CAA de NANTES, 6ème chambre, 15/03/2022, 20NT02192, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... Roquinarc'h Veuve C... et M. B... C..., ayants- droit de M. A... C..., décédé en cours d'instance, ont demandé au tribunal administratif de Rennes l'annulation de la décision du 15 janvier 2016 par laquelle le ministre des armées a rejeté leur demande tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 1905526 du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juillet 2020 et 8 mars 2021, Mme D... C... et M. B... C..., représentés par Me Quinquis, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 juin 2020 ;
2°) d'annuler cette décision du 15 janvier 2016 du ministre des armées ;
3°) de dire que la pension militaire d'invalidité à laquelle M. C... pouvait prétendre, du fait d'une infirmité imputable au service, doit être versée à ses ayants-droit au titre de l'action successorale à compter du 6 octobre 2014, date de sa demande, jusqu'au 12 juillet 2017, date du décès de l'intéressé ;
4°) subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale permettant de dire, d'une part, s'il existe un lien de causalité entre la pathologie diagnostiquée et l'exposition à l'amiante de M. C... au sein de la marine nationale et, d'autre part, si cette pathologie est exclusivement liée à la consommation de tabac ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement aux ayants-droit de M. C... d'une somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'articles L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la pathologie dont M. C... était atteint doit être reconnu imputable au service en application des dispositions de l'article L. 2 du code des pensions en vigueur à la date de sa demande ; il a servi sur des navires renfermant des matériaux à base d'amiante notamment sous forme de calorifugeage et a été exposé au risque d'inhalation de poussières ;
- si le lien avec le service doit être certain, il n'est pas nécessaire qu'il soit unique ;
- sa demande de pension est justifiée.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés le 10 février et 19 mars 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme D... C... et M. B... C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet ;
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., né le 19 septembre 1956, a servi dans la marine nationale du 25 octobre 1973 au 1er mai 1991. Par une demande présentée le 6 octobre 2014, il a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour un " adénome carcinome broncho-pulmonaire primitif métastasique " qu'il rattache à l'exposition aux poussières d'amiante qu'il estime avoir subie durant son service embarqué au sein du ministère de la défense. Après expertise médicale et avis de la commission consultative médicale (CCM) du 3 décembre 2015 et de la commission de réforme des pensions militaires d'invalidité (CRPMI) du 14 janvier 2016, le ministre de la défense a, par une décision du 15 janvier 2016, rejeté sa demande aux motifs que " l'infirmité invoquée résulte d'une affection d'origine étrangère au service dont l'évolution est indépendante de celui-ci et qui n'a pas été aggravée par celui-ci ".
2. M. C... qui avait saisi, le 12 juillet 2016, le tribunal militaire des pensions de Rennes de la légalité de la décision ministérielle du 15 janvier 2016 est décédé le 12 juillet 2017. Mme D... C..., son épouse, ainsi que son fils majeur, M. B... C..., ont repris l'instance. Par l'effet de la loi susvisée du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, le litige a été transféré au tribunal administratif de Rennes qui a rejeté leurs demandes par un jugement du 22 juin 2020. Mme C... et M. B... C... relèvent appel de ce jugement.
Sur la légalité de la décision ministérielle du 15 janvier 2016 :
3. Aux termes du 2° de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en vigueur à la date de la demande présentée par M. A... C..., ouvrent droit à pension les infirmités résultant de " maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ". L'article L. 3 de ce code alors en vigueur institue une présomption d'imputabilité, qui bénéficie à l'intéressé à condition que la maladie ait été constatée après le 90ème jour de service effectif et avant le 60ème jour suivant le retour du militaire dans ses foyers et que soit établie médicalement la filiation entre la maladie et l'infirmité invoquée. Aux termes du 2° de l'article L. 43, la veuve d'un militaire a droit à pension si la mort de ce dernier a été causée par des maladies contractées ou aggravées par le fait ou à l'occasion du service, dans les conditions définies aux articles L. 2 et L. 3.
4. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2 et L. 3 que, lorsque le demandeur d'une pension ne peut, comme en l'espèce du fait que l'affection invoquée n'a pas été constatée par un document émanant de l'autorité militaire dans les délais prescrits rappelés au point précédent, bénéficier de la présomption légale d'imputabilité et que, par ailleurs, cette imputabilité n'est pas admise par l'administration, il lui incombe d'apporter la preuve de l'imputabilité de l'affection au service par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges. Il peut, à cet égard, faire état de son exposition à un environnement ou à des substances toxiques, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle-ci est susceptible de provoquer. S'il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui a affecté le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité, si l'administration n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie.
