CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 04/10/2022, 20MA02457, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 17 avril 2018 par laquelle le maire de la commune d'Aubagne a refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de sa pathologie, et de mettre à la charge de la commune la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1803383 du 8 juin 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2020, M. A... B..., représenté par Me Gavaudan, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1803383 du 8 juin 2020 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de reconnaitre le caractère professionnel de sa maladie ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Aubagne, outre les dépens, la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'il a commis un détournement de procédure et méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à un précédent jugement du 7 novembre 2017, en relevant d'office un moyen d'ordre public difficilement compréhensible dans son libellé, sans laisser un délai suffisant aux parties pour s'exprimer, et portant sur un point qui avait été définitivement tranché par ce jugement ;
- la décision du 17 avril 2018 révèle un acharnement dès lors qu'elle reprend à son encontre la seule motivation de l'existence d'une exposition discontinue au benzène ;
- elle est entachée d'erreur de droit en tant qu'elle se réfère au critère de l'exposition continue, qui n'est pas conforme au droit ;
- l'article 3 de l'arrêté du 4 août 2004 a été méconnu dès lors que la commission de réforme ne pouvait se prononcer sans disposer de l'avis d'un médecin spécialiste ainsi qu'elle l'avait réclamé ; l'absence d'un tel avis l'a privé d'une garantie et entaché la procédure d'une irrégularité ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que, dès l'origine, les certificats d'expertise médicale des Drs Finaud et Gimenez font état de la situation précise et du lien de causalité entre son travail et la maladie contractée, et que le tribunal ne pouvait privilégier les conclusions des professeurs Disdier et Sebahoun, ce dernier étant de surcroît salarié de la commune d'Aubagne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2021, la commune d'Aubagne, représentée par Me Mboup, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. B... le paiement de la somme de 3 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande est irrecevable dès lors que le requérant s'est borné à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif sans soumettre au juge d'appel des prétentions de fond ;
- la requête de première instance était elle-même irrecevable dès lors qu'elle ne remplissait pas l'exigence de motivation fixée par l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tenant à l'irrecevabilité du moyen de légalité externe soulevé par le requérant à l'encontre de la décision du 17 avril 2018, tiré du vice de procédure, dès lors que ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, est fondé sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa demande de première instance, qui se bornait à contester la légalité interne de la décision en litige.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- l'arrêté du 4 août 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me Dermerguerian, substituant Me Mboup, représentant la commune d'Aubagne.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... exerçait comme titulaire en qualité d'ingénieur architecte au sein de la commune d'Aubagne. Au cours de l'année 2010, il a été diagnostiqué comme étant porteur d'une leucémie myéloïde chronique. Placé en position de congé maladie pour la période du
15 avril 2010 au 5 juillet 2010, puis admis à faire valoir ses droits à la retraite et radié des cadres à compter du 5 juillet 2012, il a saisi le maire de la commune d'Aubagne d'une demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie, demande rejetée par une première décision du 30 avril 2015. Par un jugement du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision et enjoint au maire de la commune d'Aubagne de procéder au réexamen de la demande de M. B... dans un délai de trois mois. A la suite de ce jugement, la commune a saisi la commission de réforme, laquelle a émis un avis défavorable sur la demande de reconnaissance d'imputabilité lors de sa séance du 20 mars 2018 et, par décision du 17 avril 2018, le maire a de nouveau rejeté la demande de M. B... tendant à ce que sa pathologie soit reconnue comme correspondant à celles inscrites au tableau n° 4 des maladies professionnelles du code de la sécurité sociale. Par la présente requête, M. B... relève appel du jugement du 8 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 avril 2018.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
3. Pour rejeter la demande de première instance, le tribunal administratif, après avoir censuré pour erreur de droit le motif retenu par la commune d'Aubagne dans sa décision du 17 avril 2018, lui a substitué un nouveau motif tiré de l'incertitude quant à l'existence d'un lien direct entre la pathologie du requérant et son activité professionnelle. Il ressort du mémoire en défense produit par la commune devant le tribunal administratif que ce motif a été énoncé par l'administration, et que l'intéressé a été mis à même de présenter ses observations sur sa substitution à celui initialement retenu dans la décision en litige, par la seule communication des écritures de l'administration à laquelle il a été procédé le 18 mars 2019. Par conséquent, indépendamment des conditions dans lesquelles le tribunal a communiqué aux parties, par lettre du 15 mai 2020, un moyen d'ordre public en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, alors qu'il n'y était pas tenu, portant précisément sur cette substitution de motifs, M. B... n'a été privé d'aucune garantie et n'est donc pas fondé, par suite, à soutenir que les premiers juges, qui se sont bornés à exercer leur office en procédant à une substitution de motifs, auraient méconnu l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le caractère contradictoire de la procédure.
4. En second lieu, si M. B... soutient que les premiers juges, en procédant à cette substitution de motifs, auraient méconnu l'autorité de la chose jugée qui serait attachée au jugement rendu par le tribunal le 7 novembre 2017, un tel moyen, qui relève du bien-fondé du jugement attaqué, est sans incidence sur sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. En premier lieu, M. B... soutient, pour la première fois en appel, que la décision du 17 avril 2018 portant refus de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie serait entachée d'un vice de procédure tenant à ce que la commission de réforme aurait été irrégulièrement composée, en méconnaissance de l'article 3 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière. Ce moyen ressortit à la légalité externe de la décision attaquée et n'est pas d'ordre public. Il est par ailleurs constant que les seuls moyen soumis au tribunal administratif par le requérant étaient relatifs à la légalité interne de la décision attaquée. Par conséquent, le moyen précité, qui relève d'une cause juridique distincte de ceux soulevés en première instance, ne peut être invoqué pour la première fois en appel et doit être écarté comme irrecevable.
