CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 24/03/2022, 19BX04026, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal des pensions de Bordeaux d'annuler la décision du 27 juin 2018 de la ministre des armées portant refus de revalorisation de sa pension militaire d'invalidité calculée au taux du grade de major de l'armée de l'air sur la base de l'indice du grade équivalent pratiqué pour les personnels de la marine nationale et de lui accorder cette revalorisation.
Par un jugement n° 19/40 du 11 juillet 2019, le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 25 juillet et 21 septembre 2019, M. B..., représenté par Me Balestro, a demandé à la cour régionale des pensions militaires de Bordeaux :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de lui accorder une revalorisation indiciaire de sa pension militaire d'invalidité ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa demande de première instance était recevable ; il n'a jamais été informé par l'administration de l'existence d'un décalage entre l'indice de sa pension et l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale ; il a sollicité une revalorisation de sa pension dès qu'il en a eu connaissance et n'a ainsi pas agi tardivement ;
- l'administration ne saurait opposer une règle de recevabilité édictée par un décret du 20 février 1959, antérieur à la ratification de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en 1974, et qui a pour effet de le priver de son droit à faire constater par voie judiciaire une discrimination ; ce décret est contraire au principe de non-discrimination de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le décret du 5 septembre 1956, qui institue une discrimination injustifiée, est contraire à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il subit un préjudice financier à raison de cette discrimination.
Par un acte de transmission des dossiers, en application des dispositions du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif, la cour administrative d'appel de Bordeaux a été saisie de la requête de M. B..., enregistrée sous le n° 19BX04026.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- M. B... n'a pas exercé de recours contre l'arrêté de concession du 14 janvier 2008, notifié par courrier recommandé le 2 février 2008 ; en vertu de l'article 5 du décret du 20 février 1959, il disposait d'un délai de six mois à compter de cette notification pour exercer un recours contentieux ;
- seul l'intéressé est en possession du certificat original d'inscription de la pension au grand livre de la dette publique mentionnant les voies et délais de recours ;
- le recours contentieux de M. B... a été enregistré au-delà du délai raisonnable issu de la jurisprudence dite Czabaj ;
- la primauté des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne fait pas échec aux règles de recours contentieux fixées par le droit interne ; une règle de forclusion n'est pas incompatible avec le principe de non-discrimination prévu à l'article 14 de la convention ;
- la pension militaire d'invalidité de M. B... ayant été concédée antérieurement au décret n°2010-473 du 10 mai 2010, il ne peut bénéficier des dispositions de ce décret ;
- en tout état de cause, en vertu de l'article L. 151-3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, le titulaire d'une pension revalorisée ne peut prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux trois années antérieures.
Par une ordonnance du 26 mai 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 25 juin 2021.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 août 2019, confirmée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux le 19 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le décret n° 56-913 du 5 septembre 1956 ;
- le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Balestro, représentant M. A... B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., qui s'est engagé dans l'armée de l'air en 1975 et a été radié des contrôles le 8 décembre 2007, s'est vu concéder une pension militaire d'invalidité au taux de 30 %. Par un arrêté du 14 janvier 2008, la liquidation de cette pension a été révisée par référence au grade de major à compter du 8 décembre 2007. En 2017, il a sollicité la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité, calculée au taux du grade de major de l'armée de l'air, en fonction de l'indice du grade équivalent pratiqué pour les personnels de la marine nationale. Par une décision du 27 juin 2018, la ministre des armées a rejeté cette demande comme tardive. M. B... relève appel du jugement du 11 juillet 2019 par lequel le tribunal des pensions de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la revalorisation de sa pension.
