonnance de la présidente de la cour du 6 juillet 2020, doivent être mis à la charge définitive de l'État.


DÉCIDE :








Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour régionale des pensions de Bordeaux, liquidés et taxés à la somme de 1 199,96 euros par ordonnance de la présidente de la cour
du 6 juillet 2020, sont mis définitivement à la charge de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre des armées. Une copie en sera adressée à M. C..., expert.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2
N° 19BX04453