CAA de LYON, 7ème chambre, 30/06/2022, 21LY01496, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 14 juin 2018 par laquelle le directeur des services partagés ressources humaines de la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie.
Par jugement n° 1801303 du 11 mars 2021, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 10 mai 2021, présentée pour M. A..., il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 11 mars 2021 et la décision du 14 juin 2018 ;
2°) d'enjoindre au directeur des services partagés ressources humaines de la société Orange de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont il souffre ;
3°) de mettre à la charge de la société Orange le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'avis de la commission de réforme est entaché d'irrégularité dès lors qu'à l'exception des médecins, les autres membres de la commission de réforme n'ont pas eu accès au compte-rendu détaillé de l'expertise mais aux seuls éléments portés sur le bulletin de consultation, et le tribunal n'a pas répondu à ce moyen ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'établissait pas avoir été personnellement exposé à un niveau de risque tel que le lien avec sa pathologie pourrait être regardé comme suffisamment probable, dès lors que le médecin qui l'a examiné le 15 mars 2018 comme le médecin du travail de France Télécom ont relevé qu'il manipulait des parasurtenseurs radioactifs, que d'autres médecins du travail ont attesté de la présence en novembre 2005 de radium 226 dans certains types de parasurtenseurs et surtout d'une forte disparité et d'une distribution aléatoire de la radioactivité de ces dispositifs, et alors que, par un jugement du 12 mai 2016 relatif à l'imputabilité du cancer de la thyroïde qui avait alors été diagnostiqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait constaté qu'il avait travaillé pendant vingt-six ans dans un environnement professionnel l'exposant aux rayonnements ionisants émis par les parasurtenseurs ;
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le lien entre le type d'exposition aux radiations ionisantes auquel il a été soumis et le cancer de la prostate est scientifiquement établi ;
- dès lors que les éléments du dossier montrent une exposition de vingt-six ans aux rayonnements ionisants et un lien scientifiquement établi entre une telle exposition et un cancer de la prostate, la seule circonstance que la pathologie pourrait avoir été causée notamment par son âge ne suffit pas à écarter la preuve de l'imputabilité au service de cette pathologie.
Par mémoire enregistré le 1er octobre 2021, présenté pour la société Orange, elle conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de M. A... le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en soutenant que le requérant n'est pas recevable à invoquer pour la première fois en appel un moyen touchant à la légalité externe de la décision qu'il conteste et les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Perche pour la société Orange ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., agent public de France Télécom devenue la société Orange, après avoir fait valoir ses droits à la retraite en 2007, a demandé, le 22 novembre 2017, la reconnaissance de l'imputabilité au service du cancer qui avait été diagnostiqué le 5 décembre 2016. Il a contesté devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand la décision du 14 juin 2018 portant refus de reconnaissance d'imputabilité au service. Il relève appel du jugement du 11 mars 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier de première instance et, en particulier, du mémoire introductif d'instance enregistré au greffe du tribunal administratif de Clermont-Ferrand le 2 août 2018, que, si M. A..., après avoir évoqué les contradictions que comportait, selon lui, le rapport du médecin mandaté par la société Orange, avait souligné que, " à l'exception des médecins, les autres membres de la commission de réforme n'ont pas eu accès au compte-rendu détaillé de l'expertise mais aux seuls éléments portés sur le bulletin de consultation ", il n'avait pas entendu ainsi soulever un moyen touchant à la régularité de la procédure au terme de laquelle avait été prise la décision en litige. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, le tribunal n'a pas omis de répondre à un tel moyen ni, par suite, entaché le jugement attaqué d'irrégularité sur ce point.
Sur la légalité de la décision en litige :
3. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 2, M. A... n'a pas soulevé dans son mémoire introductif d'instance devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand un moyen touchant à la régularité de la procédure au terme de laquelle a été prise la décision qu'il conteste. Il ne ressort pas des pièces du dossier de première instance que M. A... avait soulevé dans ses écritures devant le tribunal d'autres moyens touchant à la légalité externe de cette décision. Dès lors, le moyen qu'il soulève en appel, tiré d'une consultation irrégulière de la commission de réforme dès lors que les membres de la commission de réforme autres que les médecins n'ont pas eu accès au compte-rendu détaillé de l'expertise mais aux seuls éléments portés sur le bulletin de consultation, qui touche à la légalité externe de la décision qu'il conteste, et relève ainsi d'une cause juridique distincte de celle dont relevaient les moyens qu'il avait soulevés en première instance, doit être écarté comme constituant des conclusions nouvelles, irrecevables.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires : " Le fonctionnaire civil radié des cadres (...) a droit à une rente viagère d'invalidité cumulable (...) avec la pension rémunérant les services. / Le droit à cette rente est également ouvert au fonctionnaire retraité qui est atteint d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service est reconnue par la commission de réforme postérieurement à la date de la radiation des cadres (...) ".
