CAA de NANCY, 4ème chambre, 18/05/2022, 19NC03206, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision18 mai 2022
Num19NC03206
JuridictionNancy
Formation4ème chambre
PresidentMme GHISU-DEPARIS
RapporteurMme Sophie ROUSSAUX
CommissaireM. MICHEL
AvocatsDE TIENDA JOUHET

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires de Metz d'annuler les décisions des 12 juillet 2016 et 21 octobre 2016 du ministre de la défense qui a refusé de lui accorder une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale " et a rejeté sa demande de révision pour l'infirmité " acouphènes permanents bilatéraux ".

Par un jugement n° 17/00004 du 13 juin 2019, le tribunal des pensions militaires de Metz a rejeté sa demande.


Procédure devant la cour :

La cour régionale des pensions de Metz a transmis à la cour administrative d'appel de Nancy, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, la requête présentée par M. A... enregistrée à son greffe le 19 juillet 2019.

Par des mémoires enregistrés les 24 novembre 2020, 15 janvier 2021, 2 mars 2021 et 10 mars 2022, M. A..., représenté par Me Tienda-Jouhet, puis par Me Uzan-Kauffmann, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires de Metz du 13 juin 2019 en tant qu'il a rejeté ses conclusions d'annulation dirigées contre la décision du 12 juillet 2016 ;

2°) d'annuler la décision du 12 juillet 2016 du ministre de la défense qui a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " hypoacousie bilatérale " sollicitée le 19 janvier 2016 ;

3°) de dire et juger qu'il a droit pour son infirmité " hypoacousie bilatérale de perception " imputable au service à un taux d'invalidité temporaire de 65 % pour la période du 19 janvier 2016 au 8 janvier 2018 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré, en vertu de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2013 du tribunal des pensions et à l'arrêt du 5 novembre 2014 de la cour régionale des pensions qu'il n'était plus recevable à former une demande au titre de l'infirmité " hypoacousie bilatérale " :
- sa demande de pension pour " hypoacousie bilatérale " est relative à une période différente et à des acuités différentes de sorte qu'il n'y a donc pas identité de cause ;
- une fois reconnue par arrêté de concession, l'imputabilité d'une infirmité ne peut plus être remise en cause : ni le jugement du 13 décembre 2007, ni celui du 13 juin 2013 confirmé par la cour régionale des pensions militaires de Metz le 5 novembre 2014, n'ont donc acquis autorité de la chose jugée sur cette question ;
- dans son arrêt du 5 novembre 2014, la cour d'appel a commis une erreur de droit sur le motif principal de son rejet : le jugement du 13 décembre 2007 ne concernait pas l'aggravation de "l'infirmité hypoacousie bilatérale en lien avec les faits de service de 1998 " mais concernait une demande de conversion de la pension militaire d'invalidité temporaire en pension militaire d'invalidité définitive et la seule question qui se posait devant le tribunal était celle du taux d'invalidité et non de son imputabilité ;
- l'infirmité " hypoacousie bilatérale " n'étant plus pensionnée à la date du 19 janvier 2016, sa demande devait être regardée comme une nouvelle demande régie par les articles L. 2 et L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et non par les dispositions de l'article L. 29 du même code ; sa demande enregistrée le 19 janvier 2016 devait en conséquence être examinée pour la période s'ouvrant à compter du 19 janvier 2016 ;
- l'arrêté ministériel du 22 décembre 2003 a reconnu définitivement imputable aux accidents de service de 1998 sa perte auditive (acouphènes et hypoacousie) ; la conversion, comme le renouvellement d'une pension temporaire, ne permettent pas de remettre en cause l'imputabilité des infirmités pensionnées ; il est juridiquement impossible de revenir sur le caractère imputable au service de l'affection en cause ;
- il y a bien aggravation progressive de son infirmité " hypoacousie bilatérale " depuis la survenance de ses accidents de service en 1998, laquelle est manifestement imputable à ceux-ci :
- il est établi que l'hypoacousie sono-traumatique évolue dans le temps ;
- le rapport médical du 1er septembre 2008 rattache incontestablement la perte auditive mesurée à 25 %, aux accidents de service de l'année 1998.


Par quatre mémoires en défense, enregistrés les 22 septembre 2020, 18 décembre 2020, 19 février 2021 et 9 mars 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. A....

Elle fait valoir que :
- le jugement du 13 juin 2013, qui a retenu que l'aggravation de l'acuité auditive constatée postérieurement au service relève d'une autre cause, a été confirmé par la cour régionale des pensions militaires dans son arrêt du 5 novembre 2014 ; le requérant ne peut donc contester l'autorité de la chose jugée attachée à ces décisions de justice ;
- M. A... n'est pas recevable à contester le " refus d'instruire la nouvelle demande d'aggravation " survenue postérieurement à la radiation des cadres et pour laquelle des décisions de justices ont déjà jugé le défaut d'imputabilité au service de l'aggravation de son infirmité " hypoacousie ";
- par arrêté du 22 décembre 2003, M. A... a uniquement bénéficié d'une pension militaire d'invalidité temporaire pour une période triennale allant du 14 décembre 1999 au 13 décembre 2002 pour une hypoacousie bilatérale pour perte de sélectivité au taux de 10 % en application de l'article L. 8 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; le caractère définitif invoqué par le requérant attaché à l'arrêté du 22 décembre 2003 ne peut résulter d'un taux d'invalidité relatif à la perte auditive de 0 % et d'une perte de sélectivité retenue temporairement qui n'a pas fait l'objet d'un renouvellement en l'absence de taux suffisant;
- l'expertise judiciaire réalisée le 10 octobre 2012 a précisé que l'hypoacousie bilatérale évaluée au taux de 25 % n'est pas imputable au fait de service survenu en 1998 ; la récente aggravation de l'hypoacousie bilatérale relève d'une autre cause que le fait initial de service survenu en 1998 et elle n'est donc pas imputable à celui-ci.


