CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 17/10/2022, 20MA04475, Inédit au recueil Lebon
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia, par une requête enregistrée sous le n° 1900192, d'annuler l'arrêté du 18 décembre 2018 par lequel elle a été placée en congé de longue maladie à demi-traitement à compter du 23 décembre 2018 pour une durée de six mois, par une requête enregistrée sous le n° 1900591, d'annuler la décision de refus d'imputabilité au service de sa maladie révélée par ses bulletins de paye des mois de mars et avril 2019 et, par une requête enregistrée sous le n° 1901266, d'annuler l'arrêté du 23 juillet 2019 par lequel le président de la communauté de communes de Calvi Balagne a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie.
Par un jugement n°s 1900192, 1900591 et 1901266 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté précité du 18 décembre 2018, rejeté le surplus des conclusions aux fins d'annulation présentées par Mme A... et mis à la charge de la communauté de communes Calvi-Balagne la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, des pièces et mémoires complémentaires enregistrés les 2 décembre 2020, 5 décembre 2020, 20 décembre 2021, 24 août 2022 et 8 septembre 2022, Mme A..., représentée par Me Peres, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 1er octobre 2020 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation, d'une part, de la décision de refus d'imputabilité au service révélée par ses bulletins de salaires des mois de mars et avril 2019 et, d'autre part, de la décision du 23 juillet 2019 refusant expressément l'imputabilité au service de sa maladie et d'annuler lesdites décisions ;
2°) d'enjoindre à la communauté de communes Calvi Balagne de la placer en congé de maladie imputable au service à compter du 23 décembre 2017 jusqu'à sa mise à la retraite pour invalidité ;
3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Calvi Balagne la somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance exposés en appel ainsi que celle de 3 000 euros au titre des frais exposés en première instance.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- il est improbable que la communauté de communes Calvi Balagne ait été en mesure, avant l'établissement de la paye de mars 2019, de prendre connaissance de l'avis de la commission de réforme du 12 mars 2019 ;
- sa maladie présente un lien de causalité direct et certain avec le service.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 17 janvier 2022 et le 23 septembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la communauté de communes Calvi Balagne, représentée par Me Léron, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de Mme A... ;
2°) de mettre à la charge de Mme A... le paiement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête sont infondés.
Par lettre du 8 septembre 2022, les parties ont été informées qu'en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, la Cour était susceptible de soulever d'office le caractère inapplicable des dispositions issues de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 et de procéder à une substitution de base légale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le décret n° 2019-301 du 10 avril 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent, présidente assesseure,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me Léron pour la communauté de communes Calvi Balagne.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., adjoint administratif territorial principal de 2ème classe, exerçait ses fonctions au sein de la communauté de communes Calvi Balagne. A la suite d'une chute dans les escaliers le 2 octobre 2017, elle a été placée en arrêt de travail pour accident de service jusqu'au 22 décembre 2017. A compter du 23 décembre 2017, Mme A... a été de nouveau placée en congé de maladie en raison d'un état dépressif. Par décision en date du 22 mars 2018, elle a été placée en congé de longue maladie à compter du 23 décembre 2017. Par un arrêté du 18 décembre 2018, Mme A... a été placée en congé de longue maladie à demi-traitement à compter du 23 décembre 2018 pour une durée de six mois. Par lettre datée du 27 décembre 2018, réceptionnée le 3 janvier 2019, Mme A... a présenté une demande tendant à ce que sa pathologie dépressive soit reconnue comme imputable au service. Mme A... interjette appel du jugement susvisé du tribunal administratif de Bastia en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation, d'une part, d'une décision de refus d'imputabilité au service qui aurait été révélée par ses bulletins de paye des mois de mars et avril 2019 lui octroyant un demi-traitement, et, d'autre part, de l'arrêté du 23 juillet 2019 refusant explicitement l'imputabilité au service de sa maladie.
Sur l'étendue du litige :
2. Les conclusions présentées par Mme A... doivent être regardées comme dirigées uniquement contre l'arrêté du président de la communauté de communes Calvi Balagne du 23 juillet 2019 par lequel sa demande d'imputabilité au service de sa maladie a été explicitement rejetée, cette décision s'étant, en tout état de cause, substituée à la décision qui aurait été révélée par les bulletins de paye de mars et avril 2019.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :
S'agissant du fondement légal :
3. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressée ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
4. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable avant sa modification par le II de l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 : " Le fonctionnaire en activité a droit : [...] / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. [...] / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite [...] ".
5. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, créé par le I de l'article 10 de l'ordonnance précitée du 19 janvier 2017, en vigueur depuis le 21 janvier 2017, et désormais codifié à l'article L. 822-20 du code général de la fonction publique : " I. Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article (...) / IV. -Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. (...) / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat./ (...) VI. -Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités du congé pour invalidité temporaire imputable au service mentionné au premier alinéa et détermine ses effets sur la situation administrative des fonctionnaires (...) ".
