CAA de PARIS, 8ème chambre, 16/05/2022, 21PA02778, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 18 juillet 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour les infirmités " hypoacousie bilatérale " et " acouphènes intermittents ".
Par un jugement n° 2000099 du 15 décembre 2020, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Par une ordonnance du 7 mai 2021, enregistrée le jour même au greffe de la Cour, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a transmis à la Cour administrative d'appel de Paris la requête présentée par M. D....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 mars 2021 au Conseil d'Etat et attribuée à la Cour administrative d'appel de Paris par une ordonnance n° 450981 du président de la section du contentieux du Conseil d'État du 7 mai 2021 et un mémoire enregistré le 14 janvier 2022, M. D..., représenté par Me Bouchet, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000099 du 15 décembre 2020 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 18 juillet 2019 ;
3°) de lui attribuer un droit à pension après lui avoir reconnu un taux d'invalidité de 10 % et de prendre en charge les frais annexes d'appareillage dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) en tant que de besoin, d'ordonner une expertise médicale aux fins de décrire l'apparition et l'évolution de ses troubles auditifs ainsi que l'imputabilité de ses troubles aux conditions d'exercice de ses fonctions et de chiffrer le taux de la perte auditive et de la sélectivité au regard des barèmes appliqués en matière de pension militaire ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation, faute d'avoir répondu au moyen tiré de ce que le taux proposé par l'expert était de 10 % ;
- le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des pièces du dossier en ce qu'il a considéré qu'il n'était pas fondé à faire valoir que l'administration aurait, en appréciant son degré d'infirmité, entaché sa décision d'erreur d'appréciation ;
- les premiers juges ont écarté à tort comme inopérant le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 18 juillet 2019 rejetant sa demande de pension ;
- la décision du 18 juillet 2019 a été prise par une autorité incompétente ;
- son infirmité est rattachable à son activité exercée au sein de la Marine nationale, elle est constitutive d'une blessure et la présomption d'imputabilité au service doit être retenue.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er février 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le décret n° 93-126 du 28 janvier 1993 modifiant le décret n° 71-1129 du
3 décembre 1971 relatif au guide-barème des invalidités en matière de surdité pour l'attribution des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bouchet, avocat de M. D....
Une note en délibéré, présentée pour M. D..., a été enregistrée le 25 avril 2022.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., lieutenant de vaisseau dans la Marine nationale, a été rayé des contrôles le 31 mars 2012. Par une demande enregistrée le 14 novembre 2013, il a sollicité le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour les infirmités " hypoacousie bilatérale " et " acouphènes intermittents ". Sa demande a été rejetée par la ministre des armées par une décision du
25 janvier 2018, qu'elle a ensuite retirée et remplacée par une décision du 18 juillet 2019 au motif que le taux d'invalidité est inférieur au minimum indemnisable de 10 %. Par jugement n° 2000099 du 15 décembre 2020, dont M. D... relève appel, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre des armées du
18 juillet 2019.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort du point 4 du jugement attaqué que les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré que le taux d'invalidité qui devait être retenu était inférieur à 10 % au lieu de retenir le taux de 10 % proposé par l'expert. Par suite, le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement. Ainsi le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué pour ce motif ne peut qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des pièces du dossier en ce qu'il a considéré que M. D... n'était pas fondé à faire valoir que l'administration aurait, en appréciant son degré d'infirmité, entaché sa décision d'erreur d'appréciation n'est pas susceptible d'être utilement soulevé devant le juge d'appel mais seulement devant le juge de cassation. Par suite, le moyen, qui est inopérant, doit être écarté.
Sur la compétence du signataire de l'acte :
5. En vertu de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal Officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé et les chefs des services que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ; 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au deuxième alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé et les hauts fonctionnaires de défense ". En application de ces dispositions, le signataire de la décision attaquée, M. A... C..., sous-directeur des pensions du ministère des armées, était habilité à signer cette décision au nom de la ministre. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 18 juillet 2019, qui n'est pas un moyen inopérant, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, doit être écarté comme manquant en fait.
Sur le droit à pension de M. D... :
6. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en vigueur à la date de la demande de bénéfice de la pension : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ". Selon l'article L. 3 du même code, alors en vigueur : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code, alors en vigueur : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage ". Il résulte des dispositions combinées des articles L. 2, L. 3 et L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre que lorsque la présomption légale d'imputabilité ne peut être invoquée, l'intéressé doit apporter la preuve de l'existence d'une relation directe et certaine entre l'infirmité et un fait précis ou des circonstances particulières de service. Cette relation de causalité est requise aussi bien en cas d'infirmité trouvant sa cause exclusive dans le service qu'en cas d'aggravation par le service d'une infirmité préexistante ou concomitante au service et vaut pour toutes les affections y compris celles de nature psychologique. Enfin, l'existence d'une telle relation ne peut résulter de la seule circonstance que l'infirmité ou l'aggravation ait été révélée durant le service, ni d'une vraisemblance ou d'une hypothèse, ni des conditions générales du service.
7. M. D... soutient que l'origine professionnelle de son infirmité est établie et que le docteur F... a évalué à 10 % son taux d'invalidité relatif à son hypoacousie bilatérale dans son rapport d'expertise du 4 juin 2016.