5. Il résulte de l'instruction que, sur les navires de la marine nationale construits jusqu'à la fin des années quatre-vingt, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord. Ces matériaux d'amiante ont tendance à se déliter du fait des contraintes physiques imposées à ces matériels, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin. En conséquence, les marins servant sur les bâtiments de la marine nationale, qui ont vécu et travaillé dans un espace souvent confiné, sont susceptibles d'avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante. En l'espèce, M. C... a indiqué dans sa demande de pension militaire d'invalidité avoir séjourné sur une couchette juste sous des tuyaux calorifugés et porté des vêtements comportant une feuille d'amiante.
6. Il est exact, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, que le directeur du personnel militaire de la marine, a, dans une attestation du 27 novembre 2014, indiqué que " M. C... a été affecté ou mis pour emploi, au cours de sa carrière, dans des formations renfermant des matériaux à base d'amiante, notamment sous forme de calorifugeages, et qu'il a donc été exposé aux risques présentés par l'inhalation de poussières d'amiante pendant une durée cumulée de dix ans et quatre mois ".
7. Cependant, il n'est pas contesté, d'une part, que l'intéressé a, pendant cette durée d'activité, servi uniquement dans la marine nationale dans la spécialité de bosco, en charge de la mise en œuvre et de l'entretien de la drome (embarcations rapides), des apparaux utiles pour la manœuvre (ancres, aussières, gréement et matériel de ravitaillement à la mer), ainsi que du matériel de survie (radeaux gonflables, brassières, bouées, marqueurs...) du bâtiment. Il a également eu la responsabilité de la voilerie, dénomination directement héritée de la marine à voile, c'est à dire du couchage des marins (matelas, draps, couverture...). Il n'a donc pas, au titre des fonctions qui lui étaient confiées, été amené à travailler directement sur des pièces en amiante ou recouvertes d'un calorifugeage et les requérants n'apportent pas plus en appel qu'en première instance d'élément permettant d'établir qu'il aurait été directement exposé aux poussières d'amiante dans les tâches qu'il a pu accomplir ou lors de travaux sur des équipements contenant de l'amiante au titre des missions qu'il aurait accomplies à titre complémentaire sur ces bâtiments. D'autre part, l'expert, pneumologue, sur la base de l'anamnèse et des déclarations de M. C... comme des signes cliniques constatés, a indiqué, sur le plan professionnel, l'existence " d'une exposition asbestosique certaine et prolongée au sein de la marine nationale, pendant environ 19 ans ", ce qui ne correspond pas cependant à la durée effective de service embarqué de l'intéressé d'environ dix ans établie par l'attestation précitée du directeur du personnel militaire de la marine. Il est constant, par ailleurs, que ce même expert n'a relevé aucune lésion asbestosique sur les bilans radiographiques et qu'aucune analyse cytologique ou biopsie n'a non plus permis de mettre en évidence la présence de corps asbestosiques dans l'organisme de M. C.... Enfin, l'expert a relevé l'existence d'un tabagisme actif chez M. C..., l'intéressé ayant été un fumeur important à hauteur d'un paquet de cigarettes par jour pendant 25 à 30 ans jusqu'en 2011 selon l'expert, ou en 2014 selon le compte-rendu d'hospitalisation d'août 2014 produit au dossier. Le certificat médical établi le 5 mai 2017 par un médecin pneumologue qui constate que M. C... est atteint d'un adénocarcinome primitif du poumon gauche de stade 4, certificat que les requérants invoquent et dont ils tirent la conséquence que seule l'exposition à l'amiante serait la cause de la pathologie de l'intéressé, ne permet pas de remettre en cause ces différents constats. Ce certificat est sommaire et comporte d'ailleurs la même erreur que le précédent sur la durée effective de service dans l'armée de M. C.... Dans ces conditions, la preuve d'une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte M. C... soit en rapport avec son activité professionnelle en qualité de marin n'est pas rapportée.
8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que Mme C... et M. B... C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de la décision du 15 janvier 2016 du ministre des armées rejetant la demande de M. A... C... tendant à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, les sommes que demandent les requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... et de M. B... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... Roquinarc'h, veuve C..., et à M. B... C..., ayants-droit de M. A... C..., et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 25 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2022.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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