CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 24/05/2022, 19BX04873, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision24 mai 2022
Num19BX04873
JuridictionBordeaux
Formation3ème chambre
PresidentM. ARTUS
RapporteurM. Manuel BOURGEOIS
CommissaireMme LE BRIS
AvocatsCABINET D'AVOCATS DURIMEL & BANGOU

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
Par trois requêtes distinctes, M. A... E... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté n° 18-439 du 31 août 2018 par lequel le préfet de la région Guadeloupe a retiré l'arrêté du 7 mai 2018 portant radiation des cadres à compter du 1er avril 2017, d'annuler l'arrêté n° 18-440 du 31 août 2018 par lequel le préfet de la région Guadeloupe l'a radié des cadres à compter du 1er avril 2017, d'annuler l'arrêté n° 18-474 du 3 octobre 2018 modifiant l'article 1er de l'arrêté n° 18-440 du 31 août 2018 en tant que cet arrêté indiquait qu'il avait le grade d'adjoint administratif principal de 2ème classe et était classé au 8ème échelon de ce grade, enfin de condamner l'Etat à lui verser trois sommes de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n°1801046-1801047-1801148 du 8 octobre 2019, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 décembre 2019 et un mémoire enregistré les 12 octobre 2020, M. E..., représenté par Me Durimel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 8 octobre 2019;
2°) d'annuler l'arrêté n° 18-439 du 31 août 2018 par lequel le préfet de la région Guadeloupe a retiré l'arrêté du 7 mai 2018 portant radiation des cadres à compter du 1er avril 2017, d'annuler l'arrêté ° 18-440 du 31 août 2018 par lequel le préfet de la région Guadeloupe l'a radié des cadres à compter du 1er avril 2017, d'annuler l'arrêté n° 18-474 du 3 octobre 2018 modifiant l'article 1er de l'arrêté n° 18-440 du 31 août 2018 en tant que cet arrêté indiquait qu'il avait le grade d'adjoint administratif de 2ème classe et était classé au 8ème échelon de ce grade ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé ces décisions ;

4°) d'enjoindre à l'administration de prendre un nouvel arrêté le rétablissant dans ses droits et comportant la mention du grade et de l'indice de majoration fixé par l'arrêté du 7 mai 2018, dans les plus brefs délais à compter de la notification de la décision à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- La qualité de l'auteur des écritures présentées en défense n'est pas établie ;
- Il a lié le contentieux indemnitaire en cours d'instance ;
- Les arrêtés litigieux sont insuffisamment motivés ;
- Ces arrêtés ont été établis en méconnaissance du principe du contradictoire ainsi que des articles 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- La base indiciaire mentionnée sur ces arrêtés est erronée ;
- Sa situation n'ayant pas été régularisée, il se trouve privé de tout revenu.
Par un mémoire enregistré le 15 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 2008-836 du 22 août 2008 ;
- le décret n° 2016-589 du 11 mai 2016 ;
- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :
1. M. E..., agent de la préfecture de la Guadeloupe depuis le 1er avril 1997, a été placé en disponibilité pour convenances personnelles à compter du 1er janvier 2011, alors qu'il était rémunéré à l'échelle 4 et classé au 10ème échelon du grade d'adjoint administratif de 1ère classe de l'intérieur et de l'outre-mer. Le 22 mars 2016, il a sollicité sa réintégration. Toutefois, le 13 octobre 2016, le comité médical départemental a rendu un avis défavorable sur son aptitude à reprendre le service et a proposé sa mise à la retraite pour invalidité. Par un arrêté du 21 novembre 2016, M. E... a été maintenu en disponibilité du 1er juillet 2016 au 31 mars 2017. Il a sollicité le 1er mars 2018 sa mise en retraite pour invalidité et a été radié des cadres à compter du 1er avril 2017 par un arrêté du préfet de la Guadeloupe du 7 mai 2018. Cet arrêté a toutefois été retiré, pour erreur matérielle, par un arrêté n° 18-439 du 31 août 2018. Un nouvel arrêté préfectoral n° 18-440 du même jour l'a, à nouveau, radié des cadres à compter du 1er avril 2017 en précisant qu'il était classé à l'indice brut 389 (indice majoré 356). Enfin, cet arrêté a été modifié par un arrêté n° 18-474 du 3 octobre 2018, qui classe M. E... au grade d'adjoint administratif de 1ère classe, au 10ème échelon et aux indices brut 389 et majoré 356. M. E... relève appel du jugement du 8 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 31 août et 3 octobre 2018 et à ce l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice que lui ont causé ces arrêtés.

Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Lorsqu'un requérant a introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration et qu'il forme, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, cette décision lie le contentieux. La demande indemnitaire est recevable, que le requérant ait ou non présenté des conclusions additionnelles explicites contre cette décision, et alors même que le mémoire en défense de l'administration aurait opposé à titre principal l'irrecevabilité faute de décision préalable, cette dernière circonstance faisant seulement obstacle à ce que la décision liant le contentieux naisse de ce mémoire lui-même.
3. En l'occurrence, il résulte de l'instruction que, le 2 mai 2019, postérieurement à l'introduction de sa requête devant le tribunal administratif de la Guadeloupe, le conseil de l'appelant a adressé au préfet de la Guadeloupe, en recommandé avec accusé de réception, une réclamation en vue de la régularisation de sa demande contentieuse. Par suite, M. E... devant être regardé comme ayant lié le contentieux avant que le tribunal ne statue sur ses demandes indemnitaires, il est fondé à soutenir que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions aux mêmes fins.
4. Il y a lieu pour la cour, dans les circonstances de l'espèce, de statuer, par voie d'évocation, sur les conclusions indemnitaires présentées par M. E... et de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres conclusions qu'il a présentées devant le tribunal administratif de la Guadeloupe.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. En premier lieu, par une décision du 6 décembre 2017 portant délégation de signature et publiée au Journal officiel le 10 décembre suivant, délégation a été donnée à M. B... D..., chef du bureau du contentieux statutaire et de la protection juridique des fonctionnaires, à l'effet de signer, au nom du ministre de l'intérieur, notamment les recours et mémoires en défense devant les juridictions, à l'exception de ceux qui sont présentés devant le Tribunal des conflits et le Conseil d'Etat. Par suite, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que le signataire du mémoire en défense produit au nom du ministre de l'intérieur n'était pas compétent pour le signer ni, par voie de conséquence, que la cour ne doit pas tenir compte de ce mémoire.
6. En deuxième lieu, à l'appui des moyens tirés de ce que les arrêtés litigieux seraient insuffisamment motivés et qu'ils auraient été établis en méconnaissance de l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, désormais codifié à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, l'appelant ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas utilement la réponse apportée par le tribunal administratif. Par suite, il y a lieu de rejeter ces moyens par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges.
7. En troisième lieu, l'appelant ne peut utilement soutenir que les arrêtés litigieux ont été établis en méconnaissance du principe du contradictoire tel qu'il résulte des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que ces dispositions imposent seulement à l'administration de mettre la personne intéressée à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, orales avant l'intervention d'une décision défavorable au sens des dispositions de l'article L. 211-2 du même code alors que les arrêtés litigieux, retirant un arrêté entaché d'illégalité et portant radiation des cadres à la demande de l'intéressé, ne constituent pas des décisions défavorables au sens de ce dernier article.
8. En quatrième lieu, M. E... soutient que l'arrêté n°18-440 du 31 août 2018 indique à tort qu'il avait le grade d'adjoint administratif de 2ème classe classé au 8ème échelon de ce grade et indique également à tort que cet échelon correspond à l'indice brut 389 et à l'indice majoré 356.
9. Toutefois, cet arrêté a été modifié, dans le délai de quatre mois prévu à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, par l'arrêté n° 18-474 du 3 octobre 2018 lequel rectifie son grade et son échelon.
10. En outre, il ressort des dispositions du décret n° 2008-836 du 22 août 2008 dans sa version issue du décret n° 2016-589 du 11 mai 2016 que ce grade et cet échelon rectifiés correspondent effectivement aux indices brut (389) et majoré (356) qu'il mentionne alors, en tout état de cause, qu'en application des dispositions de l'article R. 4 du code des pensions civiles et militaires de retraite les énonciation de l'acte de radiation des cadres " ne peuvent préjuger, ni la reconnaissance effective du droit, ni les modalités de liquidation de la pension, ces dernières n'étant déterminées que par l'arrêté de concession. ".
11. Par ailleurs, l'appelant, placé dans une situation réglementaire et statuaire, ne peut pas utilement se prévaloir de l'erreur purement matérielle dont est entaché l'arrêté du 21 novembre 2016 le maintenant en disponibilité pour convenances personnelles et faisant état d'un indice brut de 409, bien que cet arrêté soit devenu définitif, dès lors que cet arrêté n'avait pas pour objet et n'a pas pu avoir pour effet de modifier son échelonnement indiciaire.
12. Enfin, M. E... ne peut pas utilement soutenir, à l'encontre de l'arrêté le radiant des cadres, que le calcul de sa pension ne tiendrait pas compte de son infirmité et du fait qu'il est le père de quatre enfants.
13. Il résulte de ce qui précède que l'appelant n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêtés n°18-439, 18-440 et 18-474.

Sur les conclusions indemnitaires :
14. Il résulte également de ce qui précède que l'appelant n'est fondé à soutenir ni qu'il aurait dû bénéficier d'un indice brut fixé à 430 et d'un indice majoré fixé à 380 ni que l'erreur matérielle contenue dans l'arrêté n°18-440 du 31 août 2018 lui aurait causé un quelconque préjudice en se bornant à soutenir que sa situation administrative n'étant pas régularisée, il ne perçoit toujours aucune pension de retraite alors qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que cette erreur matérielle a été rectifiée dès le 3 octobre suivant.
15. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que l'appelant n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés n°18-439, 18-440 et 18-474, d'autre part, que les conclusions indemnitaires qu'il a présentées devant le tribunal administratif de la Guadeloupe doivent être rejetées. Par suite, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guadeloupe de prendre un nouvel arrêté ainsi que les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice qu'il a présentées devant le tribunal administratif doivent être rejetées. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme qu'il demande au titre des frais qu'il a exposés dans la présente instance.


DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 8 octobre 2019 du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de M. E... comme irrecevables.
Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par M. E... devant le tribunal administratif et celles présentées devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2022 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mai 2022.

Le rapporteur,
Manuel C...
Le président,
Didier ArtusLa greffière,
Sylvie Hayet







La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°19BX04873 2