Conseil d'État, 9ème chambre, 17/02/2022, 436733, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler, d'une part, son titre de pension en tant qu'il fixe à 34,98 % son taux global d'invalidité et à 21 % le taux de la rente viagère d'invalidité dont elle bénéficie, d'autre part, la décision du 9 mai 2017 par laquelle le directeur de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) a refusé de réviser ces taux.
Par un jugement n° 1704063 du 10 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a annulé le titre de pension litigieux en tant qu'il fixait les taux critiqués et enjoint à la Caisse des dépôts et consignations, gérant la CNRACL, de fixer à 40 % le taux global d'invalidité de Mme D... et à 22 % le taux de sa rente viagère d'invalidité, puis rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 décembre 2019, 16 mars 2020 et 15 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à sa névrose à composante dépressive ;
2°) de mettre à la charge de la CNRACL la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de Mme D... et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme D..., adjointe administrative de 2ème classe exerçant ses fonctions auprès de la commune de Lyon, a subi quatre accidents de service les 24 avril 1996, 21 avril 2008, 4 septembre 2009 et 24 janvier 2011. Le 24 mars 2015, la commission de réforme du département du Rhône a constaté l'inaptitude absolue et définitive de Mme D... à exercer toutes fonctions à raison de diverses infirmités imputables au service. Par un arrêté du 5 juillet 2016, Mme D... a été radiée des cadres et admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er juillet 2016. Sa pension a été liquidée avec effet au 1er juillet 2016 par un titre de pension concédé par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) et confirmé par une décision du 9 mai 2017 du directeur de cette caisse, qui a fixé à 34,98 % son taux global d'invalidité et à 21 % le taux de sa rente viagère d'invalidité. Par un jugement du 10 juillet 2019, le tribunal administratif de Lyon a partiellement annulé ce titre de pension et cette décision, a fixé les taux précités à 40% et 22% et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme D.... Celle-ci demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à ce que le taux pris en compte pour la rente viagère d'invalidité, à raison de son infirmité consistant en une névrose à composante dépressive, soit porté de 5 % à 20 %.
2. Aux termes de l'article 36 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Le fonctionnaire qui a été mis dans l'impossibilité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées, soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public (...) peut être mis à la retraite par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...). " Aux termes de l'article 37 de ce décret, les fonctionnaires qui ont été mis à la retraite dans les conditions prévues à l'article 36 " bénéficient d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services prévus à l'article précédent. Le bénéfice de cette rente viagère d'invalidité est attribuable si la radiation des cadres ou le décès en activité (...) sont imputables à des blessures ou des maladies survenues dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de l'exercice des fonctions, ou résultant de l'une des autres circonstances énumérées à l'article 36 ci-dessus. " Enfin, aux termes de l'article 31 du même décret : " Une commission de réforme est constituée dans chaque département pour apprécier la réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, les conséquences et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions. / (...) "
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le rapport d'expertise établi par le docteur G... le 23 avril 2012, soit un peu plus d'un an après l'accident de service survenu le 24 janvier 2011, mentionne une absence d'antécédents psychiatriques. Dans son complément d'expertise, le docteur H... précise que, sur le plan psychiatrique, Mme D... n'avait jamais été prise en charge auparavant. Dans son avis médical du 12 novembre 2014, soumis à la commission de réforme, le docteur B... indique, d'une part, que la requérante a contracté en service une névrose à composante dépressive le 24 janvier 2011 et, d'autre part, que l'intégralité du taux de 20 % relatif à cette infirmité est imputable au service. Dans son procès-verbal du 24 mars 2015, la commission de réforme a confirmé l'entière imputabilité au service de cette infirmité et confirmé ce taux. Enfin, dans son avis médical du 4 mars 2014, le docteur A... fait état de l'apparition d'une névrose à composante dépressive à compter du 24 janvier 2011 au taux de 20 % imputable au service. Son rapport médical précise que la pathologie dont souffre Mme D... résulte de la décompensation d'une vulnérabilité psychologique suite à une relation conflictuelle avec un supérieur hiérarchique.
4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus que l'ensemble des avis rendus par les experts consultés, qui ont été soumis à la commission départementale de réforme, s'accordent sur le fait que la névrose à composante dépressive dont Mme D... est atteinte est intégralement imputable au service et entraine un taux d'invalidité de 20 %. Par suite, en se fondant, pour rejeter la demande de l'intéressée, sur la seule circonstance que le docteur A... s'est dédit dans un document intitulé complément d'expertise médical du 20 mai 2016, en indiquant que le taux de 20 % devrait être ramené à 5 % au motif que Mme D... n'apportait aucun élément de justification suffisant à l'appui de sa demande, le tribunal a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a limité à 5 % le taux d'invalidité de l'infirmité mentionnée aux points précédents, dont il a déduit que le taux de sa rente viagère d'invalidité devait être fixé à 22 %.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il résulte de ce qui a été exposé au point 4 ci-dessus que Mme D... est fondée à soutenir que la sixième infirmité imputable au service dont elle est affectée entraine un taux d'invalidé de 20 %, de sorte que le taux de sa rente viagère d'invalidité doit être porté à 37 %.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations, gérant la CNRACL, le versement à Mme D... d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 10 juillet 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il limite à 22 % le taux de la rente viagère d'invalidité dont bénéfice Mme D....
Article 2 : Le taux de la rente viagère d'invalidité accordée à Mme D... est porté à 37 %.
Article 3 : La Caisse des dépôts et consignations versera à Mme D... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C... D... et à la Caisse des dépôts et consignations.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 février 2022 où siégeaient : M. Frédéric Aladjidi, président de chambre, présidant ; M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 17 février 2022.
Le président:
Signé : M. Frédéric Aladjidi
Le rapporteur
Signé : M. Olivier Guiard
La secrétaire:
Signé : Mme E... F...