Par une ordonnance du 25 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 1er avril 2022 à 12h00.


La ministre des armées a présenté un mémoire enregistré le 8 avril 2022, soit après la clôture d'instruction. Ce mémoire n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.





Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né en 1951, a servi dans l'armée de terre et a été rayé des cadres le 31 mars 2001. Depuis un arrêté du 15 mars 2010, l'intéressé est titulaire d'une pension militaire d'invalidité définitive au taux global de 80 % pour trois infirmités résultant de blessures en service : " maculopathie post-contusive de l'œil gauche " au taux de 58,5 %, " acouphènes permanents bilatéraux " au taux de 20 % + 5 de correctif et " séquelles de fracture du poignet gauche, raideur articulaire " au taux de 10 % + 10 de correctif. Son affection " d'hypoacousie bilatérale " qui lui avait été concédée à titre temporaire, par un arrêté du 22 décembre 2003, à un taux de 10 % + 5 de correctif, du 14 décembre 1999 au 13 décembre 2002, ne fait plus l'objet d'une pension militaire d'invalidité. Par un arrêté du 27 juin 2005, l'administration a évalué l'infirmité n° 4073 d'"hypoacousie bilatérale " à un taux inférieur au minimum indemnisable et par un jugement du 13 décembre 2007, contre lequel aucun appel n'a été formé, le tribunal des pensions militaires a confirmé cette décision, le taux d'invalidité étant inférieur à 5 %. Le 21 janvier 2008, M. A... a présenté une nouvelle demande de pension pour cette infirmité qui n'était plus pensionnée. L'administration a rejeté cette demande par décision du 23 septembre 2010 au motif que l'affection n'était pas imputable au service, sa cause étant étrangère et que l'évolution de celle-ci était indépendante du service et n'avait pas été aggravée par lui. M. A... a alors contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires de Metz et un expert judiciaire a été nommé, lequel a estimé que l'aggravation de l'affection d'hypoacousie bilatérale évaluée au taux de 25 % n'était pas imputable au fait de service intervenu en 1998 et donc étrangère à la blessure en service. Par un jugement du 13 juin 2013, le tribunal a rejeté la demande de M. A..., lequel sera confirmé par un arrêt du 5 novembre 2014 de la cour régionale des pensions militaires de Metz. Cet arrêt est devenu définitif à la suite de la non admission du pourvoi en cassation par le Conseil d'Etat le 15 octobre 2015. Le 17 janvier 2016, M. A... a présenté une demande de révision de sa pension pour aggravation de l'infirmité n° 4076 " acouphènes permanents bilatéraux " et n° 4073 " hypoacousie bilatérale ". L'administration, par lettre du 12 juillet 2016, a décidé d'instruire la demande relative aux acouphènes mais a rejeté la demande de M. A... relative à l'hypoacousie au motif qu'une telle demande n'était pas recevable, cette infirmité ayant déjà fait l'objet d'une décision le 23 septembre 2010, contestée devant le tribunal des pensions, confirmée par un jugement du 13 juin 2013, lequel n'a pas été frappé d'appel par M. A... de sorte qu'aucune suite ne pouvait être donnée à sa demande. Par décision du 21 octobre 2016, le ministre a rejeté sa demande relative aux acouphènes, estimant qu'aucune aggravation de cette infirmité n'avait été constatée après expertise médicale réglementaire. M. A... a alors saisi le tribunal des pensions militaires de Metz d'une demande tendant à l'annulation des décisions des 12 juillet 2016 et du 21 octobre 2016. M. A... relève appel du jugement du 13 juin 2019 uniquement en tant que celui-ci a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision du 12 juillet 2016 au motif de leur irrecevabilité au regard de l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions de justice antérieures devenues définitives.

2. D'une part, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. L'autorité de la chose jugée implique ainsi la réunion d'une triple identité de parties, de cause et d'objet. D'autre part, l'autorité de la chose jugée s'attache tant à son dispositif qu'à ses motifs qui en constituent le soutien nécessaire.

3. Par un jugement du 13 juin 2013, dont l'appel devant l'arrêt de la cour régionale des pensions militaires de Metz a été rejeté par un arrêt du 5 novembre 2014 et le pourvoi contre cet arrêt non admis, le tribunal des pensions militaires de Metz a rejeté la demande de pension militaire pour l'infirmité " hypoacousie " au motif qu'elle n'était pas imputable au service et plus particulièrement qu'elle était sans lien avec la blessure reçue en service en 1998. Dès lors que la demande de M. A... du 17 janvier 2016 auprès du ministre portait sur la même affection qu'il impute à sa blessure de 1998, sur le même fondement juridique, l'autorité de la chose jugée attachées aux décisions de justice précitées pouvait être opposée aux conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 12 juillet 2016 portant refus de pension alors même que ce dernier invoquait une aggravation de sa pathologie et une période de pension distincte, sans incidence sur l'appréciation de l'imputabilité au service de ladite affection.

4. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal des pensions militaires de Metz a rejeté sa demande au motif de son irrecevabilité.

5. Les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- Mme Picque, première conseillère.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mai 2022.

Le rapporteur,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 19NC03206