5. Dans les cas où est en cause une affection à évolution lente et susceptible d'être liée à l'exposition d'un agent à un environnement ou à des substances toxiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération les éléments du dossier relatifs à l'exposition de l'agent à cet environnement ou à ces substances, eu égard notamment aux tâches ou travaux qui lui sont confiés, aux conditions dans lesquelles il a été conduit à les exercer, aux conditions et à la durée de l'exposition ainsi qu'aux pathologies que celle -ci est susceptible de provoquer. Il revient ensuite aux juges du fond de déterminer si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle. Lorsque tel est le cas, la circonstance que la pathologie pourrait avoir été favorisée par d'autres facteurs ne suffit pas, à elle seule, à écarter la preuve de l'imputabilité si l'employeur n'est pas en mesure d'établir que ces autres facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie. En outre, des facteurs multiples d'exposition ne peuvent emporter une nocivité supérieure à chacun d'eux que si, isolément, ils sont reconnus comme une cause possible de la maladie survenue en raison ou lors du service.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré en fonction en 1972 auprès de France Télécom, a exercé les fonctions d'agent des lignes maintenance et construction jusqu'en 2001, avant d'exercer celles de chargé d'étude de travaux jusqu'au 16 décembre 2007, date à laquelle il a pris sa retraite. Après avoir contracté une première pathologie cancéreuse diagnostiquée au cours du mois de janvier 2006 dont son employeur avait refusé d'admettre l'imputabilité au service par une décision du 1er juillet 2014 annulée ensuite par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 12 mai 2016, M. A... a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service d'une seconde pathologie, un adénocarcinome prostatique infiltrant, diagnostiqué en décembre 2016 alors qu'il était âgé de 64 ans.
7. En premier lieu, si M. A... ne présentait aucune prédisposition ou facteur favorisant l'apparition de sa pathologie, le rapport médical rédigé par un médecin mandaté par Orange à la suite de l'examen de M. A... réalisé aux fins d'information de la commission de réforme, comme les rapports produits par Orange, en particulier le rapport d'orientation de la Haute Autorité de Santé de février 2012 sur le cancer de la prostate, ont relevé que le risque d'adénocarcinome prostatique, qui constitue le cancer masculin le plus fréquent, augmente proportionnellement avec l'âge, la tranche d'âge 55-64 ans représentant 22 % des cas incidents et la tranche d'âge 65-74 ans 41 % de ces cas. Et il ressort des pièces du dossier qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, la pathologie cancéreuse que le requérant estime imputable au service a été diagnostiquée alors qu'il était âgé de 64 ans, soit dans une des tranches d'âge d'apparition les plus fréquentes de ce type de pathologie, et alors qu'il avait pris sa retraite depuis neuf années à la date du diagnostic et cessé d'exercer des fonctions d'agent des lignes maintenance et construction au sein de France Télécom depuis quinze années. Dès lors, eu égard au délai d'apparition de la maladie, le facteur déclenchant de celle-ci résulte principalement de l'âge de M. A....
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, et n'est au demeurant pas contesté par la société Orange, que l'exposition de M. A... au radium 226 et au tritium, éléments radioactifs contenus dans les parafoudres et paratenseurs est avérée, et si France Télécom a cessé de s'approvisionner en parafoudres équipés de composants radioactifs dès 1978, les paratenseurs radioactifs ont été maintenus jusqu'en 2013, de sorte que M. A... a été exposé jusqu'à la cessation de son activité d'agent des lignes maintenance et construction, en 2001, à des équipements émettant des radiations ionisantes.
9. Toutefois, alors que le rapport médical mentionné au point 7 avait relevé une absence de dosimétrie permettant de préciser l'exposition et d'établir une estimation réelle de la dose reçue par M. A..., un rapport réalisé en 2010 par l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, à la demande de France Télécom pour évaluer les risques pour ses personnels associés aux parasurtenseurs contenant des radioéléments, concluait à l'absence de risque significatif de cancers radio-induits pour ces personnels, en prenant en compte une exposition maximale estimée à des valeurs comprises entre 0,02 et 0,14 milli-sievert par an, alors que la limite règlementaire d'exposition annuelle pour le public était de 5 milli-sievert par an jusqu'en 2001 puis de 1 milli-sievert à compter de cette date et la limite réglementaire d'exposition des travailleurs exposés identifiés en tant que tels est de 20 milli-sievert. Ces éléments tendent à démontrer qu'en l'état des connaissances scientifiques, l'exposition de M. A... ne peut être la cause de la pathologie qu'il a développée, sans que puisse être utilement invoquée l'absence de suivi dosimétrique des agents qui, s'il avait été pratiqué sur M. A..., n'aurait fait que confirmer sa faible exposition.
10. Compte tenu de l'âge d'apparition de la maladie dont souffre le requérant, de la faible exposition de M. A... aux éléments radioactifs lors de son activité professionnelle, de la nature de sa pathologie et de la période de son diagnostic, nonobstant le caractère cancérigène des éléments radioactifs contenus dans les parafoudres qu'il avait été amené à manipuler, les données acquises de la science ne permettent pas de retenir une probabilité suffisante que la pathologie qui a affecté M. A... soit en rapport avec son activité professionnelle.
11. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 14 juin 2018 par laquelle la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie diagnostiquée le 5 décembre 2016. Ses conclusions aux fins d'annulation doivent être rejetées, ainsi que, et par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la société Orange n'étant pas partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Orange sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Orange tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la société Orange.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2022 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.
Le rapporteur,
Ph. SeilletLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 21LY01496
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