2. Aux termes de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Les pensions militaires prévues par le présent code sont liquidées et concédées, sous réserve de la confirmation ou modification prévues à l'alinéa ci-après, par le ministre des anciens combattants et des victimes de guerre ou par les fonctionnaires qu'il délègue à cet effet (...). / Les concessions ainsi établies sont confirmées ou modifiées par un arrêté conjoint du ministre des anciens combattants et victimes de guerre et du ministre de l'économie et des finances. La concession ne devient définitive qu'après intervention dudit arrêté. (...) / Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables aux militaires et marins de carrière (...), pour lesquels la pension est liquidée (...) par le ministre d'Etat chargé de la défense nationale (...), la constatation de leurs droits incombant au ministre des anciens combattants et victimes de la guerre. Ces pensions sont concédées par arrêté signé du ministre de l'économie et des finances ". En vertu de l'article 5 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, dans sa rédaction alors en vigueur, l'intéressé dispose d'un délai de six mois pour contester, devant le tribunal des pensions, les décisions prises en vertu du premier ou du dernier alinéa de l'article L. 24 ainsi que la décision prise en vertu du deuxième alinéa du même article, sauf si celle-ci a simplement confirmé la décision primitive prise en vertu du premier alinéa. Ces dispositions, qui instaurent au demeurant un délai de recours contentieux supérieur à celui de droit commun, ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, le principe de non-discrimination garanti par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, aux termes de l'article L. 78 du même code : " Les pensions définitives ou temporaires attribuées au titre du présent code peuvent être révisées dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'une erreur matérielle de liquidation a été commise. / 2° Lorsque les énonciations des actes ou des pièces sur le vu desquels l'arrêté de concession a été rendu sont reconnues inexactes soit en ce qui concerne le grade, le décès ou le genre de mort, soit en ce qui concerne l'état des services, soit en ce qui concerne l'état civil ou la situation de famille, soit en ce qui concerne le droit au bénéfice d'un statut légal générateur de droits. / Dans tous les cas, la révision a lieu sans condition de délai (...) ".
3. Par ailleurs, le décret du 5 septembre 1956 relatif à la détermination des indices des pensions et accessoires de pensions alloués aux invalides au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre a fixé les indices de la pension d'invalidité afférents aux grades des sous-officiers de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la gendarmerie à un niveau inférieur aux indices attachés aux grades équivalents dans la marine nationale.
4. Le décalage défavorable entre l'indice de la pension servie à un ancien sous-officier de l'armée de terre, de l'armée de l'air ou de la gendarmerie et l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale, lequel ne résulte ni d'une erreur matérielle dans la liquidation de la pension, ni d'une inexactitude entachant les informations relatives à la personne du pensionné, notamment quant au grade qu'il détenait ou au statut générateur de droit auquel il pouvait légalement prétendre, ne figure pas au nombre des cas permettant la révision, sans condition de délai, d'une pension militaire d'invalidité sur le fondement de l'article L. 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre. La demande présentée par le titulaire d'une pension militaire d'invalidité, concédée à titre temporaire ou définitif sur la base du grade que l'intéressé détenait dans l'armée de terre, l'armée de l'air ou la gendarmerie, tendant à la revalorisation de cette pension en fonction de l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale, doit ainsi être formée dans le délai de six mois fixé par l'article 5 du décret du 20 février 1959. Ce délai de recours contentieux court à compter du jour où la décision primitive, prise en application du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, a été notifiée au pensionné dans les formes prévues à l'article L. 25 du même code ou, à défaut, à compter du jour où l'arrêté par lequel cette pension a été concédée à titre définitif, en application du deuxième alinéa du même article L. 24, a été régulièrement notifié à l'intéressé.
5. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 14 janvier 2008 portant liquidation de la pension de M. B... au grade de major de l'armée de l'air à compter du 8 décembre 2007 a été notifié à l'intéressé le 2 février suivant selon l'accusé de réception postal produit au dossier. Cet arrêté ne comporte pas la mention des voies et délais de recours.
6. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par les dispositions applicables, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. Ce principe ne méconnaît pas, par lui-même, les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
7. Ainsi qu'il a été dit, l'arrêté du 14 janvier 2008 a été notifié à M. B... le 3 février 2008. Cette décision fait clairement apparaître l'indice sur la base duquel la pension est désormais liquidée, et aucune obligation n'existait à la charge de l'administration d'indiquer spontanément le décalage défavorable entre l'indice de la pension servie à un ancien sous-officier de l'armée de terre, de l'armée de l'air ou de la gendarmerie et l'indice correspondant au grade équivalent au sein des personnels de la marine nationale. Par suite, et alors même que cette différence de traitement est contraire au principe d'égalité et au principe de non-discrimination prévu à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le recours de M. B... enregistré le 3 août 2018 devant le tribunal des pensions de Bordeaux, soit plus de 10 ans après l'arrêté en cause, en vue d'obtenir un nouveau calcul de cette pension en fonction de l'indice du grade équivalent, plus favorable, pratiqué pour les personnels de la marine nationale, a été présenté au-delà du délai raisonnable durant lequel ce recours pouvait être exercé.
8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions a rejeté sa demande comme irrecevable.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais d'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. A... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mars 2022.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04026