6. L'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 étant manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, ces dispositions ne sont donc applicables, s'agissant de la fonction publique territoriale, que depuis l'entrée en vigueur, le 12 avril 2019, du décret du 10 avril 2019, décret dont l'intervention était, au demeurant, prévue, par le VI de cet article 21 bis. Il en résulte que les dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017, sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 10 avril 2019, soit le 12 avril 2019.
7. Dès lors que les droits des agents en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie a été diagnostiquée, la situation de Mme A..., dont l'état dépressif a été diagnostiqué avant le 12 avril 2019 et dont la demande de reconnaissance d'imputabilité au service a été présentée le 27 décembre 2018, était exclusivement régie par les conditions de forme et de fond prévues avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives et réglementaires relatives au nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service.
8. Il ressort notamment des motifs de l'arrêté du 23 juillet 2019 que la communauté de communes Calvi Balagne s'est fondée sur l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 pour refuser de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie invoquée par Mme A.... Il résulte de ce qui vient d'être dit que la décision attaquée ne pouvait trouver son fondement dans ces dispositions auxquelles elle se réfère. Toutefois, le pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité administrative en vertu des dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 est le même que celui dont l'investissent les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Les garanties dont sont assortis ces textes sont similaires, Mme A... ayant au demeurant bénéficié de la consultation de la commission de réforme qui a émis un avis le 12 mars 2019. Dans ces conditions, et ainsi qu'en ont été informées les parties, il y a lieu de substituer ces dispositions à la base légale retenue par la communauté de communes intimée.
S'agissant de l'appréciation du caractère imputable au service :
9. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
10. Il ressort du dossier établi par le médecin du travail que Mme A... a consulté les 5 novembre 2013, 7 novembre 2014, 23 septembre 2015 et 17 octobre 2017, lequel, par sa mission même, acquiert une connaissance précise des conditions de travail d'un agent, que l'intéressée a été victime de troubles dépressifs, d'un stress important, d'une angoisse et d'une grande fatigue consécutifs à un contexte professionnel pathogène résultant de difficultés relationnelles avec sa hiérarchie. Ces troubles et le contexte professionnel dans lequel ils s'inscrivent ont été également constatés par le médecin généraliste et le psychiatre de l'intéressée à compter de 2015 ainsi que cela ressort de certificats en date du 22 décembre 2017. Il résulte également des différentes expertises réalisées en 2018 par les psychiatres consultés dans le cadre des demandes de congés de longue maladie, longue durée et congé imputable au service déposées par Mme A..., que celle-ci a présenté une décompensation psychiatrique dans un contexte d'épuisement professionnel sous la forme d'un syndrome dépressif sévère. Par ailleurs, s'il ressort également des pièces du dossier que la requérante présentait auparavant une personnalité fragile, il résulte cependant desdites expertises et notamment de celle du chef de pôle psychiatrique de l'APHM que l'intéressée ne présentait aucun état antérieur dépressif. En outre, si la communauté de communes Calvi Balagne fait état de problèmes d'ordre personnel qui pourraient être à l'origine de la dépression de l'intéressée, elle n'assortit ces dires d'aucun commencement de preuve. Enfin, la commission de réforme a également, le 12 mars 2019, émis un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie. Au regard de l'ensemble de ces éléments et en l'absence de tout fait personnel de l'agent ou de toute autre circonstance conduisant à détacher la maladie du service, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 23 juillet 2019 portant refus d'imputabilité au service de sa pathologie dépressive.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Bastia doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du président de la communauté de communes Calvi Balagne du 23 juillet 2019. Il y a lieu, par suite, d'annuler ledit arrêté.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction :
12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "
13. L'annulation de l'arrêté du 23 juillet 2019 ainsi prononcé implique nécessairement qu'il soit enjoint à la communauté de communes Calvi Balagne de placer la requérante en position de congé de maladie imputable au service à compter du 23 décembre 2017 jusqu'à la date à laquelle elle sera mise à la retraite pour invalidité, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais d'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la communauté de communes Calvi Balagne la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté de communes Calvi Balagne la somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance exposés en appel. En revanche, les conclusions présentées au titre des frais exposés en première instance doivent être rejetées, les premiers juges ayant fait une juste appréciation de ceux-ci en les évaluant à la somme de 1 000 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 1er octobre 2020 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du président de la communauté de communes Calvi Balagne du 23 juillet 2019.
Article 2 : L'arrêté du président de la communauté de communes Calvi Balagne du 23 juillet 2019 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au président de la communauté de communes Calvi Balagne de placer Mme A... en position de congé de maladie imputable au service à compter du 23 décembre 2017, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : La communauté de communes Calvi Balagne versera à Mme A... la somme de 2 000 euros (deux mille euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la communauté de communes Calvi Balagne.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente,
- Mme Vincent, présidente-assesseure,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2022.
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