6. En deuxième lieu, et d'une part, aux termes de l'article 57 de la loi du
26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ". En outre, l'annexe II " Tableau n° 4 - Hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermant " du livre IV du code de la sécurité sociale prévoit une durée d'exposition de six mois au benzène pour que les hémopathies provoquées par cette substance relèvent du régime de la maladie professionnelle.
7. D'autre part, l'application des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique instituant un " congé pour invalidité temporaire imputable au service " par insertion dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires d'un article 21 bis n'est pas possible en l'absence d'un texte réglementaire fixant, notamment, les conditions de procédure applicables à l'octroi de ce nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. Les dispositions de
l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ne sont donc entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique territoriale, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 12 avril 2019, du décret du 10 avril 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique territoriale, par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique et dont l'intervention était, au demeurant, prévue sous forme de décret en Conseil d'Etat par le VI de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017.
8. Pour rejeter la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la maladie de M. B..., le maire de la commune d'Aubagne, qui s'est fondé sur l'unique motif d'une exposition discontinue au benzène, doit être regardé comme s'étant nécessairement fondé sur les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 qui prévoient un régime de présomption d'imputabilité lorsqu'une maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale a été diagnostiquée et contractée par l'agent dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. Toutefois, la maladie de M. B... ayant été diagnostiquée au cours de l'année 2010, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017, aucune disposition ne permettait, à la date de la décision attaquée, de rendre applicable le régime de présomption d'imputabilité qu'elles prévoient aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale. Il en résulte que la décision du maire de la commune d'Aubagne est entachée d'erreur de droit.
9. Toutefois, après avoir à bon droit relevé le caractère erroné du motif ainsi retenu par le maire, les premiers juges lui ont substitué celui tenant à l'absence de lien direct entre la maladie et l'exercice de ses fonctions par M. B....
10. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
11. Selon les certificats médicaux établis les 28 septembre 2019 par un médecin spécialiste en pneumologie et 19 décembre 2019 par un médecin spécialiste en oncologie et maladie du sang, M. B... aurait été exposé, dans le cadre de son activité professionnelle au sein de la commune d'Aubagne, au benzène et dérivés de cette substance, une telle exposition ayant pu entrainer une toxicité pulmonaire et être à l'origine de sa leucémie myéloïde chronique. Toutefois, selon le rapport d'expertise établi le 22 septembre 2012 par le médecin agréé mandaté par la commune d'Aubagne, ni le profil du poste occupé par le requérant, pas plus que la sémiologie fonctionnelle rapportée lors des visites de chantier ou des activités sur table à dessins, ne révèlent une exposition continue et intense à des substances toxiques susceptibles d'être responsables de syndromes myéloprolifératifs. L'analyse de cet expert est corroborée par le rapport particulièrement précis et documenté établi le 30 janvier 2013 par le chef du service d'hématologie de l'hôpital Nord de Marseille, selon lequel, si le requérant a été amené à inhaler occasionnellement des vapeurs de solvants volatils utilisés dans les peintures, le benzène était interdit depuis 1976 dans les préparations commerciales et industrielles à un taux supérieur à 0,1 %, de sorte qu'une exposition à cette substance n'est pas démontrée. De plus, toujours selon ce rapport, si les peintures contiennent des hydrocarbures aliphatiques halogénés qui peuvent provoquer des troubles reconnus comme maladies professionnelles inscrites au tableau n° 12 des maladies professionnelles du code de la sécurité sociale, ces substances ne sont pas de nature, en revanche, à générer des syndromes myéloprolifératifs. Dans ces conditions, l'existence d'un lien direct entre la pathologie de M. B... et le service n'est pas établie. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le maire de la commune d'Aubagne aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce motif, lequel ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que, par la décision en litige, le maire de la commune d'Aubagne a refusé de reconnaitre l'imputabilité au service de la maladie de M. B....
12. En troisième lieu, la seule circonstance que le médecin, rédacteur du rapport du 30 janvier 2013 cité au point précédent, procèderait également, de manière ponctuelle, à des consultations médicales au centre hospitalier Edmond Garcin d'Aubagne ne saurait, par
elle-même, révéler une situation de conflit d'intérêt de nature à remettre en cause les constatations et conclusions médicales qu'il a réalisées dans son rapport du 30 janvier 2013.
13. En quatrième lieu, si M. B... considère que la décision du 17 avril 2018 révèle un " acharnement " à son encontre, le détournement de pouvoir ainsi allégué n'est pas établi, et ce d'autant que l'administration pouvait légalement, ainsi qu'il a été dit, rejeter la demande de reconnaissance d'imputabilité au service dont elle était saisie.
14. En cinquième et dernier lieu, à le supposer soulevé, le moyen tiré de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée ne peut qu'être écarté dès lors que la condition d'identité d'objet n'est pas remplie, la décision attaquée dans l'instance n° 1803383 devant le tribunal administratif de Marseille étant distincte de celle annulée, pour vice de procédure, par le jugement rendu par ce même tribunal le 7 novembre 2017.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête d'appel et de la demande de première instance, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par la commune d'Aubagne au titre de ces mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Aubagne en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune d'Aubagne.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2022.
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