Conseil d'État, 7ème chambre, 14/06/2022, 445971, Inédit au recueil Lebon

Information de la jurisprudence
Date de décision14 juin 2022
Num445971
Juridiction
Formation7ème chambre
RapporteurM. Frédéric Gueudar Delahaye
CommissaireM. Marc Pichon de Vendeuil

Vu la procédure suivante :

M. E... C... a demandé au tribunal des pensions de Marseille d'annuler la décision du 21 décembre 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité. Par un jugement n° 18/00020 du 31 janvier 2019, le tribunal des pensions militaires de Marseille a invité la ministre des armées, avant-dire-droit, d'une part, à se prononcer sur l'imputabilité au service des séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule dont souffre M. C... et, d'autre part, à produire tout document relatif au suicide en septembre 2012 d'un légionnaire en charge d'une mission de surveillance dans le cadre du plan Vigipirate. Par un jugement n° 18/00020 du 8 août 2019, le tribunal des pensions militaires de Marseille a annulé partiellement la décision de la ministre des armées du 21 décembre 2017 et attribué à M. C... à compter du 27 juillet 2015 une pension militaire d'invalidité au titre, d'une part, d'un syndrome anxio-dépressif au taux de 30 %, dont 20 % imputable au service et, d'autre part, des séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule aux taux de 20 %.

Par un arrêt n°s 19MA04851, 19MA05730 du 6 octobre 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur l'appel de la ministre des armées, d'une part, annulé les jugements du tribunal des pensions de Marseille du 31 janvier et du 8 août 2019 et la décision de la ministre des armées du 21 décembre 2017 en tant qu'elle a refusé d'accorder à M. C... un droit à pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule ", d'autre part, lui a reconnu le droit, à compter du 27 juillet 2015, à une pension militaire d'invalidité au titre de cette infirmité au taux de 20 %, et rejeté le surplus des conclusions de M. C....

Par un pourvoi, enregistré le 5 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a, d'une part, rejeté ses conclusions tendant à l'obtention d'une pension militaire d'invalidité au titre de son infirmité " syndrome anxio-dépressif ", d'autre part, annulé le jugement du tribunal des pensions du 31 janvier 2019 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la ministre des armées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. A... D... de Vendeuil, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C..., ressortissant ukrainien, s'est engagé dans la légion étrangère en 2009. A la suite de sa radiation des cadres le 1er avril 2013, il a formé le 27 juillet 2015 une demande de pension militaire d'invalidité au titre d'un syndrome anxio-dépressif, des séquelles d'une scapulalgie droite et des séquelles d'une fracture de la branche montante droite de la mandibule. La ministre des armées a rejeté sa demande par une décision du 21 décembre 2017. Par un jugement avant-dire-droit du 31 janvier 2019, le tribunal des pensions de Marseille a, d'une part, invité la ministre des armées à se prononcer sur l'imputabilité au service de l'infirmité liée aux séquelles de la fracture de la mandibule dont souffre M. C..., d'autre part, ordonné à l'administration produire tout document relatif au suicide en septembre 2012 d'un légionnaire en charge d'une mission de surveillance dans le cadre du plan Vigipirate. Par un jugement du 8 août 2019, ce même tribunal a, d'une part, partiellement annulé la décision ministérielle du 21 décembre 2017 rejetant la demande de pension formée par M. C... le 27 juillet 2015, d'autre part, octroyé à M. C... une pension militaire d'invalidité au titre du syndrome anxio-dépressif et des séquelles de fracture de la mandibule. M C... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 octobre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur l'appel de la ministre des armées, d'une part, annulé les jugements du tribunal des pensions de Marseille du 31 janvier et du 8 août 2019, ainsi que la décision de la ministre des armées du 21 décembre 2017 en tant qu'elle a rejeté les conclusions de la demande de M. C... tendant à l'obtention d'une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule ", d'autre part, fait droit à sa demande de pension militaire d'invalidité, à compter du 27 juillet 2015, au titre de cette infirmité au taux de 20 % et rejeté le surplus de ses conclusions.

2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. / Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage ".

