CAA de NANTES, 6ème chambre, 15/03/2022, 20NT02718, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 24 avril 2017 de la ministre des armées rejetant sa demande de pension militaire d'invalidité pour les cervicalgies et la discarthrose cervicale dont il souffre, au taux de 20 %, et pour les séquelles de la fracture du gros orteil droit qu'il conserve, au taux de 10 %.
Par un jugement du 21 janvier 2020, le tribunal administratif d'Orléans a prescrit avant dire droit une mesure d'instruction tendant à ce que la ministre des armées justifie de la compétence de l'auteur de la décision du 24 avril 2017.
Par un jugement n° 1903894 du 30 juin 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er septembre 2020, M. C..., représenté par Me Derec, demande à la cour :
1°) d'annuler ces deux jugements du tribunal administratif d'Orléans des 21 janvier et 30 juin 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 24 avril 2017 ;
3°) le cas échéant, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale ;
4°) de dire et juger qu'il a droit à une pension militaire d'invalidité au titre des cervicalgies et de la discarthrose cervicale dont il souffre, au taux de 20 %, et au titre des séquelles de la fracture du gros orteil droit qu'il conserve, au taux de 10 % ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Il soutient que :
- le tribunal ne peut se fonder sur une décision du 23 juillet 2007 rejetant une précédente demande de pension militaire d'invalidité, qui n'a pas été opposée par l'administration, et qui n'a pas été versée aux débats, ni soumise au contradictoire et dont le contenu n'est pas précisé ; elle n'a pas pu prendre en compte l'évolution de ses infirmités de sorte que la décision de 2017 ne peut être regardée comme purement confirmative de celle de 2007 ;
- la décision contestée a été prise par une autorité incompétente, la décision du 23 novembre 2016 étant trop générale ;
- les cervicalgies dont il souffre ne résultent pas d'une maladie mais de l'accident survenu le 13 mai 2002 et sont imputables au service ; à tout le moins, elles ont été contractées à cette occasion ou constituent une maladie associée à des infirmités résultant de blessures au sens du 2° de l'article L. 121-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- étant stationné à Djibouti en opérations extérieures lors de la blessure initiale, et le taux d'invalidité résultant de cette maladie étant de 20 %, un droit à pension lui serait de toute façon ouvert au titre de l'exception prévue par le 3° de l'article L. 121-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- les séquelles qu'il conserve au niveau du gros orteil droit, résultent d'un accident et non d'une maladie ; le tribunal ne pouvait se fonder sur une expertise de 2005 pour retenir le taux de 8 % alors que deux autres expertises plus récentes ont été réalisées.
Par des mémoires, enregistrés les 12 mars et 16 décembre 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a servi dans la Légion étrangère de 2001 à 2004. Le 8 janvier 2015, il a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au titre, d'une part, des cervicalgies à caractère chronique, discarthrose cervicale étagée de C4 à C7 qu'il rattache à l'accident de service dont il a été victime le 13 mai 2002 à Djibouti et, d'autre part, des séquelles fonctionnelles qu'il conserve à la suite d'une fracture de la deuxième phalange du gros orteil droit survenue le 22 octobre 2003 en Côte d'Ivoire dans le cadre d'un entraînement sportif. Sa demande a été rejetée par une décision du ministre de la défense du 24 avril 2017, aux motifs que la première infirmité entraînait un taux d'invalidité de 20 %, inférieur au minimum de 30 % ouvrant droit à pension pour les maladies contractées en temps de paix, et que la seconde infirmité entraînait un taux d'invalidité de 8 %, inférieur au seuil de 10 % requis pour l'ouverture du droit à pension au titre des accidents de service. M. C... relève appel du jugement du 21 janvier 2020, par lequel le tribunal administratif d'Orléans a prescrit, avant dire droit, une mesure d'instruction tendant à ce que la ministre des armées justifie de la compétence de l'auteur de la décision du 24 avril 2017. Il conteste également le jugement rendu le 30 juin 2020, par lequel le même tribunal a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 24 avril 2017 :
En ce qui concerne la compétence de l'auteur de la décision contestée :
2. L'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement prévoit que : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé et les chefs des services que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ; (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Les personnes mentionnées aux 1° et 3° de l'article 1er peuvent donner délégation pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles elles ont elles-mêmes reçu délégation : / Aux magistrats, aux fonctionnaires de catégorie A et aux agents contractuels chargés de fonctions d'un niveau équivalent, qui n'en disposent pas au titre de l'article 1er (...) ". La décision contestée a été signée, pour le ministre et par délégation, par l'administrateur civil hors classe, adjoint au sous-directeur des pensions. Ce dernier a, par une décision du 23 novembre 2016 de la directrice des ressources humaines du ministère de la défense qui a qualité de directrice d'administration centrale, reçu régulièrement subdélégation " dans la limite des attributions de la sous-direction ", ainsi que le prévoit l'article 3 du décret précité. Contrairement à ce que soutient le requérant, le signataire tenait de cette délégation, qui était suffisamment précise, compétence pour signer les décisions d'attribution ou de refus de pension militaire d'invalidité. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée doit être écarté comme manquant en fait.