8. Il résulte de l'instruction que M. D... a été examiné, le 20 mai 2016, par le docteur F..., médecin expert agréé auprès de l'administration, qui a relevé qu'il avait une audition normale au début de sa carrière et qu'il a été affecté deux ans et demi en tant que mécanicien naval sur un remorqueur côtier sans possibilité de port du casque en salle des machines. Il a constaté que le 18 juillet 1995, lors d'essais moteurs en mer, il a été exposé pendant 6 heures au bruit des machines sans possibilité de port d'un casque protecteur et qu'à l'issue de ces essais, il a ressenti des acouphènes à l'oreille gauche. Il a précisé que le médecin principal avait, alors, évoqué la présence d'une fatigue auditive ou d'un traumatisme sonore aigu tout en indiquant que l'audiométrie de M. D... était relativement stable mais avait préconisé qu'il n'aille désormais qu'exceptionnellement en local machine et avec un casque. Le docteur F... a ajouté que le conseil de santé du 20 mars 1997 avait confirmé la " présence d'une hypoacousie bilatérale de perception et type traumatisme sonore ". M. D... a ensuite été maintenu par dérogation dans sa spécialité de mécanicien naval et s'est plaint de difficultés progressives de compréhension de la parole plus importantes à partir de 2005 et il a été appareillé en 2012 au moment de sa fin de service. L'expert a indiqué que persistent des acouphènes épisodiques qui ne le gênent plus lorsqu'il porte ses aides auditives. L'examen audiométrique qu'il a réalisé a montré une perte auditive moyenne de 36,25 décibels à droite et de 32,5 décibels à gauche, portée à 35,75 décibels compte tenu de la prise en compte de la différence des seuils à gauche. Il a précisé que " l'audiométrie du 20 avril 1982 objective un déficit auditif bilatéral imputable aux traumatismes sonores répétés. Les courbes actuelles sont de même forme que celles de 1982, un peu plus basses de 10 à 15 décibels à droite, et d'environ 20 décibels à gauche ; l'audiométrie du 15 novembre 2015 étant intermédiaire (...), il y a donc bien une altération auditive consécutive à son exposition au bruit provenant essentiellement de sa première affectation " et a proposé de retenir un taux d'invalidité de 10 %.
9. S'agissant de l'infirmité " acouphènes intermittents ", il résulte de l'expertise non contredite par les pièces du dossier que les acouphènes dont souffre M. D... sont seulement épisodiques et ne sont gênants que lorsqu'il enlève ses prothèses auditives. Or, selon le guide-barème des invalidités, seuls les acouphènes permanents sont susceptibles d'ouvrir droit à pension militaire d'invalidité. Dans ces conditions, c'est à bon droit, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, que la ministre des armées a retenu un taux d'invalidité inférieur au seuil de 10 % au titre de cette infirmité, écartant ainsi un droit à pension sur ce fondement.
10. S'agissant de l'infirmité " hypoacousie bilatérale ", M. D... fait valoir que sa première baisse sérieuse d'audition est survenue le 9 novembre 1983 suite à son affectation à bord du remorqueur côtier " Lutteur " mais n'a pas donné lieu à une inscription sur le registre des constatations. Il résulte de l'instruction que l'expert a relevé, dans son rapport, qu'il avait une audition normale au début de sa carrière, qu'il a été affecté durant deux ans et demi en tant que mécanicien naval sur un remorqueur côtier sans possibilité de port du casque en salle des machines et qu'il a ensuite été classé O3 au SIGYCOP alors qu'il était auparavant O1. Par ailleurs, il résulte de son livret médical qu'à la date du 28 novembre 1983 a été mentionnée une " hypoacousie bilatérale de type neurosensoriel ; origine traumatique sonore probable (chasse ball-trap) O = 3 ". Il s'ensuit que l'altération de l'audition de M. D... au cours de sa première affectation ne peut être regardée comme ayant été provoquée par une blessure identifiable résultant d'une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service. Le requérant fait ensuite valoir qu'il a été exposé au bruit durant 6 heures consécutives en 1995. Il résulte du rapport circonstancié du 18 juillet 1995 que lors d'essais moteurs en mer, il a été exposé pendant 7 heures au bruit des machines sans possibilité de port d'un casque protecteur et qu'à l'issue de ces essais, il a ressenti des bourdonnements et des sifflements à l'oreille gauche. Le médecin des armées Cordat a relevé dans son certificat médical de constatation du 1er août 1995 une fatigue auditive ou un traumatisme sonore aigu après exposition prolongée au bruit, un acouphène gauche et un audiogramme relativement stable. Compte tenu de ces constatations et notamment de la circonstance qu'à la suite de cet incident du 18 juillet 1995, l'examen réalisé a révélé un audiogramme relativement stable, l'infirmité " hypoacousie bilatérale " pour laquelle M. D... sollicite le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité ne peut davantage être rattaché à ce fait de service. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que la présomption légale d'imputabilité ne peut être invoquée, les conditions n'étant pas remplies, et que cette infirmité n'a pas été provoquée par une blessure identifiable résultant d'une lésion soudaine consécutive à un fait précis du service, mais est liée aux conditions générales du service, il s'ensuit que la preuve de l'existence d'une relation directe et certaine entre l'infirmité et un fait précis ou des circonstances particulières de service n'est pas établie de sorte que la demande de M. D... tendant au bénéfice d'une pension militaire d'invalidité pour " hypoacousie bilatérale " ne peut qu'être rejetée.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 juillet 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour les infirmités " hypoacousie bilatérale " et " acouphènes intermittents ". Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2022.
La rapporteure,
A. B... Le président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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