Sur l'arrêt en tant qu'il a annulé le jugement avant-dire-droit du 31 janvier2019 :

3. En estimant, pour annuler le jugement avant-dire-droit du tribunal des pensions militaires de Marseille du 31 janvier 2019 ordonnant à l'administration de produire tout document relatif au suicide en septembre 2012 d'un légionnaire en charge d'une mission de surveillance dans le cadre du plan Vigipirate dont M. C... soutenait qu'il était en rapport avec son état anxio-dépressif, que cette mesure d'instruction était inutile dès lors que M. C... n'avait produit devant elle qu'un article de presse relatant cet événement, la cour administrative d'appel de Marseille s'est livrée à une appréciation souveraine exempte de dénaturation. M. C... n'est, par suite, pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a annulé le jugement avant-dire-droit du tribunal des pensions militaires de Marseille du 31 janvier 2019.

Sur l'arrêt en tant qu'il se prononce sur le taux de la pension militaire d'invalidité :

4. Il résulte des dispositions de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre citées au point 2 que, d'une part, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service, d'autre part, pour que, dans le cas d'infirmités multiples résultant de maladie et de blessure, l'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci ouvre droit à pension, le taux d'aggravation imputable au service doit atteindre à lui seul le minimum indemnisable de 10 % et le degré d'invalidité total entrainé par ces infirmités multiples doit être supérieur ou égal à 30 %.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a fait droit à la demande de pension militaire d'invalidité de M. C... au titre de l'infirmité " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule " au taux de 20 % au motif qu'elle résultait d'une blessure imputable au service. Il suit de là qu'en se fondant, pour écarter la demande de M. C... au titre du " syndrome anxio-dépressif ", sur les dispositions du 3° de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre qui s'appliquent aux infirmités résultant exclusivement de maladies, et non sur celles du 2° de l'article L. 4 du même code relatives aux cas de cumul d'infirmités résultant de blessure et de maladie, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. C... est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a statué sur ses conclusions tendant à ce que lui soit reconnu un droit à pension au titre de l'infirmité " syndrome anxio-dépressif ".

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Selon l'article L. 9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable au litige : " (...) Le taux de la pension définitive ou temporaire est fixé, dans chaque grade, par référence au degré d'invalidité apprécié de 5 en 5 jusqu'à 100 %. / Quand l'invalidité est intermédiaire entre deux échelons, l'intéressé bénéficie du taux afférent à l'échelon supérieur (...) ". Aux termes de l'article L. 14 du même code : " Dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne l'invalidité absolue, le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante. / A cet effet, les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité. / Toutefois, quand l'infirmité principale est considérée comme entraînant une invalidité d'au moins 20 %, les degrés d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires sont élevés d'une, de deux ou de trois catégories, soit de 5, 10, 15 %, et ainsi de suite, suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité ".

9. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du docteur B..., médecin psychiatre, mandaté par l'administration pour se prononcer sur les troubles dont souffre M. C... depuis octobre 2012, que l'intéressé présente un " syndrome anxio-disthymique sur trouble de la personnalité et conduites addictives ", entraînant une invalidité globale de 30 % dont les deux tiers, soit 20 % doivent être regardés comme imputables au service, ce que la ministre des armées ne conteste pas sérieusement. Il suit de là que, dès lors que M. C... s'était déjà vu reconnaître un droit à pension militaire d'invalidité au titre des " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule " au taux de 20 %, le degré d'invalidité de l'infirmité résultant de son " syndrome anxio-dépressif " doit être augmenté de 5 %, soit un taux d'invalidité pour cette seconde infirmité de 25 % à appliquer proportionnellement à la validité restante s'élevant à 80 %, ce qui conduit à retenir un taux de 20 % à ce titre. Le degré d'invalidité résultant de ces deux infirmités s'établissant au total à 40 %, M. C... est fondé à demander l'annulation de la décision de la ministre des armées du 21 décembre 2017 rejetant sa demande de pension formée le 27 juillet 2015 et l'octroi, en application des dispositions combinées du 2° de l'article L. 4 et de l'article L. 9 du code du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, d'une pension militaire d'invalidité au taux de 40 %.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 6 octobre 2020 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. C... tendant à l'obtention d'une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " syndrome anxio-dépressif ".
Article 2 : La décision de la ministre des armées du 21 décembre 2017 est annulée.
Article 3 : Il est attribué à M. C..., à compter du 27 juillet 2015, une pension militaire d'invalidité au taux de 40 % pour les infirmités " séquelles de fracture de la branche montante droite de la mandibule " et " syndrome anxio-dépressif ".
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté
Article 5 : L'Etat versera à M. C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. E... C... et au ministre des armées.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2022 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 14 juin 2022.

Le président :
Signé : M. Gilles Pellissier

Le rapporteur :
Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye

La secrétaire :
Signé : Mme Corinne Sak


ECLI:FR:CECHS:2022:445971.20220614