En ce qui concerne le taux d'invalidité retenu au titre des deux infirmités :
3. Aux termes de l'article 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre alors en vigueur : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; / 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique (...) ". Aux termes de l'article L. 5 du même code : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 4, les pensionnés ou postulants à pension à raison d'infirmités résultant de blessures reçues ou de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service accompli : / (...) Soit (...) au cours d'opérations ouvrant droit au bénéfice de campagne double ou en captivité, ont droit à pension si l'invalidité constatée atteint le minimum de 10 % (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
S'agissant des cervicalgies :
5. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise établi le 20 novembre 2018 par le médecin désigné avant dire droit par le tribunal des pensions militaires d'invalidité d'Orléans, alors compétent, que M. C... a fait une chute dans les escaliers le 13 mai 2002 alors qu'il était en poste à Djibouti. Les radiographies ont révélé une entorse C6-C7 avec un doute sur une fracture C7, laquelle a été écartée par la suite. La décision contestée a rejeté la demande de pension militaire d'invalidité présentée par l'intéressé au titre de cette infirmité au motif qu'elle entraînait un taux d'invalidité de 20 %, inférieur au taux minimum de 30 % requis pour les maladies contractées en temps de paix. Le requérant soutient que les cervicalgies dont il souffre ne résultent pas d'une maladie mais de l'accident survenu le 13 mai 2002 ou qu'elles constituent, à tout le moins, une maladie associée à des infirmités résultant de cette blessure. Le dernier expert commis par le tribunal a rappelé les différentes expertises réalisées au titre de cette infirmité. Aucune d'entre elles n'a évalué le taux d'infirmité dont M. C... reste atteint au-delà de 20 %. Le requérant se prévaut toutefois des conclusions de cet expert judiciaire, pour soutenir qu'il ne s'agit pas d'une maladie ouvrant droit à une pension militaire d'invalidité lorsque le taux d'invalidité est d'au moins 30 % mais d'un accident, dont le seuil minimal requis pour l'attribution d'une pension est de 10 %. Compte tenu du taux de 20 % admis par la ministre, il pourrait dès lors prétendre à une pension militaire d'invalidité. Si l'expert affirme que les circonstances précises de l'accident ont été constatées au moment des faits par les médecins militaires, il résulte de l'instruction que la présence d'un pincement discal en C5-C6 et C6-C7 apparue lors des radiographies réalisées le 12 janvier 2007 n'avait jusqu'alors pas été constatée par les différents examens pratiqués à la suite de l'accident. En outre, dès 2002 un médecin avait précisé que l'inversion de courbure en C6-C7 qu'il présentait était d'origine " constitutionnelle " et non pathologique. Par ailleurs, le pincement, ou tassement discal, constitue l'une des manifestations de la discopathie dégénérative et ne peut, sauf preuve contraire, être rattaché à un accident. Compte tenu de ces éléments, le requérant n'établit pas que les pathologies diagnostiquées en 2007 présenteraient un lien direct et certain avec l'accident qu'il a subi dans le cadre de ses fonctions le 13 mai 2002. D'ailleurs, ainsi que le souligne la ministre des armées, ces nouvelles pathologies ne figurent pas sur le registre des constatations du corps et n'ont fait l'objet d'aucun rapport circonstancié de la part du commandement. Dans ces conditions, c'est à juste titre que la demande de pension militaire d'invalidité sollicitée par M. C... à raison de cette pathologie a été rejetée.
6. A titre subsidiaire, le requérant fait valoir qu'il était en opération extérieure à Djibouti lors de sa blessure initiale et invoque le bénéfice des dispositions de l'article L. 121-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Ces dispositions prévoient que : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 121-5, ont droit à pension, dès que l'invalidité constatée atteint le minimum de 10 %, les militaires dont les infirmités résultent de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service lorsque celui-ci est accompli (...) 3° En opérations extérieures (...) ". Ces dispositions n'étaient toutefois pas applicables à la date à laquelle M. C... a présenté sa demande. En outre, l'intéressé n'établit pas qu'il entrait dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 5 du même code alors en vigueur lorsqu'il était en mission de courte durée à Djibouti, entre le 19 janvier et le 26 mai 2002. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à contester la décision contestée en tant qu'elle concerne cette infirmité.
S'agissant des séquelles de la fracture de l'orteil droit :
7. Il résulte de l'instruction qu'à l'occasion d'un match de football, organisé le 22 octobre 2003 dans le cadre de la séance de sport quotidienne, M. C..., qui était alors en mission en Côte d'Ivoire, a reçu un coup sur le pied droit. Le lendemain, son pied a enflé et une fracture de la deuxième phalange du gros orteil droit a été diagnostiquée. S'agissant des séquelles d'un accident, le taux d'invalidité ouvrant droit à pension est de 10 % en vertu des dispositions précitées de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Dans son rapport du 20 novembre 2018, l'expert désigné par le tribunal des pensions militaires d'invalidité rappelle qu'un premier médecin avait évalué le taux d'invalidité de cette infirmité à 10 %, alors même que lors du premier examen la fracture n'était pas encore consolidée, et qu'un second médecin a quant à lui retenu un taux de 5 %. Pour sa part, l'expert judiciaire fixe un taux d'invalidité de 8 %, tout en précisant que M. C... conserve des séquelles fonctionnelles " minimes " avec une raideur du gros orteil droit. Si le requérant conteste ce taux, il n'apporte aucun autre élément médical à l'appui de ces conclusions, alors que ce taux résulte de la dernière expertise réalisée par un expert judiciaire dont l'impartialité n'est pas sérieusement remise en cause. Par suite, M. C... n'est pas fondé à contester la décision contestée en tant qu'elle concerne cette infirmité.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 24 avril 2017. Pour les mêmes motifs, ses conclusions tendant à ce que la cour lui reconnaisse un droit à pension au titre des cervicalgies et de la discarthrose cervicale dont il souffre au taux de 20 % et au titre des séquelles qu'il conserve de la fracture du gros orteil droit au taux de 10 %, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. C... A... la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 25 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mars 2022.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02718